18.

Et la France ?


Molotov, en ce printemps 1943, quand il dessine la situation – et l’avenir du monde –, ne lève son verre qu’aux « Trois Grands ».

Et le diplomate anglais présent lui répond en se félicitant de « voir ainsi grandir comme un enfant vigoureux l’alliance anglo-soviétique ».

Et le représentant des États-Unis se joint à lui en vantant la Grande Alliance qui unit Moscou, Londres et Washington.


Et la France ?


De Gaulle, ces mois-là, prend la parole en toute occasion pour rappeler que la France « constitue un élément fidèle et ardent sans lequel la reconstruction du monde ne serait qu’un mot vide de sens » !

Il demande « compréhension, respect réciproque de la France nouvelle et de ses alliés ».

« On ne se trompe jamais à terme quand on veut croire en la France, on ne regrette finalement jamais de l’avoir aidée et de l’avoir aimée. »


Mais cette place qu’elle revendique aux côtés des Trois Grands, on ne la lui reconnaîtra que si elle est présente sur tous les champs de bataille.


Dès la fin de 1942, il a voulu que sur le front de l’Est l’escadrille Normandie des Forces Aériennes Françaises Libres soit présente.

Au printemps de 1943, les pilotes ont déjà abattu quinze appareils allemands et ils se préparent à affronter cette offensive allemande d’été que les coups de semonce dans la région de Koursk-Orel annoncent.


Le chef d’escadrille, le commandant Tulasne, répond aux journalistes qui l’interrogent que les Français sont prêts.

Ils mangent à la russe. Ils ont appris à aimer la kacha et la soupe aux choux. Mais la viande fraîche est rare. Ils en ont un peu assez du « singe » américain. « Les conditions de vie sont primitives, mais les avions russes – le Yak 1 – dont les Français sont dotés sont très efficaces. Et les jeunes filles des villages voisins sont très amicales. »


Cette escadrille française, bientôt baptisée Normandie-Niemen, est devenue en quelques mois un symbole, mis en avant par de Gaulle et aussi par Staline.

L’un et l’autre veulent affirmer que, face aux Anglo-Américains, leurs nations conservent une marge de jeu.

Et pour la France Combattante de De Gaulle, c’est d’autant plus précieux que d’autres Français sont présents sur le front de l’Est, mais aux côtés des Allemands.


Il y a la Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme (LVF) qui combat sous l’uniforme allemand.

Des Français se sont enrôlés dans la Waffen-SS « française ». Eux aussi portent l’uniforme allemand et en outre prêtent serment au Führer.

Joseph Darnand, le secrétaire général de la Milice, sera membre des Waffen-SS, avec le grade d’Obersturmführer.

En janvier 1943 a été fondée une Légion Tricolore, qui est rattachée à l’armée française, et en porte l’uniforme mais combat sur le front russe.

Une phalange africaine a de même été créée pour « défendre ou reconquérir l’Empire tombé aux mains des Anglo-Américains ».

Elle ne regroupera que quelques centaines d’hommes. Comme la Défense Contre Avions (DCA) française que les Allemands souhaitent voir se mettre en place sur le sol français.


En fait, les Allemands veulent entraîner la France – de Vichy mais après le débarquement américain en Afrique du Nord, le « gouvernement de Vichy » n’est qu’une façade – dans la guerre. Hitler le dit à Laval avec brutalité.


Le Führer reçoit Laval, le 30 avril 1943, à Berchtesgaden.

Le politicien français face à un Hitler morose, distrait, essaie de vanter les perspectives d’une collaboration politique.

Le Führer, suggère Laval, pourrait définir ses buts de guerre, contraindre ainsi les Anglo-Américains à préciser leurs conditions de paix.

Et, selon Laval, la France, entre deux camps, jouerait un rôle d’arbitre, et, pense Laval, retrouverait ainsi sa place de grande puissance.


Hitler écoute à peine, interrompt Laval.

« Faire l’Europe, dit-il, n’a plus qu’un sens : gagner la guerre. Tout ce que l’Allemagne demande aux pays occupés, c’est de contribuer à son effort militaire en fournissant des travailleurs pour ses usines et des combattants volontaires.

« Ce qu’il me faut, conclut le Führer, c’est dix mille avions et vingt mille tanks. »

Laval se penche en avant, murmure :

« Une déclaration en vingt lignes vaudrait vingt mille avions et quarante mille tanks. »

Et comme un bonimenteur, il ajoute :

« Vous devriez me prendre comme secrétaire et m’installer dans un coin, je vous l’écrirais. »


Laval rêvait à une négociation avec le Führer.

Hitler lui a seulement dicté ses exigences. Et Laval s’incline.

Le 5 juin 1943 – alors que les troupes italo-allemandes présentes en Tunisie viennent de capituler –, il évoque son idéal politique.

Il veut assurer à la France une place dans l’Europe de demain, et pour cela être aux côtés des Allemands.

Laval exalte les Français qui combattent sur le front de l’Est, ceux qui partent travailler en Allemagne – 170 000 en quelques mois.


« D’aucuns pensent que j’hésiterais à user de rigueur, poursuit-il. Ils se trompent. J’ai évité, chaque fois que j’ai pu, de heurter trop brutalement la sensibilité de notre pays, mais quand son destin est en jeu, l’indulgence doit faire place à la sévérité. »

Il répète qu’il faut que l’Allemagne gagne la guerre.

« Si les Alliés l’emportaient, le monde anglo-saxon aurait aussitôt à se mesurer avec les Soviets. Et le résultat de cette lutte ne serait pas douteux : le bolchevisme s’installerait partout en Europe. »

Parlant lentement, détachant chaque mot, il conclut :

« La défaite ne peut pas avoir étouffé la voix de la France, mais pour que cette voix puisse porter haut et loin, il faut en finir avec les illusions dangereuses. Trop de Français s’abandonnent. Il faut savoir se soumettre aux disciplines nécessaires.

« J’ai confiance en mon pays. »

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