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J’ai brisé le septième sceau.
« Et j’ai vu les sept anges qui se tiennent devant Dieu, et on leur a donné sept trompettes », écrit Jean dans l’Apocalypse. Chaque nuit, durant plus d’une année, « sept tonnerres ont fait parler leurs voix ».
Et, dans le verset 7 du chapitre VIII, Jean l’Apôtre exprime ce que nuit après nuit j’ai ressenti :
« Ç’a été de la grêle et du feu mêlés de sang et jetés sur la terre, et le tiers de la terre a brûlé, le tiers des arbres ont brûlé, toute herbe verte a brûlé. »
Tel fut mon cauchemar quotidien.
C’est moi qui étais enseveli dans le petit cimetière de Patmos, là où avait été inhumé Déméter.
Il avait légué sa bergerie à la communauté monastique de Haghios Ioannis Théologos, et Monseigneur Skiathos avait accepté que le corps du suicidé repose entre les vieilles dalles, parmi les herbes folles.
Je devenais fou. Je grattais furieusement le couvercle du cercueil et me réveillais en sursaut, étouffé par la Bête qui me maintenait enseveli.
Je hurlais. J’étais devenu Paul Déméter. J’étais son double, sa réincarnation, son cadavre.
J’ai entrepris de coucher noir sur blanc ce que je ressentais, et d’abord ce que chaque nuit me donnait à voir :
« L’ange a pris l’encensoir, il l’a empli du feu de l’autel et l’a jeté sur la terre, et ç’a été des tonnerres, des voix, des éclairs et une secousse.
« Une grande étoile ardente comme une torche est tombée du ciel. »
Je réécrivais ce que Déméter lui-même avait écrit et concluais chaque page, chaque nuit, par ces lignes :
« Je dois accomplir les gestes que ma fille Marie a eu le courage de faire.
« Telle est ma seule espérance.
« Voici mes poignets, voici ma gorge.
« Mort, tends-moi ta faux, ta lame aiguisée !
« Et que mon sang coule ! »
L’idée d’aller à la rencontre de la Mort, de la devancer, de la contraindre à me frapper afin d’échapper à l’angoisse de l’attente, de choisir, moi, homme libre, le moment, m’a obsédé.
C’est alors que j’ai pris la décision de retourner à Patmos. Il m’a suffi de quelques heures pour justifier et organiser mon départ : médecin, congé maladie, agence de voyages, sac contenant vêtements et livres, et, après tant de jours et de nuits d’angoisse et d’insomnie, la paix en moi.
J’étais en route pour la fin du voyage.
Paul Déméter avait dû éprouver ce même sentiment de libération, quand la décision est prise, qu’il ne suffit plus que d’accomplir quelques gestes pour que le rideau tombe.
Puis je suis entré dans le hall de l’hôtel Xénia, à Skala.
J’ai vu cette jeune femme dont les cheveux noirs, mi-longs, tombaient sur l’épaule droite, et j’ai su aussitôt qu’il s’agissait de Claudia Romano.
Elle était grande et frêle. J’ai pensé : décharnée ; Claudia, ma décharnée.
Quand je l’ai interpellée, elle ne s’est pas dérobée.
« Vous, ai-je commencé, vous n’avez rien dit. »
Je l’ai fixée, plongeant dans ses yeux.
« Vous n’avez pas voulu ou pas pu mentir. »
Elle a baissé la tête.
« Racontez-moi. »
Je l’ai rassurée – je me suis rassuré – en enveloppant ses épaules de mon bras.
« Racontez-moi. Vous avez besoin de parler, et moi d’entendre. »