Telle fut la mort de Charles IX. Cette fin terrible, cette suée de sang, ce mal exceptionnel, cet effondrement d’une âme dans les remords ne constituaient-ils pas l’épilogue nécessaire de la Saint-Barthélemy? Il semble vraiment qu’une sorte de fatalité inexorable vienne frapper au bon moment les grands criminels. Cela s’explique d’ailleurs: la générosité d’âme suppose de l’intelligence et de la force d’esprit. Nous avons cette conviction que la bonté parfaite réside en l’intelligence parfaite. Le scélérat, pour si habile qu’il paraisse, a des tares dans le cerveau. Un jour ou l’autre, ce cerveau mal équilibré commet la faute de tactique définitive – celle qui entraînera le châtiment du crime.
Le crime est puni; la vertu est récompensée… ceci est la vérité même.
Vérité banale qu’on a déviée de son sens profond pour en faire un abus écœurant en l’appliquant à la vie sociale, en décrétant que les hommes sont capables de se punir ou de se récompenser les uns les autres. En effet, le sens philosophique du mot crime et du mot vertu échappe à la plupart des hommes. En société, donc, cette vérité apparaît comme un contresens. Et pourtant, elle demeure vérité. La vertu, qui suppose l’intelligence parfaite, suppose les dons nécessaires pour comprendre la vie; le crime implique, au sens latin du mot, imbécillité d’esprit. En sorte que la vertu, c’est au fond la marche à la vie; et le crime, la marche à la mort.
Il n’y a donc rien de merveilleux, dans cette fin tragique de Charles IX, qui fut une véritable expiation du forfait.
Peut-être aurons-nous plus tard l’occasion de montrer comment d’autres criminels furent aussi frappés.
Sans aller plus loin, nous pouvons dire que la fin de la vie de Catherine de Médicis ne fut qu’un long châtiment, plus rigoureux peut-être que celui de Charles. En effet, cette mère terrible qui fut criminelle pour son fils Henri, qui empoisonna, tua, massacra pour établir le bonheur de son enfant, se vit bafouée, dédaignée, méprisée par cet enfant! Elle connut cette longue et subtile douleur, et elle en mourut.
Quant à Guise… mais ceci nous entraîne hors des limites du présent récit.
Revenant donc de vingt-et-un mois en arrière, nous reprenons nos héros au point où nous les avons laissés, c’est-à-dire entrant au château de Montmorency à l’aube du 25 août 1572.
On n’a peut-être pas oublié qu’après son enquête à Margency, enquête qui établissait d’une manière éclatante l’innocence de Jeanne de Piennes, le maréchal avait commandé à son intendant d’aménager toute une aile du château pour deux princesses qu’il comptait héberger.
Ces ordres avaient été exécutés.
Une partie du vieux manoir avait été décorée, ornée de meubles précieux; une douzaine de servantes et femmes de chambre attendaient les deux illustres visiteuses; les armoires regorgeaient de lingeries fines; bref, tout avait été préparé pour que les princesses inconnues gardassent le souvenir d’une hospitalité somptueuse, telle qu’un Montmorency pouvait l’offrir.
C’est dans cette partie du château que furent installées Loïse et Jeanne de Piennes. Elles purent enfin y prendre le repos dont elles avaient tant besoin l’une et l’autre.
Le maréchal voulait entreprendre de sauver la raison de celle qu’il avait adorée, qu’il adorait encore, et il imaginait de frapper vivement l’esprit de la pauvre folle en la conduisant un jour à Margency…
Mais un devoir plus immédiat sollicita son courage et son dévouement. Remettant donc à plus tard cette tentative – ce qui n’était pas un léger sacrifice – il organisa séance tenante la résistance aux ordres sauvages venus de la cour.
À peine Jeanne et sa fille furent-elles installées qu’il fit sonner le tocsin du manoir. Il ordonna à son capitaine d’armes de fermer les portes, de lever les ponts-levis, de faire couler dans les fossés les eaux qui en étaient détournées en temps de paix, de faire charger les vingt-quatre pièces d’artillerie, d’armer en guerre les quatre cents hommes de la garnison, enfin, de tout préparer pour soutenir au besoin un long siège.
