31.


Cela ne fait qu'un jour qu'il est à Trianon, et déjà la solitude lui pèse. Ce mois de décembre et cette année 1809 n'en finissent plus !

Il entend les rires de Pauline Borghèse et de ses dames d'honneur. Il ne les supporte pas. Il sort dans le parc. Il lui semble qu'il ne pourra plus retrouver son énergie.

Il a renvoyé Méneval et les aides de camp. Il fait seller son cheval. Il veut chasser. Il parcourt les bois de Versailles, le plateau de Satory. Il rentre trempé par l'averse, mais il se sent mieux. Il aperçoit Christine de Mathis. Il va dîner avec elle. Mais, dès qu'il est assis en face de cette jeune femme qui jacasse et roucoule, il se morfond. Il se souvient de Joséphine, de la complicité qui les unissait. Il se lève. Il abandonne Christine de Mathis.

Peut-être, en se séparant de Joséphine, a-t-il attiré sur lui le mauvais œil ? Peut-être était-elle la femme qui lui permettait d'aller de l'avant. Il ne serait rassuré que si elle vivait paisiblement, gaiement, ce divorce.

Il veut la revoir. Il y a seulement quelques heures qu'il l'a quittée et il a besoin d'elle. Il doit se persuader qu'elle est vivante. Il a si peur tout à coup qu'elle ne supporte pas la séparation et qu'elle ne meure.

Il se rend à la Malmaison et la voit, marchant seule dans le parc. Elle se retourne, vient vers lui comme une femme perdue. Il la soutient, l'entraîne dans les allées. Il se calme. Il ne peut regretter ce divorce. Elle est son passé. Et le passé est derrière lui. On ne le pleure pas. On n'essaie pas de le faire revivre.

Il l'embrasse. Il rentre à Trianon. Et l'inquiétude le reprend. Il faut que Joséphine surmonte l'épreuve. Si elle succombait, quelle blessure pour lui, et quel choc politique ! « L'Empereur égoïste, l'Empereur qui rejette sa vieille épouse et celle-ci dépérit et meurt », dirait-on.

Il écrit :

« Mon amie, je t'ai trouvée aujourd'hui plus faible que tu ne devrais être... Il ne faut pas te laisser aller à une funeste mélancolie ; il faut te trouver contente et surtout soigner ta santé qui m'est si précieuse. Si tu m'es attachée et si tu m'aimes, tu dois te comporter avec force et te placer heureuse. Tu ne peux pas mettre en doute ma constante et tendre amitié, et tu connaîtrais bien mal tous les sentiments que je te porte, si tu supposais que je puis être heureux si tu n'es pas heureuse, et content si tu ne te tranquillises.

« Adieu, mon amie, songe que je le veux.

« Napoléon »

Je dois la soutenir. Si elle coule, je m'enfonce aussi. Mon mariage serait compromis par le scandale et l'écho de sa mort ou simplement de son désespoir.

Elle ne peut pas, elle ne doit pas s'abandonner. J'ai besoin de sa vie, j'ai besoin qu'elle soit heureuse.

Il se répète la phrase qu'elle a murmurée d'une voix calme dans le parc de la Malmaison.

« Il me semble quelquefois, a-t-elle dit, que je suis morte et qu'il ne me reste qu'une sorte de faculté vague de sentir que je ne suis plus. »

Il reçoit d'elle des lettres qui exhalent toutes le même désespoir et le même accablement.

Il ne peut lui en vouloir. Elle s'est soumise. Mais l'irritation le gagne. Il ne lui a pas imposé cette souffrance pour rien.

Il convoque Champagny. A-t-on une réponse du tsar ?

Veut-il, ou non, que j'épouse sa sœur Anne ? Que valent ses excuses ? La mère d'Anne serait réticente ? Prétextes que tout cela. Il faut alors se tourner vers l'Autriche. Que Champagny bavarde avec le nouvel ambassadeur de Vienne à Paris, le prince Charles Schwarzenberg, un prince de valeur qui a sauvé ses hommes à Ulm et combattu à Wagram. Il faut qu'on sache si François Ier est disposé à céder sa fille Marie-Louise. À moi, le Corsicain, l'Attila, l'Antéchrist - n'est-ce pas ainsi qu'à Vienne les jeunes duchesses me nomment ?

