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C’est vers la Tunisie, désormais occupée par plus de 200 000 soldats allemands et italiens, que, en ces premiers jours de l’année 1943, se dirige Rommel.

Longue retraite depuis sa défaite à El-Alamein face à la VIIIe armée britannique du général Montgomery – « Monty ».


Rommel est sans illusions.

Il a installé son poste de commandement dans la ferme d’un colon, à la frontière nord de la Tripolitaine. Il lui faut atteindre le sud de la Tunisie, faire la jonction avec les forces allemandes et italiennes qui s’y trouvent.

Mais il est lucide et amer : il lui faudrait recevoir 50 tonnes de munitions et 1 900 tonnes d’essence par semaine et on lui en livre 30 et 800 tonnes !

Comment faire face au déferlement britannique ?


Il aperçoit dans un nuage de poussière une masse de 200 tanks anglais. Le ciel est, nuit et jour, occupé par des bombardiers et des chasseurs de la Royal Air Force.

La mer est parcourue par des vedettes rapides anglaises.

« Elles viennent de couler dix sur quatorze de nos chalands d’essence à l’ouest de Tripoli. »

« Terrible nouvelle. »

Rommel songe aussi à ce front de l’Est, à la VIe armée encerclée à Stalingrad. Tout semble s’effondrer.

« Paulus est encore plus mal en point que moi, note-t-il. Il a affaire à un adversaire plus inhumain. Nous ne pouvons plus mettre notre espoir qu’en Dieu qui ne nous abandonnera pas complètement. »


Il a besoin de se confier, de faire part à son épouse de ses doutes et de ses colères.

Car Mussolini le harcèle, lui demande de ne pas évacuer la Tripolitaine, symbole de l’lmpero, cet Empire colonial italien que le Duce rêvait de bâtir.

« Vives réprimandes de Rome parce que nous ne résistons pas davantage à la pression ennemie, note-t-il. Nous voulons nous battre et nous nous battrons aussi longtemps que nous le pourrons. »

Mais comment le faire quand les munitions et l’essence manquent ?


Il faut évacuer Tripoli, faire sauter les installations du port, distribuer à la population misérable les stocks de vivres qu’on ne peut emporter.

« J’ai fait tout ce que j’ai pu pour tenir sur ce théâtre d’opérations malgré les difficultés indescriptibles. J’en suis profondément désolé pour mes hommes. Ils m’étaient infiniment chers. »


Il atteint enfin la frontière de la Tunisie, s’enfonce dans le pays d’une centaine de kilomètres, découvre cette ligne de blockhaus – la ligne Mareth – construite par les Français dans les années 1930-1940. Ils ne sont plus adaptés aux conditions de la guerre moderne. Rommel est épuisé, désespéré.

Il confie à sa « très chère Lu » :

« Physiquement, je ne vais pas trop bien. De violents maux de tête et les nerfs à bout, sans parler de quelques troubles de la circulation… Je suis si déprimé que j’ai de la peine à faire mon travail. Peut-être quelqu’un d’autre verrait-il plus clair dans cette situation et serait-il capable d’en sortir quelque chose. »


Mais il est déchiré par des sentiments contradictoires.

Quand il apprend qu’en raison de son état de santé il va être relevé de son commandement, et que son successeur sera le général italien Messe qui arrive directement de Russie, il s’emporte :

« Après l’expérience de cette retraite, je n’ai aucune envie de continuer à jouer le bouc émissaire de cette bande d’incapables ! »

Mais quelques jours plus tard, il ajoute :

« J’ai décidé de ne rendre mon commandement que sur ordre, sans tenir compte de mon état de santé. Dans une telle situation, je veux m’accrocher, même au-delà de toute limite, même contre l’avis des médecins. Vous comprendrez, très chère Lu, mon attitude. Le successeur qu’on m’a envoyé de Rome pourra bien attendre son tour. »


Il ne veut pas abandonner ses soldats.

On lui rapporte du Grand Quartier Général de Hitler « les plus chaudes congratulations du Führer dont j’ai encore toute la confiance ».

Mais il ne s’illusionne pas. Il écrit à son épouse :

« Les événements sont devenus très graves, ici en Afrique, et à l’Est aussi.

« Nous devons prévoir la mobilisation intégrale du travail pour tous les Allemands, sans considération de résidence, de condition sociale, d’âge ou de capacité. Pensez-y en temps opportun, chère Lu, pour trouver quelque chose qui vous convient. Notre fils lui-même devra bientôt prendre sa place devant un établi ou derrière un canon antiaérien. C’est, vous le savez bien, une affaire de vie ou de mort pour le peuple allemand.

« Je vous écris cela parce que je ne veux pas vous farder ce qui arrivera sans doute. C’est une idée à laquelle il vaut mieux se préparer de bonne heure afin de l’accepter plus facilement. »


On croit entendre en écho aux propos de Rommel le discours que prononcera Goebbels, le 18 février, dans lequel il martèlera l’idée qu’il faut conduire une guerre totale : la Totalkrieg.

Mais la lettre de Rommel précède de plusieurs semaines l’appel de Goebbels.

Rommel s’exprime non en nazi mais en soldat, en patriote qui croit encore à la nécessité de suivre le Führer.

Mais le désespoir ronge Rommel, alors même que la fidélité qu’il veut exprimer à ses hommes l’habite.


Le 7 février, il décide de rejeter les avis des médecins :

« Le docteur Horster est venu me voir hier et m’a conseillé de commencer mon traitement aussitôt que possible. Je me révolte de tout mon être contre l’idée de quitter ce champ de bataille tant que mes pieds peuvent me porter. »


Quelques jours plus tard, le 12 février, alors qu’il a décidé de ne quitter son commandement que « sur ordre », il dresse un bilan de son action.

« Deux ans aujourd’hui que je suis arrivé en Afrique. Deux ans de combats violents et tenaces, le plus souvent contre des ennemis très supérieurs.

« En ce jour, je pense aux troupes courageuses qui combattent sous mes ordres, qui ont loyalement fait leur devoir pour leur pays, et mis toute leur confiance dans leur chef.



« J’ai essayé, moi aussi, de faire mon devoir, non seulement dans ma propre sphère, mais aussi sur le plan plus général de notre cause.

« Nous devons faire l’impossible pour surmonter les dangers mortels qui nous assaillent. Malheureusement, tout n’est qu’une affaire de ravitaillement.

« J’espère qu’on approuvera ma décision de rester avec mes troupes jusqu’à la fin. Un soldat ne peut faire autrement. »


Mais lorsqu’il écrit à sa « très chère Lu », Rommel ajoute, dévoilant la cause profonde de ce choix :

« À vrai dire, tout ce qu’on peut souhaiter c’est de rester au front. »

Et d’y mourir si Dieu le veut.


« Je dois ma gratitude et mon admiration à mes troupes, conclut-il, qui, en dépit de la retraite, de la détestable nourriture, de la perpétuelle tension d’esprit, n’ont jamais faibli dans les pires circonstances, gardant jusqu’à la fin la même valeur combative qu’au jour où elles prirent Tobrouk. »

Grâce à ces qualités, « l’armée a pu faire face – selon Rommel – à toutes les difficultés, malgré le haut commandement germano-italien qui, confortablement installé en Europe, ne trouva jamais rien de mieux, comme remède à nos misères, que des ordres de résistance jusqu’au bout ».


Que s’est-il passé d’autre à Stalingrad ?

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