9.

La guerre totale ?

La minorité de Français qui ont pris le nazisme et le IIIe Reich pour idéologie et pour modèle la désirent.


Ils se proclament nationaux-socialistes.


Joseph Darnand – héros de 14-18 et de 39-40, ancien combattant donc, membre dans les années 1930 de la Cagoule, l’organisation secrète liée au fascisme italien –, ou Marcel Déat – qui fut socialiste –, ou Jacques Doriot – qui fut communiste –, ou Philippe Henriot – qui vient de l’extrême droite et fut député – ne cachent pas leur but : ils veulent préparer « l’avènement en France d’un État autoritaire et populaire ».


La guerre totale – la Totalkrieg –, ils la souhaitent.

Ils la vivent déjà et le désastre de Stalingrad rend urgente sa mise en œuvre.

Ils veulent en finir avec la « modération », les « prudences », les « précautions » et les calculs des « politicards de Vichy ».

Eux, à Paris, savent qu’ils sont déjà condamnés à mort par la Résistance.

Radio-Londres les accuse chaque jour de trahison. Des « tribunaux patriotiques » les ont jugés, leur ont fait parvenir les attendus du jugement et souvent un symbolique petit cercueil.

Ils lisent sur les murs leur nom, suivi de « au poteau » !


Pierre Laval, le chef du gouvernement, est proche d’eux. Il souhaite lui aussi la « victoire de l’Allemagne ».

Mais ce politicien retors est un manœuvrier. Il accepte la fin violente qu’on lui annonce. Il a déjà été victime d’un attentat. Mais il cherche aussi une issue, le moyen d’échapper à ce destin – « douze balles dans la peau, le poteau » – qu’on lui promet. Il est l’incarnation du double jeu.

Il a en juillet 1940 aboli la IIIe République, mais il reste en relation avec des parlementaires qui en sont issus, avec le grand radical Édouard Herriot qui fut président de la Chambre des députés.

Cependant il croit aussi qu’il lui faut l’atout d’une « force militaire » qui permettrait d’endiguer la montée de la Résistance, la naissance des maquis.

Il juge ces manifestations suicidaires, produit d’une « folie collective entretenue par la propagande étrangère, soutenue par des espoirs illusoires chez trop de Français ».

La « force militaire » qu’il veut créer rétablira l’« équilibre », donnera au chef du gouvernement la possibilité de « manœuvrer » et de contrôler les nationaux-socialistes.

« C’est un avertissement très clair et très ferme, dit-il. Je souhaite qu’il soit entendu pendant qu’il en est temps encore. »


Mais la guerre totale ?

C’est aussi une autre façon de dire « guerre civile » !


Elle a commencé.

Les « gestapistes » allemands et leurs auxiliaires français, les policiers des « brigades spéciales », les juges des « sections spéciales » traquent les « communistes », les gaullistes, les saboteurs, les Juifs, les réfractaires, qu’ils désignent sous le nom de terroristes.

Et il est vrai que ces « partisans » tuent, organisent des attentats contre les Allemands, détruisent les sièges des partis de Doriot, de Déat, font sauter place de la Sorbonne, à Paris, la librairie « allemande », vitrine de la collaboration intellectuelle.

C’est là que Lucien Rebatet a dédicacé son livre Les Décombres qui remporte un immense succès.


Contre la Résistance – cette « armée du crime », comme disent les propagandistes de l’« Ordre nouveau » –, il faut mobiliser toutes les énergies « nationales » ouvertes à la Nouvelle Europe de Hitler, organiser une force « politico-militaire » qui agira aux côtés des « forces de l’ordre » mais conservera son autonomie, et sera une véritable armée, comme le sont les SS.

Cette milice affrontera les partisans communistes – qui sont souvent des immigrés regroupés dans la Main-d’Œuvre Immigrée (MOI).

Ce sera la guerre totale entre la Milice française et l’« armée du crime ».


Joseph Darnand a déjà créé, au sein de la Légion des combattants, un Service d’Ordre Légionnaire (SOL), qui réunit les anciens combattants décidés à se battre encore.

Mais le temps n’est plus aux demi-mesures. Totalkrieg !

Après Stalingrad, après le débarquement des Américains en Afrique du Nord, après la naissance des maquis, la multiplication des attentats et des sabotages, le refus du Service du Travail Obligatoire, il faut agir, les armes à la main.

Mort aux gaullo-communistes !


« Il serait vain, dit Darnand, de dénombrer toutes les causes de troubles et de désordre. Un danger domine tous les autres, le bolchevisme. »

La Milice française, et en son sein une unité d’élite les Francs-Gardes, feront face, sèmeront la terreur chez l’ennemi.