Il s'impatiente. Il faut obtenir une réponse immédiate, nouer rapidement le lien d'un mariage. Qui peut être sûr de l'avenir ?

Il pense à Joséphine. L'inquiétude est tout à coup si forte qu'il part chasser le cerf, se lançant au galop jusqu'à l'épuisement de son cheval. Il rentre à la nuit, mais Trianon, malgré la présence des officiers de sa maison et des domestiques, est froid et lui semble désert.

Il convoque le général Savary. Qu'il se rende à la Malmaison, qu'il voie Joséphine, qu'il fasse un rapport sur l'état de l'Impératrice.

Savary est revenu porteur d'une lettre de Joséphine. L'Impératrice est abattue, commence-t-il. Napoléon, avec impatience, l'écoute, lit la lettre, puis se met à écrire.

« Je reçois ta lettre, mon amie. Savary me dit que tu pleures toujours : cela n'est pas bien... Je viendrai te voir lorsque tu me diras que tu es raisonnable et que ton courage prend le dessus.

« Demain, toute la journée, j'ai les ministres.

« Adieu, mon amie, je suis triste aujourd'hui ; j'ai besoin de te savoir satisfaite et d'apprendre que tu prends de l'aplomb. Dors bien.

« Napoléon »

Que peut-il faire pour la forcer à vivre, à se redresser ? La voir !

« J'ai bien envie de te voir, mais il faut que je sois sûr que tu es forte et non faible ; je le suis aussi un peu et cela me fait un mal affreux. »

Le lundi 25 décembre, il l'invite à Trianon pour le dîner, mais, dès qu'il la voit, il regrette de l'avoir conviée. Elle a cet air battu de victime qu'il ne supporte pas. Il se sent incapable de parler, assis en face d'elle avec, à sa droite, la reine Hortense et Caroline, reine de Naples.

Parfois il baisse la tête parce que les larmes envahissent ses yeux.

Il a voulu, choisi cela.

Il n'y aura pas d'autre dîner avec Joséphine.

Il quitte Trianon dès le lendemain et rentre aux Tuileries. Il longe les galeries, traverse le salon où se tenait le cercle de l'Impératrice.

Ce palais, sans épouse, est mort.

Il se sent isolé. Il ne peut s'empêcher de lui écrire encore :

« J'ai été fort ennuyé de retrouver les Tuileries, Eugène m'a dit que tu avais été toute triste hier : cela n'est pas bien, mon amie, c'est contraire à ce que tu m'avais promis.

« Je vais dîner seul.

« Adieu, mon amie, porte-toi bien. »

C'est le dernier jour de cette année 1809, un dimanche. Il se rend à l'arc de triomphe du Carrousel pour assister à la parade de la vieille Garde qui défile, acclamée.

Il rentre à 15 heures aux Tuileries. Le soleil de ce 31 décembre illumine les pièces.

Il s'assied à sa table de travail. Il va écrire à Alexandre.

Il faudra que dans les jours qui viennent je sache quel ventre, autrichien ou russe, portera mon fils !

Il dicte la lettre d'une voix saccadée.

« Je laisse Votre Majesté juge, qui est le plus dans le langage de l'alliance et de l'amitié, d'Elle ou de moi. Commencer à se défier, c'est avoir déjà oublié Erfurt et Tilsit. »

La phrase est dure. Mais il ne veut pas la changer. Une confidence en effacera peut-être la rudesse.

« J'ai été un peu en retraite, reprend Napoléon, et vraiment affligé de ce que les intérêts de ma Monarchie m'ont obligé à faire. Votre Majesté connaît tout mon attachement pour l'Impératrice. »

Il signe.

L'année qui commence doit être celle d'une autre vie, d'une autre femme, de ma plus grande gloire. J'aurai quarante et un ans.

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