9

J’ai été aveuglé par la violence du déferlement de lumière.

J’ai fermé les yeux avant de voir Vassilikos qui m’interpellait d’une voix rugueuse, hostile.

Avançant jusqu’aux oliviers, je l’ai aperçu debout dans leur ombre, bras croisés, le mépris et la colère crispant son visage.

Il m’a accusé d’avoir violé un lieu privé, sacré, car la chapelle appartenait au monastère Haghios Ioannis Théologos. Des bergers m’avaient vu en forcer la porte. Monseigneur Skiathos avait été averti et s’apprêtait à déposer plainte pour effraction et sacrilège.

Je n’étais que l’un de ces Français qui ont perdu tout sens du respect. J’allais être expulsé de Patmos, a ajouté Vassilikos.

Je me suis approché de lui, si près que j’aurais pu lui assener un coup de tête, lui écraser le nez et les lèvres. Il a reculé d’un pas, comme s’il avait craint que je ne cède à la tentation.

« Du sang ! ai-je dit. Du sang partout : dans la maison de Déméter, sur les murs de la chapelle où j’ai lu sept noms écrits avec du sang ! »

J’ai été le premier surpris de pouvoir les énoncer sans l’ombre d’une hésitation. Vassilikos m’a écouté avec dédain. Appuyé à un olivier, il avait allumé un cigare et, toutes les deux ou trois bouffées, il crachait avec dédain en se raclant la gorge. Quand je me suis tu, il a haussé les épaules :

« J’ai un cadavre, a-t-il dit. Je n’en ai pas sept. »

J’ai montré le cimetière, les tombes brisées, la terre retournée çà et là.

« Qu’est-ce que vous en savez ? »

Je m’étais persuadé qu’ils étaient là, parmi ces vieux morts, oubliés comme eux, alors que leur chair avait à peine commencé à se décomposer.

« Ils sont venus et repartis », a répondu Vassilikos en s’éloignant.

J’ai marché derrière lui, l’accusant de ne pas vouloir enquêter. Craignait-il le scandale ?

Il s’est retourné brusquement.

Esprit fort, a-t-il maugréé, je ne pouvais même pas imaginer ce que cela signifiait, de vivre à Patmos.

La grotte de l’Apocalypse était comme une blessure béante dans chaque corps.

On vivait avec ces prophéties. Mais qu’est-ce qu’un visiteur pouvait bien comprendre quand la plupart ne passaient là que quelques heures ?

J’ai fait remarquer que Paul Déméter, lui, vivait dans l’île depuis plusieurs années :

« Sa vraie vie était là, ai-je dit en désignant la maison.

– Il n’a pas su s’agenouiller devant Dieu. Il a voulu lire le livre de l’Apocalypse à sa guise, ajouter ce que bon lui semblait, retrancher ce qui lui paraissait inutile. On ne trie pas entre les prophéties en ne retenant que celles qui conviennent. On se soumet ! »

Me faisant face, Vassilikos a récité les derniers versets de l’ultime chapitre de l’Apocalypse de Jean :

« J’atteste, moi, à tous ceux qui entendent les paroles de prophétie de ce livre : si quelqu’un y ajoute, Dieu lui ajoutera les plaies décrites dans ce livre ; si quelqu’un retranche aux paroles de ce livre de prophétie, Dieu lui retranchera sa part d’arbre de vie et de ville sainte décrits dans ce livre. »

« N’ajoutez rien, ne retranchez rien », a-t-il conclu.

Il a fait encore quelques pas, puis, se tournant vers moi, il m’a lancé :

« Vous connaissez le dernier verset ? “La grâce du Seigneur Jésus soit avec tous.” Avec vous aussi, donc. »

Загрузка...