33.


Il chantonne, ce dimanche matin, 25 février 1810. Il tire l'oreille de Constant qui l'habille, mais écarte son valet. Il se place devant le miroir une nouvelle fois.

Il est donc dans sa quarante et unième année ! Allons donc ! Il commence seulement à vivre ! Il ne s'est jamais senti aussi libre, aussi sûr de lui, aussi jeune. Il en a enfin terminé d'escalader cette falaise abrupte qu'a été sa vie jusqu'à aujourd'hui. Les dernières semaines de décembre ont sans doute été les plus sombres. Il a eu la sensation qu'il ne réussirait jamais à s'arracher à son passé, qu'on l'agrippait à l'intérieur de lui pour l'empêcher d'atteindre le sommet. Il y est parvenu. Il ne se retourne pas. Il attend cette Habsbourg de dix-huit ans, cette pucelle féconde en qui coule le sang des vieilles dynasties. Elle va être dans son lit.

Il passe dans son cabinet de travail. Il s'assied. S'il se laissait aller, il lui écrirait à chaque instant de la journée.

« Toutes les lettres qui arrivent de Vienne, écrit-il en retenant sa main pour tenter de calligraphier les mots, ne parlent de vos belles qualités qu'avec admiration. Mon impatience est extrême de me trouver près de Votre Majesté. Si je m'écoutais, je partirais à franc étrier et je serais à vos pieds avant que l'on ne sût que j'aie quitté Paris. »

Il chante. Il rêve. Il pourrait en effet galoper jusqu'à Vienne, surprendre la cour d'Autriche.

« Mais cela ne doit pas être, reprend-il. Le maréchal Berthier, prince de Neuchâtel, prendra vos ordres pendant votre voyage... Je n'ai qu'une pensée, c'est de connaître ce qui peut vous être agréable. Le soin de vous plaire, Madame, sera la plus constante et la plus douce affaire de ma vie.

« Napoléon »

C'est cela que je n'ai pas encore connu. Peut-être la seule chose qui me reste à découvrir. Une femme neuve, dont je serai le premier homme. Une princesse fille d'empereur. Une vierge qui deviendra la mère de mon fils.

Que de chemin depuis cette « créature » du Palais-Royal, alors que je ne savais rien du corps d'une femme. Les autres, toutes, déjà des habiles et des rouées. Une seule douce, apaisante : Marie. Mais elle aussi déjà livrée avant moi aux mains d'un homme.

J'attends maintenant une épouse pour un Empereur. Une femme de mon rang qui ne sera qu'à moi, qui portera mon fils, le futur de ma dynastie.

Je vais découvrir cela.

Quand ? Quand ? Il bouscule Constant. Pourquoi faut-il attendre encore un mois ?

Il se sent une telle énergie que parfois il s'étonne de cette furie qui le pousse à chasser presque chaque jour, à aller d'un palais à l'autre, des Tuileries à Saint-Cloud, de Compiègne à Rambouillet ou à Fontainebleau.

Il parcourt les pièces au pas de charge. Il s'arrête. Il faut qu'on décroche ces tableaux qui rappellent une défaite autrichienne. Les appartements doivent être tendus de cachemire des Indes. Les meubles, tous les meubles, seront changés. Rien ne doit rappeler qu'ici a vécu une autre femme. Tout doit être neuf pour celle qui est neuve.

Il tente d'imaginer la vie avec elle. Il veut une étiquette aussi stricte que celle de la cour de Louis XIV. Il se tourne vers son grand chambellan, le comte de Montesquiou Fezensac. Quatre femmes, de bonne noblesse, monteront la garde autour de l'Impératrice. Il n'y aura jamais de tête-à-tête entre un homme, quel qu'il soit, et Sa Majesté.

Il s'éloigne, bougon.

- L'adultère est une affaire de canapé, dit-il.

Il sait ce qu'il en est de la fidélité. Enlevons les hommes et les canapés, et les épouses resteront fidèles !

Mais on ne conserve une place que si l'on convainc ses habitants qu'on est le meilleur prince. Il faut que Marie-Louise lui soit attachée. Il faut que l'amour qu'elle lui porte soit tel qu'elle n'éprouve que le besoin de le voir, qu'il soit seul à occuper vraiment ses pensées.

