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Elle s’est assise près de moi. J’ai passé mon bras sur ses épaules et il me semble que nous sommes restés ainsi silencieux dans l’intense chaleur du plein soleil.

J’essaie de résister au tourbillon de la mémoire qui emporte ces images chastes, les premières. Mais il m’entraîne dans la bergerie où nos yeux éblouis avaient peine à distinguer les objets, les meubles, et nous tâtonnions, serrés l’un contre l’autre, basculant sur le lit.

J’avais hâte de mordre avec fureur ces lèvres, ces seins, ce sexe. Je n’étais plus qu’un homme avide de cette proie juvénile qui se laissait déshabiller, bras écartés, tandis que j’embrassais ses aisselles, son cou, son ventre et au-delà.

C’était toujours le silence, seulement brisé par nos respirations haletantes, le cri que j’ai poussé. Après, couché sur le dos, mes yeux, désormais habitués à la pénombre, ont distingué les traits de Marie, ont croisé son regard fixe.

Tout à coup, je n’ai pu maîtriser mon émotion.

Je n’étais plus l’homme mûr au corps déjà lourd, impatient d’être rassasié, mais un être fragile déjà miné par la mort et la culpabilité. Un père qui dressait son acte d’accusation, qui passait des aveux que nul n’exigeait, sinon lui-même, qui ressentait le besoin de s’épancher dans l’espoir qu’il serait pardonné, aimé, qu’on aurait pour lui compassion et pitié.

Je m’étais servi de ma fille morte comme d’un alibi. J’avais avoué ma culpabilité afin d’attendrir et même de séduire, pensant qu’être ainsi porteur d’un « crime » par abandon me vaudrait gloire et attrait, à l’instar des monstres.

Comme pour marquer que j’étais au-delà de la souffrance d’un homme quelconque, j’ai raconté d’un ton qui se voulait glacé l’agonie de Marie, mon égoïste aveuglement, comment j’avais refusé de la voir morte.

Claudia s’est tue, figée, allongée à l’écart de moi qui m’étais assis sur le rebord du lit, coudes sur les genoux, poings sous le menton.

« Allons jusqu’à la grotte », a-t-elle dit comme si elle n’avait pas prêté attention à ma confession.

Peut-être avait-elle dormi pendant que je parlais, peut-être avais-je parlé si bas qu’elle n’avait pas compris un traître mot de ce que je disais.

Elle s’est habillée en trois ou quatre gestes – jean enfilé sur son corps nu, chemise de soie blanche dont elle a noué les extrémités sans la boutonner, laissant ainsi voir ses seins.

Je n’ai pas bougé, fasciné par sa désinvolture, sa jeunesse, ses cheveux noirs qu’elle rassemblait en chignon, les retenant par un ruban doré.

Je me suis senti engoncé dans un corps pesant et j’ai eu honte d’avoir oublié ce quart de siècle qui me séparait d’elle.

Marie aurait été plus vieille que Claudia d’au moins sept ou huit ans.

Mais elle était morte et j’étais encore vivant avec mes désirs, mon avidité à les satisfaire. J’ai eu un mouvement de dégoût pour ce tas de chair désirante qu’était encore mon corps vieilli, adipeux.

« Je vous attends dehors », a murmuré Claudia en passant devant moi sans un regard.

J’ai eu honte de ma nudité, de ma soumission, car je savais que j’allais la rejoindre, subir son ironie, je devinais qu’elle m’appellerait « Monsieur le Professeur » alors que je me tiendrais agenouillé devant elle.

Elle s’est arrêtée sur le seuil et, tournée vers moi, tête penchée, mutine, elle a répété qu’elle m’attendrait là-bas, sous les oliviers.

« Dépêchez-vous, Maître ! » a-t-elle ajouté en riant.

J’ai eu le sentiment de ma déchéance, du marché de dupes que j’avais accepté en me livrant aux exigences de la chair. J’avais renoncé à toutes ces pensées, à la foi même autour desquelles j’avais organisé ma vie, ma réflexion depuis la mort de Marie.

Qu’y avais-je gagné ?

Une brève euphorie, une bouffée de vanité, un fugace apaisement.

Et puis ce vide devant moi, ce gouffre du mépris et de la haine de soi vers lequel je me précipitais, m’habillant à la hâte, criant à Claudia que je la rejoignais, qu’elle m’attende, qu’elle m’attende !

Je la suppliais comme un naufragé.

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