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La nouvelle de la chute de Mussolini et de son arrestation, celle de l’effondrement du régime fasciste qui, en quelques heures, n’est plus qu’un château de cartes renversé sont connues au Grand Quartier Général du Führer vers 23 heures, ce dimanche 25 juillet 1943. C’est aussitôt dans la Wolfschanze – la tanière du loup – une intense agitation.


Hitler va et vient, d’un pas rapide, comme si l’événement réveillait en lui une énergie assoupie, dont beaucoup croyaient qu’elle était, après Stalingrad, tarie.

Il lance des ordres, convoque à son Grand Quartier Général tous les chefs des différentes armes, de l’État, du Parti.

Rommel, qui se trouve à Salonique et qui a été chargé du commandement de la XIe armée italienne, reçoit vers 23 h 15 un appel du GQG du Führer.

« Tout est changé, note-t-il. Le Duce a été arrêté. Je suis rappelé auprès du Führer. » Situation obscure en Italie.


Rommel arrive à midi à Rastenburg, ce lundi 26 juillet 1943. Dans la Wolfschanze, le Führer tient sa première conférence, entouré de Ribbentrop, de Himmler, de Goebbels, des généraux, des maréchaux. Zeitzler, Guderian, Jodl, Kluge, Keitel sont présents.

« On peut prévoir, dit Jodl, en dépit de la proclamation du roi et du maréchal Badoglio, que l’Italie va sortir de la guerre ou tout au moins que les Anglais vont effectuer de gros débarquements dans le nord du pays. »

Peut-être à Gênes, à Livourne, à La Spezia, au nord de Rome.


Le visage du Führer n’est déformé par aucun tic, il est tendu, concentré. Tous les assistants sont frappés par son calme, tous retrouvent le Führer, source d’énergie.

Il intervient, interrompant Jodl.

Goebbels retranscrit dans son Journal ces premières remarques du Führer.

« La connaissance de ces événements italiens peut encourager certains éléments subversifs en Allemagne, dit Hitler. Ils peuvent croire possible de faire ici ce que le maréchal Badoglio et ses partisans ont accompli à Rome.

« Le Führer donne à Himmler l’ordre de veiller à ce que les mesures de police les plus sévères fussent appliquées au cas où un danger de cette sorte semblerait imminent. »


« Déjeuné avec le Führer après la conférence, note Rommel. Le ministre italien Farinacci, qui a réussi à s’échapper, nous informe qu’on peut s’attendre à voir l’Italie faire des propositions d’armistice d’ici huit ou dix jours. »

« J’espère être envoyé rapidement en Italie », confie Rommel au général Guderian.


Les conférences autour du Führer se succèdent.

Hitler est déterminé comme s’il avait enfin réussi à surmonter cette lassitude, rompue par des colères, qui l’écrasait depuis le début de l’année 1943 et le désastre de Stalingrad, puis celui de Tunisie.

Il charge Rommel de préparer l’entrée de troupes allemandes en Italie, mais bien qu’il soit clair que les Italiens vont trahir, Hitler répète qu’il faut faire mine de respecter la souveraineté italienne.

Il faut être prêt à pénétrer en force, mais pour le moment ne pas franchir la ligne frontière.


« Nous allons jouer le jeu de ce Badoglio, faire mine de croire qu’ils vont continuer la guerre à nos côtés, dit Hitler. Mais nous allons faire le nécessaire pour prendre toute l’équipe d’un seul coup de filet et capturer toute cette racaille. »

Le Führer se tourne vers le général Jodl.

« Des troupes allemandes sont présentes en Italie. Elles doivent être utilisées.

« Jodl, préparez les ordres… Il faut que le commandant de la 3e division de panzers-grenadiers se dirige sur Rome, avec ses canons d’assaut. Il doit arrêter le gouvernement, le roi et toute l’équipe. Avant, je veux le prince héritier. Ensuite, on les laissera mijoter et d’ici deux ou trois jours, nous frapperons un autre coup.

Mein Führer, dit le général d’aviation Bodenschatz, tout est organisé pour les embarquer en avion. »

Hitler frappe ses cuisses du plat de ses mains.

« C’est ça, tout droit à l’avion et en route. »

Il garde le silence, de longues minutes, comme s’il imaginait la scène, puis tout à coup, il lance :

« Je pénétrerai au Vatican. Croyez-vous que le Vatican m’intimide ? Nous allons nous en emparer… Tout le corps diplomatique s’y trouve… Cette racaille… Nous sortirons de là cette bande de salauds… Plus tard, nous présenterons des excuses… »

Après un nouveau silence, il dicte un plan d’action en quatre points.

D’abord, l’opération Eiche (« chêne ») pour libérer Mussolini. Puis l’opération Student (« étudiant ») : occupation de Rome et rétablissement de Mussolini au pouvoir. Enfin, l’opération Schwarz (« noir ») : occupation militaire de toute l’Italie, et l’opération Aschse (« Axe ») : capture ou destruction de la flotte italienne.

La mise en œuvre de ces opérations suppose que les Allemands contrôlent les voies de passage du nord au sud, et s’emparent donc des cols des Alpes, dans le Tyrol, au Brenner.

Les généraux italiens protestent, donnent parfois l’ordre d’ouvrir le feu pour empêcher la progression allemande, mais les unités italiennes laissent passer les divisions de la Wehrmacht.

Le 3 août, la division SS Leibstandarte Adolf Hitler franchit le col du Brenner.

Mais, plus au sud, les Italiens ont barré les routes qui conduisent au grand port de La Spezia où se trouve ancrée la flotte italienne, que les avions anglais n’ont jamais attaquée.

Peut-être est-ce un accord qui annonce la signature d’un armistice entre l’Italie et les Anglo-Américains ?

Rommel s’interroge dans une lettre à sa « très chère Lu » :

« Le Führer ne veut toujours pas que j’entre en Italie, s’imaginant que cela équivaudrait à une déclaration de guerre, les Italiens, dit-il, ayant contre moi que j’ai été le seul général à les conduire à la victoire. »

Rommel précise pourtant que « les éléments antifascistes se mettant en évidence », « une partie de l’opinion italienne s’inquiète du désordre. Le pape lui-même désire maintenant s’appuyer sur nous », conclut-il.


Mais le 9 août, il ajoute :

« Je partirai en avion pour le GQG du Führer d’ici un jour ou deux, mais je n’y ferai qu’un bref séjour.

« La situation est des plus désagréable, avec ces Italiens sur qui l’on ne peut pas compter. Devant nous, ils protestent de leur fidélité à la cause commune, mais ils nous créent toutes sortes de difficultés et négocient dans notre dos à ce qu’il semble. Je ne suis malheureusement pas autorisé à entrer en Italie pour aller parler net à ces propres à rien… »

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