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Le Seigneur m’avait-Il accordé Sa grâce ?

S’Il existait, Il n’ignorait rien des doutes ni des questions qui m’assaillaient.

Il savait que, depuis mon arrivée à Patmos, j’avais été écartelé, ne cessant d’osciller entre la foi d’un Calabrais superstitieux, retrouvant les peurs de son enfance, et l’arrogance dédaigneuse d’un libertin.

Je m’étais moqué des prophéties de l’Apocalypse et, après avoir répété qu’il fallait « écraser l’Infâme », cette religion qui maintenait l’homme dans l’ignorance, j’avais tremblé et m’étais agenouillé, soumis et repentant.

L’angoisse m’a étreint : Dieu qui, selon l’Apocalypse, « scrutait les reins et les cœurs », m’avait-Il pardonné ?

J’ai guetté Son verdict, craint Sa condamnation.

Mais je n’ai été ni frappé par la foudre ni jeté dans l’étang de feu et de soufre, là où étaient précipités ceux qui avaient blasphémé, rejoint la cohorte du Diable, obéi à la Bête.

Ne l’avais-je pourtant pas fait ?

Mais Dieu était resté silencieux.

Aucune plainte n’avait été déposée contre moi par Monseigneur Skiathos. Un ouvrier était venu réparer nonchalamment la porte de la chapelle. On ne m’avait signifié aucun arrêté d’expulsion. Et je n’avais pas revu Vassilikos, qui semblait avoir quitté l’île en me laissant les clés de la maison de Paul Déméter.

J’ai repris confiance, proclamé à nouveau que le ciel était vide, et éprouvé un euphorique sentiment de liberté.

Je suis retourné chaque jour dans la maison de Déméter, m’appropriant ces lieux. J’ai décidé d’envoyer en France la taie d’oreiller afin qu’on analysât le sang qui la maculait.

J’ai engagé une femme de service, employée à l’hôtel, pour qu’elle nettoie la maison. Je me suis moqué de ses gestes précautionneux, des signes de croix qu’elle multipliait, des prières qu’elle égrenait.

Puis je me suis assis à la table sur laquelle s’entassaient dossiers et carnets, et j’ai rouvert le grand cahier à couverture rouge.

J’ai relu les citations qui, toutes, évoquaient le châtiment et la mort. Les commentaires de Déméter m’ont à nouveau ému et intrigué :

« Saisir le lien, avait-il écrit, de l’Apocalypse de Jean à la mort de Marie. La descendance de la Bête ? Sa présence éternelle, l’autre face de Dieu ? Mort et résurrection : faut-il laisser mourir pour connaître l’aube resplendissante de la résurrection ? »

J’ai tourné les pages, m’arrêtant sur ces quelques mots tracés à l’encre rouge et placés au centre d’un cadre noir :

CODE : CAÏN ET ABEL

Qui, de Dieu, du hasard ou de l’intuition, m’a fait penser qu’il s’agissait du code de l’ordinateur de Déméter, permettant d’accéder à son fichier ?

J’ai fait glisser mes doigts sur le clavier, et les lignes ont commencé à défiler, composant les premières pages d’un livre intitulé :

APOCALYPSE ET ESPÉRANCE

Trois citations suivaient.

La première, d’Ernest Renan :

« Avec le voyant de Patmos, nous découvrons l’Idéal et nous affirmons que l’Idéal sera réalisé un jour. »

Saint Paul était l’auteur de la deuxième :

« Pour que Dieu soit tout en tous. »

La troisième était l’avant-dernier verset de l’Apocalypse :

« Celui qui atteste tout cela dit : “Oui, je viens bientôt.” Amen, viens, Seigneur Jésus. »

J’ai eu la conviction que je venais de pénétrer dans le sanctuaire de Paul Déméter.

J’ai avancé, lu une première ligne :

« Ceci est le miroir de ma vie, l’histoire des rêves et cauchemars qui hantent les hommes. »

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