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Apocalypse et Espérance


III

« Tu dis : “Je suis riche, je me suis enrichi, je n’ai besoin de rien”, et tu ne sais pas que tu es malheureux, pitoyable, pauvre, aveugle et nu. »

Apocalypse de Jean, III, 17.

Je suis entré dans la grotte de l’Apocalypse.

J’ai vu la pierre qui servait d’écritoire à Prochoros, le scribe et disciple de Jean.

Je me suis appuyé à la paroi, là où l’Évangéliste avait coutume de se tenir lorsqu’il dictait les versets de l’Apocalypse.

J’étais seul, noyé dans le silence et la pénombre, et pour qu’une voix résonne en ce lieu où avaient été énoncées les prophéties, j’ai prié :

« Notre Père qui êtes aux cieux, que Votre nom soit sanctifié et que Votre règne arrive. »

Puis j’ai dit les premiers mots des versets 8 et 15 du chapitre III de l’Apocalypse de Jean :

« Je sais tes œuvres… »

Je me suis alors souvenu de ces immenses cavernes que sont, dans toutes les Babylones, les bourses, les banques, les salles de marchés, ces grottes hurlantes où des centaines d’hommes gesticulent et crient dans la violente lumière qui éclaire des chiffres évanescents.

La passion de millions d’hommes pour le profit, la richesse, l’or et tous les biens explose dans ces grottes du Diable. Et les destins des milliards d’êtres vivant sur cette terre se jouent là, dans la fureur des cris et des corps.

Loin, dans les rizières, des paysans courbés sur la boue ignorent que le prix de leur travail est fixé dans ces cavernes. Sur les pelouses de maisons des antipodes, des enfants insouciants n’imaginent pas que demain leurs demeures seront saisies et que leurs parents endettés, démunis, ne seront plus que des errants.

Car la vague déferlante, la plus haute, s’est abattue sur le monde et a renversé les étals des marchands du Temple. Elle a envahi leurs cavernes, noyé ceux qui se croyaient maîtres de l’or.

Et des milliards d’innocents ont été ruinés, dépouillés, emportés dans la tourmente.

Les hommes sont comme les fourmis affolées quand on fouaille et culbute d’un coup de bâton leur fourmilière.

Certains doutent, quelques voix s’élèvent. Le monde vacille ! crient-elles.

Une vie qui n’a eu pour sens et finalité qu’entasser des biens est vouée à l’Enfer.

Un monde où l’on ne s’interroge pas sur le sens et la finalité de la vie court vers l’abîme.

Mais la vague est passée. Les hommes croient qu’il leur suffit de reprendre le cours des choses comme si l’eau noire qui avait déferlé, évaporée, n’avait été qu’un bref cauchemar.

Les fourmis reconstruisent leur édifice. Les salles de marchés, les bourses et les banques, ces cavernes dans des palais de marbre s’illuminent à nouveau dans le vacarme des voix. On lance des chiffres, des ordres – j’achète, je vends –, et les corps gesticulent, les bras se tendent, les mains s’agitent.

À nouveau, au-dessus des cavernes du Diable, on dresse les tours de l’illusion. Les plus riches, comme s’ils pressentaient que leur monde est voué à l’effondrement, accumulent avec avidité les profits, les biens. Les pauvres, soumis à la loi des puissants, rêvent de les imiter et les haïssent.

La vénération du profit engendre le désordre et la haine. Jeunes et affamés, forts de leur fanatisme, prêts à mourir pour leur foi, des peuples entiers écoutent les prédicateurs qui les incitent à détruire un monde qui n’obéit qu’à la cupidité.

D’un côté, l’illusoire et précaire pouvoir d’hommes amasseurs de profits, esclaves de l’or.

De l’autre, les démunis qui n’ont que la haine et le fanatisme pour armes.

Les uns et les autres se ruent vers l’abîme et assurent le triomphe de la Mort.

Jean avait rapporté les propos de Dieu annonçant aujourd’hui l’imminente fin des temps :

« Homme, je sais tes œuvres ; on dit que tu vis, mais tu es mort. »

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