En même temps, il envoyait des estafettes dans plusieurs directions.
Et nous devons dire ici que, dès la veille, c’est-à-dire dès la première nouvelle de ce qui se passait à Paris, quelques seigneurs, – de ceux qu’on appelait des politiques – s’étaient rassemblés autour de Montmorency avec leurs hommes d’armes, supposant que le maréchal entreprendrait sans doute d’arrêter le carnage dans la province.
À midi, François de Montmorency eut un entretien avec le chevalier de Pardaillan. Les dernières résolutions y furent prises.
Vers trois heures, il y avait près du château deux mille quatre cents cavaliers bien montés, bien armés, rassemblés sur cette esplanade même d’où jadis François s’était élancé vers Thérouanne.
Ce corps de cavalerie fut divisé en deux brigades, fortes chacune de douze cents hommes.
Le maréchal prit le commandement de l’une; Pardaillan fut mis à la tête de l’autre.
Puis chacun d’eux s’élança dans une direction différente; et ces deux hommes qui laissaient derrière eux tout ce qu’ils aimaient au monde, qui venaient d’échapper à tant de dangers, que quelques heures séparaient à peine des instants tragiques où ils avaient mille fois failli périr, ces deux hommes dont l’un avait vu l’incendie et la destruction de son antique demeure, et dont l’autre venait d’enterrer lui-même le vieux père, le bon compagnon de sa vie d’aventures, partirent sans regrets apparents pour remplir un devoir d’humanité.
Le maréchal s’élança vers Pontoise; de là, il battit le pays jusqu’à Magny, puis poussa droit au nord et arriva jusqu’à Beauvais. Partout où il passait, il rassemblait ceux qui étaient en état de porter les armes, leur parlait fortement, leur racontait les horreurs de Paris, et enfin les décidait à s’opposer les armes à la main à toute tentative de massacre.
Là où les ordres de Catherine étaient déjà arrivés, là où on commençait à tuer, il fondait tout à coup sur les massacreurs, faisait jeter en prison les plus enragés et décrétait que tout homme pris à violenter, molester ou piller, serait pendu haut et court sans procès.
D’un point, il courait à un autre.
Pendant un mois, il battit la campagne, traversant les villes, les villages les hameaux et inspirant partout une terreur salutaire aux trop fervents catholiques.
Pardaillan opérait de son côté, mais avec plus de fougue encore et de rapidité. Pendant deux mois, il ne laissa pas un point inexploré dans les pays qu’il traversa. Nous renonçons à peindre la joie délirante, les acclamations, les larmes de gratitude des infortunés que l’on commençait à «piller» et qui voyaient tout à coup arriver le secours et la délivrance.
De l’Isle-Adam, où il se dirigea tout d’abord, Pardaillan bondit jusqu’à Luzarches; de là, il remonta à Senlis, traversa Crépy, allant, revenant courant à l’est, à l’ouest, entra en coup de foudre à Compiègne et poussa jusqu’à Noyon dans une course audacieuse.
Alors, obliquant à gauche, il redescendit sur Montdidier, et par Crèvecœur, gagna enfin Beauvais où le maréchal avait établi ses quartiers.
Cette campagne faite de marches et de contre-marches avait duré trois mois.
Grâce donc au maréchal de Montmorency et au chevalier de Pardaillan, toute cette province fut exempte des horreurs qui s’abattirent sur presque tout le reste du royaume; quelques gouverneurs – bien rares – suivirent ce noble exemple et s’opposèrent par la force à l’exécution des ordres venus de Paris.
Au bout de ces trois mois, le calme s’était complètement rétabli.
Mais le maréchal, pendant un mois encore, promena sa petite armée pour achever d’intimider les forcenés.
Ce ne fut que le soir du 29 décembre, par un temps de neige, que le maréchal rentra dans son manoir.
Aucune attaque n’avait été essayée contre le château.
Vers la fin d’août seulement, un parti de cavaliers royalistes et catholiques s’était montré; mais deux ou trois coups de canon avaient suffi pour prouver à ces gens qu’on était décidé à se bien défendre.
Le 6 janvier, le maréchal licencia son armée après en avoir réuni les capitaines dans un repas qui eut lieu dans la grande salle des preux.