Il faut que son esprit soit prêt à m'accueillir, qu'il soit déjà soumis.

Il lui écrit, pour agir sur elle, puisque c'est tout ce qu'il peut faire même s'il sait qu'elle s'est mise en route après le mariage par procuration et les fêtes données en son honneur à Vienne. Mais ce cortège de cent voitures mettra plus de dix jours pour parvenir jusqu'à Paris.

Et de savoir qu'elle s'approche alors qu'il est là à l'attendre est encore plus insupportable.

« J'espère que Votre Majesté recevra cette lettre à Brunau et même au-delà, écrit-il. Je compte les moments, les jours me paraissent longs ; cela sera ainsi jusqu'à celui où j'aurai le bonheur de vous recevoir... Croyez qu'il n'est personne sur la terre qui vous soit attaché et veuille vous aimer comme moi.

« Napoléon

« Le 10 mars 1810 »

De temps à autre il perçoit l'étonnement sur les visages des aides de camp, de son secrétaire, de ses sœurs. Il pourrait se contenter, pensent-ils sûrement, d'être satisfait de ce mariage politique. Il est maintenant allié comme un Bourbon aux Habsbourg. Cette union boucle le réseau qu'il a voulu tisser entre les membres de sa famille et les dynasties régnantes, celle de Wurtemberg pour Jérôme, de Bavière pour Eugène, de Pauline avec le prince Borghèse. Il est devenu le « frère », le « cousin » de tous ceux qui règnent en Europe.

- Je suis le neveu de Louis XVI, mon pauvre oncle, murmure-t-il devant le ministre des Relations extérieures, Champagny.

« Les principaux moyens dont se servaient les Anglais, poursuit-il, pour rallumer la guerre du continent, c'était de supposer qu'il était dans mes intentions de détrôner les dynasties. »

Il prise. Il a une grimace de mépris. Il faut être aveuglé pour penser cela. Ce qu'il a toujours voulu, c'est calmer cette mer rendue furieuse par la Révolution, l'assagir en gardant ce qu'elle avait fait naître, ces principes nouveaux, et cela, c'est le Code civil, mais il faut aussi la contenir par les principes monarchiques, l'Empire ou cette alliance avec les dynasties.

- Rien ne m'a paru plus propre à calmer les inquiétudes que de demander en mariage une archiduchesse autrichienne, reprend Napoléon.

« Jamais, insiste-t-il, nous n'avons été aussi proches de la paix. »

D'un geste rapide, il écarte les dépêches qui sont posées sur la table de travail. Il reste l'Espagne. Mais il compte s'y rendre, le mariage scellé. L'Italie, elle, est calme, le pape maté, réduit à ce qu'il doit être, un évêque dépouillé de tout pouvoir temporel. « Son royaume n'est pas de ce monde. » Et, quant à l'Église de France, elle sera gallicane, comme sous Louis XIV.

Il fait quelques pas, le visage tout à coup sombre. Reste le bel allié du Nord, Alexandre Ier.

Le tsar est tombé dans le piège qu'il avait voulu me tendre.

Napoléon prend la dernière dépêche de Caulaincourt. L'ambassadeur, morose, demande son rappel. Il fait état du mécontentement russe.

- Je trouve ridicules les plaintes que fait la Russie ! s'exclame Napoléon. Le tsar me méconnaît lorsqu'il pense qu'il y a eu double négociation : je suis trop fort pour cela ! Ce n'est que quand il a été clair que l'empereur de Russie n'était pas maître dans sa famille et qu'il ne tenait pas les promesses faites à Erfurt que l'on a négocié avec l'Autriche, négociation qui a été commencée et terminée en vingt-quatre heures parce que l'Autriche avait envoyé toutes les autorisations à son ministre pour s'en servir dans l'événement.

On lui a livré Marie-Louise sans hésiter.

Mais il ne se contente pas d'un corps de jeune femme. Il veut son esprit, son cœur. Il a besoin, pour lui-même, de passion.

Comment peut-on vivre si on ne se donne pas tout entier, d'un seul élan à un projet ? Comment font-ils, les autres, à ne jamais vivre dans l'absolu d'un rêve ?

Il pense à cela en épuisant son corps dans la chasse ou bien en se rendant à des fêtes.

