16.

La chasse aux Juifs – aux quelques survivants du ghetto, à ces hommes et à ces femmes aux « yeux tristes » – est donc plus que jamais ouverte à Varsovie, en ce printemps de 1943.


Le général Stroop indique que la police polonaise a été autorisée à verser un tiers des espèces saisies à chacun de ses hommes arrêtant un Juif dans la partie aryenne de Varsovie.

« Cette mesure a déjà produit des résultats », précise le général SS.

Il a aussi fait apposer des affiches rappelant que quiconque cache un Juif sera exécuté.


Mais ce ne sont pas seulement la rapacité, la peur ni même l’antijudaïsme qui animent les « chasseurs de Juifs » ou expliquent l’indifférence des Polonais, détournant la tête pour ne pas voir brûler le ghetto et les insurgés juifs.


Le vent des maisons incendiées

Apportait de sombres lambeaux

Ils attrapaient en l’air des cendres

Ceux qui allaient au manège

[…]

Et les gens riaient heureux

Ce beau dimanche de Varsovie[5].


« Dans sa grande majorité, continue le général SS, la population polonaise a approuvé les mesures prises contre les Juifs. »


C’est qu’en ce mois d’avril 1943, celui de l’insurrection du ghetto de Varsovie, les Allemands ont découvert, dans la forêt de Katyn, près de Smolensk, des fosses remplies par les cadavres de 4 443 officiers polonais abattus d’une balle dans la nuque, en 1940, par la police secrète soviétique, le NKVD.

Et Goebbels s’est emparé de cet événement qui confirme la complicité criminelle des Juifs et des bolcheviks.

Katyn serait le produit monstrueux de cette union maléfique, le commissaire politique juif et communiste.


Les Polonais ne doutent pas de la responsabilité des Russes.

Ils les ont subis quand, en 1939, les Soviétiques ont occupé 201 000 km2 de territoire polonais peuplé de 13 millions de personnes. Et cela en vertu des protocoles secrets du pacte germano-soviétique de non-agression d’août 1939.

Ils ont vu les Russes arrêter, torturer, déporter tous ceux qui incarnaient le patriotisme polonais.


Les Juifs polonais ont d’abord salué cette occupation russe qui les protégeait de l’antisémitisme.

Puis ils ont découvert la réalité du régime soviétique. Parmi les déportés polonais envoyés au goulag, un sur trois est juif. Et 100 000 d’entre eux disparaissent dans ces transferts. Mais rien n’y fait. L’engouement initial des Juifs pour les Russes, les Polonais ne l’ont pas oublié.

Les 4 443 officiers polonais enfouis dans les fosses de la forêt de Katyn, personne ne doute qu’ils n’aient été abattus par le NKVD. Et cette police politique russe a protégé les Juifs, un temps, en 1939.


Lorsque, en avril 1943, le général Sikorski, chef du gouvernement polonais en exil à Londres, entre dans le bureau de Churchill au 10, Downing Street, il évoque la responsabilité des Russes dans le massacre de Katyn.



« Ils ont voulu assassiner l’élite polonaise, dit-il. Il faut exiger de Staline la vérité. »

Churchill, massif, immobile, le visage enveloppé par la fumée de son cigare, laisse longuement parler Sikorski, qui analyse les intentions soviétiques. Ils veulent annexer les territoires de l’Est polonais. La cruauté de cette exécution de masse est équivalente à celle des Allemands.

Le doute sur le crime des Russes n’est pas permis.

« S’ils sont morts, rien ne pourra les faire revenir », dit Churchill.

Il se lève, poursuit tout en mâchonnant son cigare :

« Nous devons vaincre Hitler, et ce n’est pas le moment de provoquer des querelles ou de lancer des accusations. »

Le général Sikorski rappelle que, depuis 1941, il se préoccupe du sort de ces officiers. Et les Russes n’ont jamais donné de réponse précise.

On comprend pourquoi. Il faudrait que la Croix-Rouge internationale ouvre une enquête.

Churchill secoue la tête. Jamais Staline n’acceptera. Et le Premier ministre anglais répète :

« Il faut vaincre Hitler. »


Mais il est déjà trop tard pour éviter les « querelles ».

Les Russes accusent Goebbels et son « gang de menteurs », ces « assassins professionnels qui ont fait une boucherie de centaines de milliers de Polonais en Pologne ne tromperont personne ».

La Pravda accuse les Polonais d’avoir mordu à l’hameçon allemand.

La requête adressée à la Croix-Rouge internationale par le ministère polonais de la Défense « témoigne d’un désir d’apporter un appui direct aux falsificateurs et aux provocateurs hitlériens ».

« Les Allemands occupant la Pologne se sont mis d’accord avec l’entourage du gouvernement Sikorski. »

Et le 27 avril 1943, les Russes suspendent leurs relations diplomatiques avec le gouvernement polonais de Londres.


Churchill n’est pas dupe des accusations soviétiques. Staline veut faire de la Pologne sa chasse gardée. Il prépare en ce printemps de 1943 l’après-victoire. Il va créer un gouvernement polonais en exil à Moscou, le doter d’une armée polonaise combattant aux côtés des Russes. Ce sera la division Kosciuszko, comme il y a une escadrille française en Russie, l’escadrille Normandie-Niemen, ou une division tchécoslovaque, et un Comité pour l’Allemagne Libre.


Les intentions de Staline sont claires. Créer en Europe à la fin de la guerre une zone d’influence soviétique.

Et il faut pour cela « liquider » les officiers, les policiers, les agents des douanes polonais.

Les serviteurs de l’État polonais formaient un groupe de 15 000 personnes, partie importante de l’armature de la société polonaise.

Quatre mille quatre cent quarante-trois sont dans les fosses de la forêt de Katyn.

Et les autres, où sont-ils ? Morts à l’évidence, mais tués où ?

Sur 15 000, 450 environ, les communistes et ceux jugés aptes à se convertir, ont été épargnés.


Mais ceux qui sont morts, Churchill le répète : « Rien ne pourra les faire revenir. »

Загрузка...