L’hiver s’écoula paisiblement.
Le mariage de Pardaillan et de Loïse avait été fixé au mois d’avril, sur la prière de François.
Pendant la campagne du maréchal et du chevalier, la santé de Jeanne de Piennes avait achevé de se rétablir. Sa beauté était redevenue éclatante; toute pâleur avait disparu; cette ombre de mélancolie qui couvrait son visage à l’époque qu’on l’appelait encore la Dame en noir s’était dissipée. C’était dans ses yeux et sur ses lèvres un sourire de bonheur.
Hélas! ce bonheur n’était qu’un rêve!
C’est à son rêve que souriait la pauvre démente…
Mais qui sait, après tout, si les bonheurs réels après lesquels nous courons ne sont pas eux-mêmes des rêves!… Et en ce cas, le pur rêve n’est-il pas, peut-être, l’idéal bonheur, puisque jamais la réalité ne répond exactement à l’espérance…
Quoi qu’il en soit, Jeanne demeurait folle.
Et c’était une chose poignante que ce sourire qui allait chercher un François imaginaire, alors que le François réel la contemplait les larmes aux yeux et cherchait en vain à éveiller son attention…
Quant à Loïse, la blessure qu’elle avait reçue de Maurevert sur la colline Montmartre s’était cicatrisée – moins promptement qu’on aurait pu s’y attendre, il est vrai; mais enfin, lorsque le maréchal et le chevalier étaient rentrés au château, il n’y avait plus qu’une légère trace rosée indiquant que Loïse avait été frappée là.
Sa santé, à elle aussi, s’était rétablie. Elle avait même pris une bonne mine qu’elle n’avait jamais eue. L’incarnat de ses lèvres, l’animation extraordinaire de son teint étonnèrent le maréchal. Il est vrai que, parfois, elle devenait soudain d’une pâleur mortelle et se mettait à grelotter; mais cela durait deux minutes, et ne pouvait paraître alarmant.
En même temps, le caractère de la jeune fille se transformait.
Elle avait toujours été un peu mélancolique; elle devint d’une gaieté dont les éclats, par moments, amenèrent de soudaines épouvantes dans l’âme du chevalier.
On l’entendait rire et chanter; elle parlait d’une voix animée et s’exaltait étrangement en racontant les hauts faits de son fiancé, elle ne parlait guère que de lui, d’ailleurs; le soir, à la veillée, dans la grande salle, elle retraçait l’épopée en termes enflammés, et les serviteurs qui, selon la vieille coutume, prenaient place au feu, croyaient entendre un trouvère des anciens temps récitant quelque fabuleux poème de l’époque de Charlemagne.
Seulement, lorsqu’elle était seule, elle croisait quelquefois ses mains sur sa poitrine, et murmurait:
– J’ai là un feu qui me brûle, et lentement me consume…
Le 25 avril, devant toute la seigneurie de la province, tandis que les cloches de Montmorency sonnaient, et que les canons faisaient entendre des salves joyeuses, le contrat de mariage fut signé dans la grande salle d’honneur du château.
La veille, le maréchal dit à Pardaillan:
– Mon cher fils, voici les lettres et documents qui vous font maître et seigneur du comté de Margency… Prenez-les comme un gage de mon affection et de ma gratitude.
Pardaillan était demeuré un instant rêveur, puis, relevant sa tête fine au profil de médaille et fixant sur le maréchal son clair regard, il avait répondu:
– Monseigneur, c’est un souvenir de tendresse et d’admiration que je veux offrir à celui qui fut mon maître, et me légua le nom de Pardaillan. Pauvre, sans sou ni maille, sans terres, n’ayant pour tout bien au monde que ce nom, je désire en m’unissant à l’ange que vous me donnez, m’appeler seulement le chevalier de Pardaillan… Plus tard, monseigneur il conviendra peut-être que je m’appelle le comte de Margency.
Ceci fut dit avec une belle simplicité d’orgueil que le maréchal, grand cœur et esprit de poète, comprit. Il serra le chevalier dans ses bras et, sans insister, referma les parchemins dans un coffre.
Devant le bailli qui procédait au contrat, devant la foule des seigneurs accourus, le chevalier fut donc purement et simplement: le chevalier de Pardaillan.
