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Une fois sorti de son caisson, le corps de Scheffer avait été placé sur la table d'opération, au milieu du bloc, et simplement recouvert d'une couverture de survie en aluminium. Progressivement, et comme si tout était naturel, les battements de son cœur s'accéléraient, son rythme respiratoire s'accroissait, tandis que son visage reprenait des couleurs. Sharko se tenait debout, sur la gauche.

Le réveil était imminent.

Depuis deux bonnes heures, les policiers russes passaient des coups de fil à la surface du centre de stockage ou s'entretenaient fermement avec les trois médecins et Leonid Yablokov, essayant de comprendre à quoi ils avaient affaire. Sharko avait reçu quelques bribes d'explications de la part d'Andreï Aleksandrov, qui n'avaient fait que confirmer ses déductions. À l'évidence, Scheffer et Dassonville, aidés du maudit manuscrit et de Yablokov, avaient trouvé un moyen de cryogéniser et de ramener à la vie des êtres humains. Cette unité était un lieu de test.

Dix minutes plus tard, Léo Scheffer papillota des paupières, puis ses pupilles se rétractèrent face à la lampe Scialytique perchée juste au-dessus de lui. Ses yeux roulèrent dans ses orbites, ses lèvres bougèrent.

- Quelle date ? marmonna-t-il. Combien de temps a passé ?

Il porta lentement ses mains sur sa poitrine, comme s'il cherchait une cicatrice. Sharko se pencha au-dessus de la table, apparaissant alors dans son champ de vision.

- Même pas une journée. Bienvenue, Scheffer. Je suis Franck Sharko, commissaire de police du 36, quai des Orfèvres. Et vous êtes en état d'arrestation pour meurtres, enlèvements, actes de torture, et une liste d'autres chefs d'inculpation bien trop longue pour que je les cite tous.

Léo Scheffer parut ne pas comprendre tout de suite. Il voulut se redresser, mais Sharko lui écrasa la poitrine.

- Où est le manuscrit ? fit le flic d'une voix autoritaire.

Le scientifique tendit difficilement le cou. Son visage était fin, sec, comme creusé dans la pierre. Il aperçut les visages durs des Russes, en arrière-plan, et sembla réaliser que c'en était terminé. Il soupira longuement, s'humecta les lèvres du bout de la langue, puis laissa finalement retomber sa tête sur la table.

- Quelque part.

Sharko essaya de l'étouffer moralement :

- Vous allez finir vos jours en prison. Vous qui avez tellement peur du temps, vous allez compter vos heures jusqu'à la toute dernière, vous allez voir votre corps se dégrader, jour après jour. Rien que pour ça, j'espère que vous vivrez encore longtemps.

Scheffer ne réagissait pas, se contentant de fixer le plafond. Il avait du mal à émerger.

- Tous ceux qui sont impliqués vont se retrouver derrière des barreaux, ajouta Sharko. Nous allons tout détruire. Ces installations, cette salle, les protocoles, vos recherches. Mais, auparavant, par votre procédé, nous allons redonner vie à ces enfants piégés dans leur ignoble cylindre.

- Ces enfants sont morts, répliqua Scheffer d'une voix neutre. Et vous bluffez, vous ne détruirez rien, vous avez trop besoin de tout ça pour comprendre. Mais que croyez-vous ? Que notre but, c'était juste de cryogéniser quelques riches individus ? Simplement une histoire d'argent ?

- Qui ça, nous ? Et que comptiez-vous faire d'autre ?

Scheffer garda le silence, les lèvres pincées. Sharko ne relâcha pas son interrogatoire.

- Nous savons que vous avez réussi à ramener des gamins cryogénisés à la vie. Où sont-ils ?

- Morts. Tous morts. Ils n'étaient rien d'autre que... de la matière.

Sharko avait envie de l'étrangler et se battait contre lui-même pour garder le contrôle.

- Je répète ma question. À quoi servent exactement ces expériences ?

Scheffer restait de marbre.

- On parle beaucoup du programme spatial russe en ce moment, fit Sharko. La conquête de l'espace lointain, au-delà de Jupiter. Imaginez l'annonce par les Russes d'une cryogénie fonctionnelle, d'une méthode pour figer les organismes et les envoyer à des milliards de kilomètres d'ici sans qu'ils vieillissent.

Sharko vit l'œil de Scheffer briller une fraction de seconde.

- Alors c'est ça...

Mais Scheffer ne répondit plus à aucune de ses questions et détourna le regard.

Le commissaire s'adressa à l'un des médecins :

- Où est le manuscrit ?

Aleksandrov traduisit questions et réponses.

- Il l'ignore. Personne ne sait, d'après lui.

- Pourquoi avoir opéré ces gamins ? Pourquoi ces cicatrices sur leurs poitrines ?

- Elles sont dues à la circulation extracorporelle. Elle est nécessaire pour ramener le corps à la vie après un bain dans l'azote liquide. C'est le seul moyen de réchauffer efficacement et progressivement le sang, d'assurer le redémarrage du cœur, de l'activité cérébrale et de l'ensemble des fonctions vitales. C'est pour ça qu'ils ouvrent les poitrines.

- Pourquoi certains meurent et certains survivent ?

- À cause du taux de radioactivité. Il faut une fourchette très précise de césium dans l'organisme, située entre 1350 et 1500 Bq/kg. En dessous, des cristaux se forment et détruisent les cellules. Et au-dessus, les organes se dégradent de façon irréversible.

Sharko allait et venait, nerveusement.

- Qu'est-ce qu'ils savent d'autre ? Qui s'occupe de ces corps congelés ? Comment cette organisation fonctionne-t-elle ? Y a-t-il d'autres centres de ce genre ? Ont-ils un rapport avec le programme spatial ?

Il y eut des échanges virulents devant l'incapacité des scientifiques à répondre aux questions autres que médicales. Aleksandrov revint vers Sharko, l'air fermé.

- Ils disent qu'ils ne savent rien. Ils appliquent des protocoles que leur a appris Scheffer. Des gens viennent souvent ici, des Russes, des étrangers de divers pays, mais ils ignorent qui ils sont.

Sharko vit qu'il ne servait plus à rien de poursuivre. Il signifia aux Russes qu'il en avait terminé avec ses questions pour le moment. Encore secoué, il retourna dans la pièce du fond, passa de nouveau devant les visages insoutenables de ces enfants morts et se positionna face au cylindre de Dassonville.

Il plaqua sa main à plat sur la vitre. Puis s'approcha du générateur. Il suffisait de baisser une grosse manette pour que tout s'arrête. Il posa sa main sur la poignée métallique, respira lourdement, puis revint finalement vers la vitre.

- Ce serait trop facile. On va te ramener à la vie, et tu vas nous donner toutes les réponses qui nous manquent.

Et il resta là, considérant longuement ce visage diabolique, aussi sombre et glacial que la mort, jusqu'à ce qu'Aleksandrov le rejoigne, téléphone dans la main. Il paraissait abattu.

- Les services secrets russes vont arriver d'un instant à l'autre, fit-il d'une voix atone.

- Les services secrets ? Que viennent-ils faire ici ?

- Volga Gribodova, la ministre de la Sécurité nucléaire, a été retrouvée morte, une balle dans la tête.

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