Il entre dans le magnifique hôtel du comte Marescalchi, ambassadeur du roi d'Italie - moi, Napoléon - auprès de l'Empereur - moi, Napoléon.

L'hôtel de Marescalchi, situé au coin de l'avenue Montaigne et de l'avenue des Champs-Élysées, est rempli d'une foule d'invités costumés et masqués. On s'observe pour essayer de se reconnaître.

Napoléon s'appuie au bras de Duroc. Tout à coup il étouffe, se retire dans un petit salon où se trouve un officier qu'il reconnaît, le chef d'escadron Marbot. De l'eau glacée, vite, demande-t-il. Il défaille. Il s'asperge le front et la nuque. Une femme entre, interpelle Marbot.

- Il faut pourtant que je parle à l'Empereur, dit-elle. Il faut absolument qu'il double ma pension. Je sais bien qu'on a cherché à me nuire, que dans ma jeunesse j'ai eu des amants ! Eh ! parbleu, il suffit d'écouter ce qui se dit là-bas dans l'entre-deux des croisées pour comprendre que chacun y est avec sa chacune ! D'ailleurs, ses sœurs n'ont-elles pas des amants ? N'a-t-il pas des maîtresses, lui ? Que vient-il faire ici, si ce n'est pour causer plus librement avec de jolies femmes...

Napoléon se lève. Il passe devant la femme, déguisée en bergère avec une tresse blonde qui lui tombe jusqu'aux talons. Il veillera à ce qu'on éloigne cette bavarde insolente de Paris ! Il y a ainsi dans la capitale une dizaine d'acariâtres qui répandent leur venin.

C'est vrai qu'il est venu chez Marescalchi aussi parce que s'y trouvait, il le sait, Christine de Mathis. Mais cette vie-là doit être maintenant effacée, Marie-Louise doit être tenue dans l'ignorance de tout cela. Elle ne doit même pas penser qu'il a été avant elle l'époux d'une femme.

Il convoque Fouché.

Monsieur le régicide fait grise mine. Ses rapports de police continuent de prétendre que le peuple murmure contre l'Autrichienne. Et ses argousins font saisir les ouvrages qui exaltent le souvenir de Marie-Antoinette et de la famille royale. Il a fallu que je lui impose la création de six prisons d'État. Il a murmuré : Bastille ! Détention arbitraire ! Ne dois-je pas me défendre contre les tueurs, les adversaires résolus, décidés même à m'assassiner ?

Et maintenant, lui qui fut partisan du divorce, voici qu'il laisse les journaux évoquer à tout instant Joséphine.

- Je vous avais dit de faire en sorte que les journaux ne parlassent pas de l'Impératrice Joséphine, cependant ils ne font pas autre chose, dit Napoléon en saisissant un journal posé sur sa table. Encore aujourd'hui, Le Publiciste en est plein.

Il tourne le dos à Fouché, manière de le congédier.

- Veillez, lance-t-il, à ce que demain les journaux ne répètent pas cette nouvelle du Publiciste.

Il attend avec impatience que Fouché quitte le cabinet de travail. Il relit les dépêches que transmet le télégraphe de Strasbourg et qui annoncent que les cent voitures, les quatre cent cinquante chevaux qui composent la suite de Marie-Louise sont arrivés à Saint-Polten. La voiture de Marie-Louise est tirée par huit chevaux blancs. Et Caroline a pris place aux côtés de sa belle-sœur. À Vienne, il y a eu quelques troubles peu après le départ de Marie-Louise, quand on a appris l'exécution par les troupes françaises d'Andreas Hofer, le chef de l'insurrection tyrolienne.

Napoléon froisse la dépêche. Il veut la paix, mais on ne le fera pas plier. Même si rien ne doit gâcher ce mariage, compromettre les relations qu'il veut nouer avec sa femme.

Il écrit.

« Vous êtes à cette heure partie de Vienne. Je sens les regrets que vous éprouvez. Toutes vos peines sont les miennes. Je pense bien souvent à vous. Je voudrais deviner ce qui peut vous être agréable et me mériter votre cœur. Permettez-moi, Madame, d'espérer que vous m'aiderez à le gagner, mais à le gagner tout entier. Cette espérance m'est nécessaire et me rend heureux.