Mais lorsqu’il s’avança pour signer les parchemins du bailli, la tempête des acclamations, le salut de toutes les têtes soudain découvertes, les regards de curiosité passionnée, les murmures d’admiration, prouvèrent que ce simple nom jeté dans une foule de hauts personnages, retentissait dès lors à l’égal d’un coup de tonnerre…
Toute droite, toute pâle, dans sa robe de soie blanche à plis lourds, Loïse joignit les mains, et murmura:
– Ô mon héros… ô mon amour!…
La cérémonie fut suivie d’un de ces festins somptueux comme seul un Montmorency pouvait en offrir à de tels hôtes.
Le soir, les invités repartirent.
En effet, le mariage devait se faire à la chapelle en la plus stricte intimité, vu le deuil du jeune époux: c’est du moins l’explication qui fut donnée par le maréchal et qui fut parfaitement comprise de tous.
Le matin du 26 avril se leva enfin.
Ce fut une radieuse journée de printemps. Les cerisiers étaient en fleurs; les haies embaumaient; les bois d’alentour se couvraient d’une verdure tendre; la campagne parsemée de bouquets – pommiers blancs, poudrés à frimas – saturée de parfums – lilas, violettes, muguet – la campagne si douce et si plaisante à l’œil, en ces jours où le monde renaît, offrait le spectacle et le charme d’un jardin comme timide et frileux encore.
Cette journée passa comme un doux songe d’amour.
Le maréchal, pourtant, paraissait assiégé de sombres souvenirs… C’est que cette date du 26 avril était à jamais gravée dans son cœur. Vingt ans avant, la nuit du 26 avril, en la chapelle de Margency, s’était consommée son union avec Jeanne de Piennes! Et en cette même nuit, il était parti pour Thérouanne… pour la guerre… pour l’inconnu… pour le malheur!…
Le soir vint. Onze heures sonnèrent.
Le maréchal avait revêtu son costume semblable à celui qu’il portait le 26 avril de l’an 1553. Il donna le signal du départ: en effet, ce n’est pas dans la chapelle du château que devait s’accomplir la cérémonie… Loïse et Jeanne furent placées dans une voiture. Le maréchal et Pardaillan montèrent à cheval. On partit. On suivit la route sous un clair de lune d’une douceur infinie, et enfin, on s’arrêta devant une pauvre petite église:
La chapelle de Margency, comme vingt ans avant! Le mariage de minuit, comme vingt ans avant!
Presque les mêmes personnages!… Quelques paysans… et près de l’autel, une vieille, très vieille femme qui pleurait: la nourrice de Jeanne!
Le prêtre commença son office.
Pardaillan et Loïse, l’un près de l’autre, se tenaient par la main; leurs yeux ne se quittaient pas; et dans ce double regard qui se croisait, il y avait comme de l’extase.
Le maréchal, avec une poignante anxiété, suivait sur le visage de Jeanne l’effet de cette scène. La mémoire allait-elle se réveiller? La raison allait-elle revenir? La martyre pourrait-elle donc entrevoir un peu de bonheur?…
Les anneaux furent échangés.
Le prêtre prononça les formules sacramentelles.
Loïse et Pardaillan étaient unis!…
Alors, comme autrefois Jeanne et François s’étaient à cette minute même tournés vers le sire de Piennes pour lui demander sa bénédiction suprême, d’un même mouvement instinctif et gracieux, les deux époux se tournèrent vers la pauvre folle, et pâles tous deux de leur bonheur infini, s’inclinèrent doucement, ployèrent le genou…
Dans le trajet de Montmorency à Margency, Jeanne de Piennes était demeurée indifférente, loin de ce monde, aux prises avec les pensées obscures qui évoluaient dans les ténèbres de son esprit.
Devant la vieille église, sur la petite place de Margency, devant les châtaigniers séculaires sous l’ombrage desquels s’était écoulée son enfance heureuse, devant l’antique demeure de son père entrevue à la pâle clarté de la lune, elle eut comme un tressaillement et promena autour d’elle des regards étonnés… puis elle reprit son attitude indifférente, et François, dont le cœur avait sourdement palpité, la conduisit, avec un geste de désespoir, dans l’église.
