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Apocalypse et Espérance


VIII

« Et j’ai vu et entendu un aigle voler au zénith et dire à grande voix : “Malheur, malheur, malheur aux habitants de la terre !” »

Apocalypse de Jean, VIII, 13.

Maintenant, c’est l’orage.

La pluie crépite contre les vitres, martèle les tuiles.

Le vent s’infiltre en hurlant, donne des coups de boutoir contre la porte.

J’ai l’impression qu’il a la force de soulever et de renverser la bergerie.

Je m’accroche au rebord de la table, devant l’écran noir de l’ordinateur.

Le septième sceau a été brisé. Le sursis est achevé.

L’instant est proche. L’heure, venue.

J’ouvre le livre. Je ne peux lire dans l’obscurité, mais je me souviens de ce qu’écrit Jean au chapitre VIII de l’Apocalypse.

Jean décrit sans nommer. Moi, j’arrache les masques et dis ce que je vois.

Voici le feu nucléaire qui détruit les villes de Nagasaki et de Hiroshima.

Voici Auschwitz et la barbarie absolue.

Voici les bombes au phosphore qui transforment en torches les habitants de Dresde.

Chaque pays, au lieu de nourrir son peuple, construit des silos pour accueillir les fusées capables de porter la mort aux antipodes.

« Malheur, malheur, malheur aux habitants de la terre !

« Le tiers du soleil et le tiers de la lune et le tiers des étoiles ont été frappés. Ils ont été obscurcis d’un tiers, et le jour a brillé un tiers en moins, et la nuit de même. »

Les prophéties qu’énonce Jean décrivent notre xxe siècle et le xxie qui commence.

Les poussières, les fumées de nos usines, les gaz de nos voitures voilent le ciel d’un rideau gris en passe de virer au noir.

Et nous avançons dans la pénombre, un masque sur nos visages pour ne pas respirer l’air vicié, chargé de particules mortelles.

La terre tremble. Maisons et palais s’effondrent. Des failles s’ouvrent dans les fonds sous-marins. La lave jaillit. Des vagues gigantesques déferlent, balaient les plages du plaisir et de la prostitution. Hommes, femmes, enfants sont emportés. Leurs corps disloqués ne sont plus que des épaves porteuses d’épidémies quand la mer se retire.

Tout est désordre et crime.

Des hommes-bombes font exploser les tours de New York. D’autres qui prétendent incarner la justice et le droit torturent, humilient, livrent aux chiens et aux insectes leurs prisonniers qui ne sont souvent que des suspects.

Sur tous les continents, à chaque instant, Caïn tue Abel.

Partout, la mort rôde.

Elle enrôle des enfants, les drogue, leur fourre entre les mains des armes plus grandes, plus lourdes qu’eux, mais avec lesquelles ils tuent des femmes qui sont leurs mères ou leurs sœurs, des hommes qui sont leurs pères ou leurs frères.

Des mines explosent sous leurs pas et les voici estropiés, les yeux vitreux, mendiants affamés.

La mort fait irruption dans les villes opulentes. Des hommes meurent de froid sur des trottoirs, des enfants brûlent dans des logis insalubres.

D’autres se prostituent.

Sur d’autres continents, on massacre, on viole, on mutile. La guerre s’avance.

Le fanatisme, la volonté de tuer marchent du même pas que la misère et la faim.

On exécute des hommes par milliers, puis l’on dépèce leurs corps pour en vendre les organes.

On expose des cadavres écorchés comme s’il s’agissait d’œuvres d’art.

L’homme est devenu une marchandise.

Il saccage son univers sans réussir à maîtriser ses instincts de pillard, de destructeur.

Jean l’a écrit dans l’Apocalypse, sa prophétie est notre présent :

« Beaucoup d’hommes sont morts à cause des eaux devenues amères. »

L’instant est proche.

L’heure est venue de la fin des temps.

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