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Elle était là, la longue maison basse de Paul Déméter, mais elle s’est soudain dérobée, dissimulée par une nappe de brouillard accrochée à elle et masquant aussi le ciel.

J’ai été enveloppé par cette humidité gluante et j’ai frissonné, avançant en aveugle, bras tendus, m’étonnant de ne pas rencontrer la façade vers laquelle j’avais cru me diriger.

Brusquement le brouillard s’est dissipé et, dans la lumière étincelante d’un soleil en majesté, j’ai découvert une petite chapelle située à l’arrière de la maison, et, autour d’elle, dispersées, une dizaine de vieilles tombes, dalles grises souvent fendues, surmontées de croix de fer rouillées, certaines penchées, prêtes à tomber, comme si on avait tenté de les desceller.

J’ai marché entre ces tombes qui, recouvertes de touffes d’herbes, longs cheveux mêlés surgissant des fissures de la pierre, ne livraient plus l’identité de l’enseveli. Peut-être tous ces morts avaient-ils appartenu à la même lignée ?

J’ai imaginé Paul Déméter passant comme moi parmi ces dalles, ces stèles, ces croix rappelant que la mort elle aussi s’efface, que l’effort pour maintenir vive la mémoire est vain. À moins que tout, vivants et morts, les uns devenant les autres, et ceux-ci, ceux-là, n’ait été annoncé, écrit pour toujours dans ce livre qui me collait à la peau, plaqué contre ma poitrine, l’Apocalypse de Jean ?

J’avais cru en finir avec ces prophéties, mais, au milieu de ces tombes abandonnées, des versets jaillissaient de ma mémoire et je voyais les mots s’inscrire, flamboyants, devant mes yeux en même temps qu’ils résonnaient en moi comme si j’avais été une chambre d’écho.

Le livre battait comme un autre cœur, scandant chaque mot. Il me dictait des versets que j’avais jusqu’alors ignorés, oubliés, alors même qu’ils ordonnaient le destin des hommes.

Un ange est descendu du ciel « avec la clé de l’abîme et une grande chaîne dans la main. Il a tenu le Dragon, l’antique Serpent qui est le Diable et le Satan, et il l’a enchaîné pour mille ans.

« Il l’a jeté dans l’abîme et il a fermé et scellé par-dessus, afin qu’il n’égare plus les nations jusqu’à la fin des mille ans. Après quoi, il peut être délié pour peu de temps.

« Et les morts qui ont été décapités à cause du témoignage de Jésus, qui ne se sont pas prosternés devant la Bête et devant son image, et n’en ont pas reçu la marque au front et dans la main, ont revécu et ils ont régné mille ans avec le Christ.

« Le reste des morts n’ont pas revécu avant la fin des mille ans.

« Telle est la résurrection première. Magnifique et saint, quiconque a part à la résurrection première !

« À la fin des mille ans, le Satan sera délié de sa prison. Il sortira pour égarer les nations aux quatre coins de la terre… »

Je me suis penché sur chacune des tombes. J’ai écarté les herbes pour tenter de lire un nom, une date, reconstituer une vie. En vain.

Puis j’ai lentement fait le tour de ce cimetière enfoui sous les herbes et dans l’oubli.

Comment croire que l’un de ces défunts avait pu ici échapper à la terre, à la décomposition ?

Pas de miracle en ce lieu, pas de Lazare, pas de Christ, pas de résurrection première. Mais le pourrissement des chairs qui nourrissent une végétation ébouriffée, vivace, née de la mort.

C’est elle qui triomphait. Le Diable avait été libéré de ses liens. Il incitait les hommes à s’entr’égorger, à s’entre-dévorer. Il rassemblait les peuples afin qu’ils s’anéantissent dans une guerre toujours recommencée.

Leur nombre était comme le sable de la mer. Ils envahissaient toute la largeur de la terre. Ils cernaient le camp des saints et la ville aimée.

Ainsi prophétisait le livre de l’Apocalypse de Jean.

Je l’ai rouvert en marchant vers la chapelle.

« Que celui qui a soif vienne, que celui qui veut reçoive gratis l’eau de la vie ! »

Mais Déméter avait été égorgé, mais Marie la décharnée comme mon père l’asphyxié arboraient le regard des morts.

Le Diable les avait égarés.

On les avait jetés dans l’étang de feu, et ce serait bientôt la fin des temps.

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