Pendant la cérémonie, Jeanne tint ses regards fixés tantôt sur le prêtre, tantôt sur cette vieille femme qui pleurait non loin d’elle. À un moment, elle passa ses mains sur son front, ses lèvres s’agitèrent… un prodigieux travail se faisait dans cette pauvre cervelle… Il lui semblait que des craquements se produisaient en elle… des lueurs fugitives passèrent au fond de ses yeux.
Tout à coup, elle vit Loïse et le chevalier qui s’inclinaient devant elle.
– Où suis-je? balbutia-t-elle.
~ Jeanne! Jeanne! supplia François d’une voix ardente.
– Ma mère!… murmura Loïse en levant sur elle son beau regard noyé de larmes.
La folle se dressa toute droite. Pendant deux secondes qui furent longues comme des heures, dans le silence plein d’angoisse qui régnait dans l’église, elle contempla tout ce qui l’entourait.
Sa voix, de nouveau, se fit entendre, plus distincte, plus affermie:
– L’église de Margency… l’autel… Qui est là?… ma fille?… oh! est-ce bien toi, François?… Est-ce que je rêve?… Non… je suis morte et je vois ces choses du fond de la tombe!…
– Jeanne!…
– Ma mère!…
Ce double cri retentit dans l’église, déchirant, terrible, épouvanté:
Jeanne avait répété:
– Morte!
Et en même temps qu’elle prononçait ce mot, elle était tombée à la renverse dans le fauteuil, comme jadis le sire de Piennes son père. Un instant, ses bras essayèrent de se soulever comme pour bénir les êtres qui sanglotaient autour d’elle… puis ses yeux s’ouvrirent et s’attachèrent à François… un céleste rayonnement d’amour intense et de bonheur surhumain jaillit de ces yeux… et ce fut tout!…
François, avec un atroce sanglot de désespoir, la saisit dans ses bras… la tête de Jeanne retomba mollement sur son épaule… C’était fini!…
Alors. La voix grave du vieillard qui venait d’officier l’union de Loïse et de Pardaillan, s’éleva, solennelle et tremblante:
– Mon Dieu, recevez dans votre sein celle qui vient à vous, morte martyre… morte d’amour!
Un mois après cette scène, par un beau soir de mai, comme le soleil se couchait dans une gloire pourpre, François de Montmorency en grand deuil, l’âme noyée de regrets se promenait dans le jardin du château. Il s’assit sur un banc de pierre qu’ombrageait un énorme buisson de chèvrefeuille.
Dans une allée lointaine, il vit passer un couple qui marchait lentement parmi les fleurs, parmi les parfums du soir, dans l’auguste sérénité de ce beau crépuscule.
Pardaillan et Loïse s’arrêtèrent enlacés; ils échangèrent un long baiser, et leur amour paraissait infini, suave, parfumé comme la radieuse et sereine nature qui les enveloppait de ses caresses.
Les yeux du maréchal s’emplirent de larmes. Il laissa tomber sa tête dans ses deux mains, et murmura:
– Ô mes enfants, aimez-vous, soyez heureux!… Comme Loïse est fiévreuse depuis quelques jours!… Comme ses yeux brillent d’un éclat funeste!… Est-ce que je n’ai pas assez payé ma dette au malheur? Est-ce que je vais souffrir encore?… Oh! non!… non!… Enfants, chers enfants, pour tant d’infortune et de tristesse, soyez heureux, et que le trop plein de votre bonheur verse au moins une consolation suprême dans le cœur flétri qui bat encore dans ma poitrine!…
Il releva la tête… regarda au loin la vision adorable des deux amoureux qui s’étaient remis en marche, lents, onduleux, enlacés… Dans l’ombre du soir, ils semblèrent ne former qu’un seul être…
Puis ils disparurent au détour d’un massif de roses pourpres, comme s’ils fussent entrés dans de la gloire, dans des parfums, dans du bonheur, dans l’amour…
Alors, un sourire consolateur erra sur les lèvres de François de Montmorency…
Il se leva pour les voir encore, et il murmura le mot qui résume tout le doute et toute l’espérance des hommes:
– Qui sait?… Peut-être!…