Guerre civile ? Pourquoi pas ? Comme en Espagne en 1936, et Franco l’a emporté !

Le chef de cette Milice française sera Pierre Laval, et son secrétaire général, Joseph Darnand.


Pétain donne son accord, dès le 5 janvier 1943.

Une loi du 30 janvier 1943 publiée au Journal officiel sous le numéro 63 définit les statuts et les buts de la Milice française. Le dimanche 31 janvier à l’hôtel Thermal à Vichy, a lieu la cérémonie de constitution, suivie des prestations de serment et des discours.

À la tribune, Abel Bonnard, ministre de l’Éducation nationale et académicien, deux secrétaires d’État, Darnand naturellement, puis arrive le chef de cette milice, Pierre Laval.

Les nouveaux miliciens prêtent serment avant d’entonner le refrain de la Milice :


« À genoux nous fîmes le serment

Miliciens de mourir en chantant

S’il le faut pour la nouvelle France,

Amoureux de gloire et de grandeur

Tous unis par la même ferveur

Nous jurons de refaire la France

À genoux nous fîmes ce serment. »


Darnand prend la parole, fixe les buts de la Milice et, en son sein, du corps d’élite les Francs-Gardes.

« C’est le salut de la France que nous poursuivons à travers cette révolution que nous portons en nous », dit-il.

Tourné vers Pierre Laval, Darnand conclut :

« Monsieur le président, une force s’est levée. Vous en prenez le commandement. Cette force n’a jamais manqué à ses chefs. Elle ne vous manquera pas.

« Donnez-nous les moyens et vous ne serez pas déçu. »


« Vous n’êtes qu’une minorité, répond Laval. Mais je préfère la qualité au nombre… Je serai votre chef… »

Il rappelle l’effroyable péril que représente pour la civilisation européenne le bolchevisme.

« Nous devons tout faire, par tous les moyens, pour empêcher que notre pays connaisse ce malheur. Je voudrais que la France comprenne qu’elle devrait être tout entière avec l’Allemagne pour l’empêcher. »

Encore quelques mots, puis une ovation salue le discours de Laval, et l’assistance debout chante La Marseillaise.


Laval avait dit : « Je voudrais que vous vous montriez très sévères dans le recrutement de vos membres. »

Vœu pieux.

Aucune vague d’adhésion ne marque en ces premières semaines de l’année 1943 la naissance de la Milice, dont les effectifs ne dépasseront jamais 15 000 hommes.

Et très vite les « jeunes gens » à l’esprit de croisade, les étudiants maurrassiens, des adolescents, laissent la place à des repris de justice qui espèrent, protégés par l’uniforme, réaliser en toute impunité des opérations frauduleuses : larcins, extorsions de fonds, chantage.

Les Juifs traqués, les familles des réfractaires sont des proies faciles.

On dissimule, sous les mobiles politiques affichés, des actes de délinquance.

On spolie, on torture, on assassine, on fusille. On mène aux côtés des troupes allemandes des opérations contre les maquis.


Les chefs sont à l’image des miliciens qu’ils recrutent.

« Patriotes dévoyés » comme Darnand, ou fanatiques comme Joseph Lécussan ; cet officier de marine alcoolique au physique de colosse brutal est anglophobe, anticommuniste, antisémite.

Dès 1941, à Toulouse, comme responsable régional du Commissariat aux questions juives, il a sévi.

Certains de ses séides, étudiants en médecine, lui offriront une étoile de David, en peau humaine tannée, découpée sur un cadavre.


Le 29 avril 1943, le maréchal Pétain s’adresse aux chefs régionaux de la Milice.

« La Milice a pour priorité, dit le Maréchal, le maintien de l’ordre, la garde des points sensibles, la lutte contre le communisme… »

Le Maréchal poursuit avec solennité :

« N’oubliez pas non plus que l’une de vos principales préoccupations doit être de gagner le cœur de la population. Vous devez pour cela montrer au pays l’exemple de la discipline et d’une vie privée sans tache.

« Éloignez de votre sein les éléments douteux… Préférez la qualité au nombre… Évitez l’esprit partisan et les représailles inutiles, sources de conflits et de vengeance.

« Basez au contraire votre propagande sur les réalités en faisant appel au bon sens de chacun… »


Quelles « réalités » connaît le Maréchal, en cette année 1943 où il va célébrer son quatre-vingt-septième anniversaire ?


En 1943, le chef régional de la Milice à Lyon se nomme Joseph Lécussan.

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