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Pétain, en cette fin décembre 1943, n’est plus qu’un fantoche.
Les Allemands dressent deux listes contenant les noms des personnalités du gouvernement et de l’administration jugées indésirables par les autorités d’occupation.
Les Allemands exigent le renvoi – et annoncent l’arrestation et la déportation, pour certains d’entre eux – de plusieurs centaines de hauts fonctionnaires (préfets, directeurs d’administration).
Après d’âpres négociations, Laval obtient d’Abetz que cette liste soit réduite à quarante noms ! Mais les généraux Laure et La Porte Dutheil – proches de Pétain – sont arrêtés et promis par la Gestapo à la déportation.
René Bousquet, secrétaire général de la Police, doit abandonner son poste alors qu’il a été, collaborant directement avec les SS, l’un des organisateurs de la grande rafle du Vél’ d’Hiv’ en juillet 1942.
En décembre 1943, il donne l’ordre à ses services de détruire de nombreux dossiers. Bousquet sait qu’il va être arrêté par les Allemands, et que son successeur est désigné.
Les Ultras entrent en effet au gouvernement.
Le Waffen-SS Joseph Darnand devient secrétaire général au Maintien de l’Ordre.
Philippe Henriot, la « voix » des Ultras, le propagandiste talentueux, est nommé secrétaire d’État à l’information et à la Propagande.
Pétain n’a pas accepté l’entrée au gouvernement de Marcel Déat – coupable d’avoir dans de nombreux éditoriaux fustigé les attentistes de Vichy.
Mais ce n’est que partie remise puisque Pétain a décidé de ne pas signer lui-même – or il est chef de l’État – les nominations au gouvernement dont Laval est ainsi le seul maître.
Et Pétain, ce jeudi 30 décembre 1943, en buvant paisiblement une infusion chaude, se félicite de la « victoire » qu’il vient de remporter en se désolidarisant de décisions qui lui déplaisent, mais en laissant Laval les mettre en œuvre !
Mais qui, hors du cercle étroit des Ultras, prête encore attention à cette guerre des antichambres que se livrent à l’hôtel du Parc Pétain et Laval ?
En fait, les Français sont suspendus aux nouvelles qui parviennent depuis les émetteurs de la BBC à Londres en dépit des brouillages.
Et chaque auditeur est certain que l’année 1944 sera celle du Débarquement, de la Libération.
Au 30 décembre 1943, sur le front de l’Est, l’armée Rouge enfonce les lignes allemandes tout au long de 300 kilomètres. Elle progresse en profondeur de 50 à 100 kilomètres, et reprend mille agglomérations.
Dans le Pacifique, les Américains chassent île après île les Japonais des territoires qu’ils avaient conquis en 1941-1942. L’US Air Force est maîtresse du ciel et commence systématiquement à bombarder le Japon.
Sur le front d’Italie, la bataille est engagée par les Anglo-Américains et le corps expéditionnaire français dans les Apennins, sur le fleuve Garigliano. C’est le sort de Rome qui se joue.
Sur mer, les Alliés ont déjà remporté la victoire.
Jamais autant de convois n’ont traversé l’Atlantique avec aussi peu de pertes.
Et le 26 décembre, au large du cap Nord, la Royal Navy coule le croiseur Scharnhorst, le fleuron de la marine allemande.
Quant au ciel d’Europe, il appartient aux Alliés.
Dans les derniers jours de décembre, ils déversent des milliers de tonnes de bombes sur l’Allemagne, au cours de 3 000 sorties de bombardiers !
Dans chaque nation d’Europe occupée, la Résistance multiplie les sabotages, les attentats.
En France, le Conseil National de la Résistance affirme :
« La Résistance doit se battre ou disparaître.
« Après avoir agi de façon défensive, elle a pris maintenant un caractère offensif et seul le développement offensif des Français contre l’ennemi permettra à la Résistance de subsister et de vaincre. »
En ce mois de décembre 1943, la Résistance livre jour après jour la « bataille du rail ».
Lignes et ponts coupés, locomotives sabotées dans les dépôts des gares, trains allemands détruits sont quotidiens.
Le maquis de Bourgogne fait « sauter » plus de 200 permissionnaires dans un train de la Wehrmacht. À Dieppe, 17 locomotives sont endommagées. Plus de 220 coups de main ont lieu durant le seul mois de décembre contre le système ferroviaire dont 109 sur le réseau sud-est ! Les grandes lignes sont interrompues souvent pour plusieurs jours.