« Napoléon

« Le 15 mars 1810 »

Il ne peut plus attendre. Que fait-il aux Tuileries alors qu'il devrait être auprès de Marie-Louise, puisque le mariage par procuration a été conclu ? Elle devrait déjà être dans son lit.

Le mardi 20, il décide de quitter Paris pour le château de Compiègne. C'est là que Louis XVI a accueilli Marie-Antoinette.

Et moi, j'y recevrai en Empereur Marie-Louise.

Il veut que toute la cour soit à Compiègne et qu'Hortense et Pauline Borghèse soient à ses côtés.

Que Pauline vienne accompagnée de sa dame d'honneur, Christine de Mathis. Pourquoi pas ? Je suis seul, pour l'instant.

Mais d'être à Compiègne ne l'apaise pas.

Lorsque Murat l'y rejoint, il l'entraîne dans de longues chasses. Il pique son cheval au sang. Il veut être le premier de la course. Son énergie est inépuisable. Il met pied à terre, vise, tire. Et tout à coup il se lasse, rentre au château, écrit à Marie-Louise.

« J'ai fait une très belle chasse, cependant elle m'a paru insipide. Tout ce qui n'est pas vous ne m'intéresse plus. Je sens qu'il ne me manquera plus rien lorsque je vous aurai ici. »

Il veut la prendre tout entière. Que rien d'elle, ni le corps, ni l'esprit, ni les rêves, ne lui échappe.

À peine a-t-il fini d'écrire, ce vendredi 23 mars, qu'il commence une autre lettre. « L'Empereur ne peut être content et heureux que du bonheur de sa Louise », écrit-il.

À peine a-t-il terminé qu'une nouvelle dépêche arrive. « Le télégraphe me dit que vous êtes enrhumée. Je vous en conjure, soignez-vous. J'ai été ce matin chasser ; je vous envoie les quatre premiers faisans que j'ai tués comme signe de redevance bien dû à la Souveraine de toutes mes plus secrètes pensées. Pourquoi ne suis-je pas à la place du page à prêter serment d'hommage lige, un genou à terre, mes mains dans les vôtres, toutefois recevez-le en idée. En idée aussi je couvre de baisers vos belles mains... »

Marie-Louise approche. Le mardi 27 mars, elle est attendue à Soissons.

Folie que d'attendre. Impossible de patienter. Il appelle Constant. Il veut, sur son habit de colonel des chasseurs de la Garde, passer la redingote qu'il a portée à Wagram. C'est ce jour-là avec la victoire qu'il a arraché Marie-Louise.

Il appelle Murat, dont l'épouse Caroline est en compagnie de Marie-Louise. Allons. Une calèche est prête. On s'élance.

Il harcèle les cochers. Aux relais, sous une pluie battante, il descend pour faire hâter les postillons. À l'entrée du village de Courcelles, une roue de la calèche se brise. Il court sous l'averse jusqu'au porche de l'église.

Il aime ces imprévus, cette pluie et ce vent qu'il faut affronter, cette rencontre qui fracasse le protocole, surprend Murat et les soldats de l'escorte.

Il va et vient au bord de la route, guettant l'arrivée du cortège. On imaginait donc qu'il était quoi ? Louis XVI attendant sagement sur son trône à Compiègne ? Il est Napoléon.

Il voit approcher les chevaux blancs de la voiture de Marie-Louise. Il se place au milieu de la route et bondit vers la calèche qui vient de s'arrêter. Un écuyer baisse le marchepied. Il se précipite. Il reconnaît Caroline Murat, qui murmure :

- Madame, c'est l'Empereur.

C'est donc elle, Marie-Louise. Elle est parfumée, rose, si jeune. Il lui prend les mains, les embrasse. Si fraîche. Il rit. Il la détaille. Il sent contre lui cette lourde poitrine, ces hanches grasses, ce corps souple, à prendre. Elle a le teint vif, les cheveux d'un blond cendré. Il ne l'imaginait pas si pleine, si forte. Et il a envie de la presser contre lui comme un butin charnu. Il reconnaît ces traits qui l'avaient frappé sur les portraits qu'il avait vus d'elle, cette grosse lèvre autrichienne. Elle est une bonne terre, grasse, féconde. Il en est sûr. Il a envie de la lutiner, de rire.