Les pertes allemandes sont élevées ; plusieurs dizaines de soldats tués à chaque déraillement d’un train de permissionnaires.
Aux réseaux de résistance, aux maquis s’ajoutent les réseaux anglais du Special Operation Executive (SOE) qui organisent, dirigent, arment des milliers de Français qui échappent ainsi au contrôle et aux directives de la France Combattante, suscitant parfois la suspicion du Bureau Central de Renseignements et d’Action (BCRA) gaulliste.
En fait dirigés par des Britanniques, les groupes du SOE mènent une action efficace, créent des stocks d’armes en vue de leur intervention le jour du Débarquement.
Les représailles allemandes, les attaques menées par les forces de l’ordre de Vichy répondent à ce développement rapide des effectifs et des actions de résistance.
Les troupes allemandes, assistées de miliciens, de Groupes Mobiles de Réserve (GMR), commencent à encercler les maquis des Glières, du Vercors, de l’Ain.
On rafle, on torture, on déporte, on exécute.
Ce qui se passe en Haute-Savoie, en ce mois de décembre 1943, annonce les massacres à venir, révèle aussi la confiance – et l’inconscience – des jeunes « réfractaires » qui imaginent que l’ennemi a accepté sa « défaite annoncée ».
Le soir de Noël, une colonne allemande guidée par une « indicatrice » qui a promis de leur livrer les maquisards de la vallée de Boëge, en Haute-Savoie, cerne la salle des fêtes du village d’Habère-Lullin.
De jeunes maquisards y dansent, célébrant Noël, insouciants.
On les a prévenus de l’avance d’une colonne allemande de SS. Ils n’ont pas tenu compte de l’avertissement.
Les SS hurlent, et l’indicatrice désigne 22 garçons, les « maquisards » : alignés face au mur, ils sont abattus à la mitraillette.
Et alors que montent encore des cris et des gémissements de l’amoncellement des corps, les Allemands mettent le feu à la salle des fêtes.
Ils attendent que celle-ci soit consumée pour regagner Annemasse en emmenant les autres jeunes gens. Emprisonnés, leur identité ne sera révélée à leurs familles qu’après plusieurs jours.
La dénonciatrice, connue seulement sous le sobriquet de « la Marseillaise », a été arrêtée par les Allemands, pour donner le change, en même temps que les jeunes gens. Libérée quelques jours plus tard, elle est abattue par un Groupe Franc de la Résistance.
Tout au long du mois de décembre 1943, des patriotes sont ainsi trahis, livrés, massacrés.
Mais l’élan n’est pas brisé. La nécessité et l’impatience poussent vers le maquis les « réfractaires » au Service du Travail Obligatoire.
« Souvent, le dimanche, dans cette France occupée, on rencontre sur une route isolée du Vercors un autocar arrêté. On entend des coups de feu : ce sont des volontaires des “compagnies civiles” qui viennent de Grenoble, de Romans, de Die, faire leur instruction militaire sous la direction des cadres du maquis.
« Des équipes volantes composées de professeurs, de médecins, d’architectes, d’officiers de réserve, viennent dans les maquis faire des conférences, tenir les maquisards au courant de la situation politique et de la guerre, maintenir leur moral, briser leur isolement. »
Débarquement, insurrection nationale, Libération : les mots enivrent les jeunes patriotes.
De Gaulle, le 24 décembre 1943, dans un discours radiodiffusé à Alger, exalte leur engagement, unissant ensemble les résistants et les soldats engagés aux côtés des Alliés, en Italie.
« Tous, ils sont notre peuple, le fier, le brave, le grand peuple français dont nous sommes.
« Qu’importe, dans le drame présent, nos divergences et nos partis. Estimons-nous ! Aidons-nous ! Aimons-nous ! »
Mais de Gaulle veut les avertir.
« Devant l’étoile de la Victoire qui brille maintenant à l’horizon, Français, Françaises ! Unissons-nous pour les efforts suprêmes ! Unissons-nous pour les suprêmes douleurs ! »
FIN
[1] Voir Staline, la cour du Tsar rouge, par Simon Sebag Montefiore, Paris, Éditions des Syrtes, 2005.
[2] Alias Caracalla, Paris, Gallimard, coll. « Témoins », 2009.
[3] Cité par Saul Friedländer, Les Années d’extermination. L’Allemagne nazie et les Juifs, 1939-1945, Paris, Le Seuil, 2008. Un livre essentiel.
[4] In Saul Friedländer, op. cit.
[5] Poème de Milosz, in Saul Friedländer, op. cit.