Il donne l'ordre qu'on brûle l'étape de Soissons. Tant pis pour le banquet, pour ces notables qu'on aperçoit sous les auvents et qui attendent la souveraine pour prononcer leurs compliments. Il rit. Ce qu'il veut, c'est un lit au plus vite.

La nuit s'avance. Il la serre, la cajole. Elle est effarouchée, puis il sent qu'elle s'abandonne. Elle rit aussi.

Un lit, vite.

Il est 10 heures du soir quand on arrive à Compiègne. Il voit toute la cour qui se presse au pied du grand escalier, qui s'apprête à les entourer, à les étouffer de compliments et de révérences. Il fait un geste, il traverse la foule, gagne une petite salle à manger et dîne avec seulement Caroline et Marie-Louise.

Elle est plus belle qu'il ne l'imaginait. Beauté du diable ! Mais saine, ronde, rose, fraîche, neuve comme une source qui vient de jaillir.

Une Habsbourg de dix-huit ans, c'est cela !

Il la veut cette nuit.

- Quelles instructions avez-vous reçues de vos parents ? lui demande-t-il.

Il aime son regard candide, sa naïveté.

- D'être à vous tout à fait et de vous obéir en toute chose, murmure-t-elle dans son français à l'accent rugueux.

Cette obéissance avouée l'excite.

À moi, cette femme, à moi tout de suite !

Elle dit en baissant la tête que le mariage religieux n'a pas eu lieu. Il appelle le cardinal Fesch, qui la rassure, la persuade que tout est en ordre.

Napoléon l'entraîne vers l'hôtel de la Chancellerie, proche du château. C'est là qu'il aurait dû dormir, seul. Avec Marie-Louise à quelques centaines de mètres ? Il n'est pas homme à accepter cela.

Il la laisse quelques instants avec Caroline. Elle est vierge. Elle ne sait rien. On lui a même assuré que durant toute sa vie on a écarté d'elle jusqu'aux animaux mâles.

Je suis le premier mâle.

Il entre dans la chambre.

Elle est à moi, comme je le veux.

Il la laisse dormir dans le jour qui se lève.

Il voudrait clamer sa victoire, son triomphe. Il sort de la chambre.

Il s'approche de Savary, son aide de camp qui attend dans le salon proche de la chambre.

Il lui tire l'oreille, rit.

- Mon cher, dit-il, épousez une Allemande, ce sont les meilleures femmes du monde, douces, bonnes, naïves et fraîches comme des roses.

Il passe les journées du mercredi 28 et du jeudi 29 mars 1810 près d'elle, dans ce château de Compiègne. Il se fait servir à déjeuner dans la chambre.

Il sent les regards curieux lorsqu'il se présente avec elle pour le concert qui est organisé dans la grande salle du château. Il faut bien la présenter à la cour. Mais il a hâte de la retrouver pour lui seul, de l'étonner encore, de la faire crier et rire. De lui faire découvrir le corps à corps de l'amour. Déjà il l'a sentie, après quelques minutes de surprise et de douleur, ravie de ce qu'elle avait éprouvé.

Il n'a jamais vécu cela. Il est le maître qui enseigne. Il n'a plus de hâte. Il lit sur le visage de Pauline Borghèse un étonnement un peu sarcastique. Deux jours sans quitter Marie-Louise ! Il hausse les épaules.

- Il m'arrive une femme jeune, belle, agréable, dit-il. Ne m'est-il donc pas permis d'en témoigner quelque joie ? Ne puis-je, sans encourir le blâme, lui consacrer quelques instants ?

Il se penche vers Pauline, elle dont la vie tumultueuse est une succession de plaisirs.

- Ne m'est-il donc pas permis, à moi aussi, de me livrer à quelques instants de bonheur ?

Avant de rentrer dans la chambre de Marie-Louise, il dicte rapidement quelques lignes à François Ier, empereur d'Autriche.

« Monsieur mon Frère et Beau-Père, la fille de Votre Majesté est depuis deux jours ici. Elle remplit toutes mes espérances et depuis deux jours je n'ai cessé de lui donner et d'en recevoir des preuves des tendres sentiments qui nous unissent. Nous nous convenons parfaitement.

« Je ferai son bonheur, et je devrai à Votre Majesté le mien.

« Nous partons demain pour Saint-Cloud et, le 2 avril, nous célébrerons la cérémonie de notre mariage aux Tuileries. »

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