7.

Est-ce Vous, Seigneur, qui m’avez inspiré les mots qui ont scellé mon destin ?

Je n’ai pas eu le courage de les répéter lorsque Dragut l’a exigé, m’empoignant par le col et commençant à me secouer.

J’ai baissé la tête pour ne pas voir son visage, ne pas succomber à l’effroi qu’il suscitait en moi, tant émanait de lui une implacable cruauté.

— Tu ne connais pas Louis de Thorenc ? répéta-t-il.

Je me suis mordu les joues et les lèvres pour ne pas crier : « Oui, j’ai menti ! Je suis son fils ! Oui, je lui rends grâces d’avoir payé ma rançon ! Oui, je veux être libre, quitter cette ville, ne plus penser à ceux que j’y abandonne : Mathilde de Mons, Diego de Sarmiento, et mes frères chrétiens livrés par leur roi, enchaînés, battus, martyrisés ! Je veux chevaucher jusqu’aux forêts qui couvrent les sommets, au-delà du Castellaras de la Tour. Je veux y chasser le sanglier ou le chamois, y vivre loin des hommes, laisser les uns s’allier aux infidèles, les autres les combattre. Je ne veux plus être entraîné dans leur guerre. Je ne veux pas être écorché, empalé, crucifié. Je ne veux plus pourrir parmi les rats dans la pénombre de la chiourme ! »

Seigneur, j’ai dû combattre la tentation de me renier et n’ai trouvé la force d’y résister que dans la prière. J’ai rempli ma bouche et ma tête de Vous, Notre Père qui êtes aux cieux, et de Marie, Mère de toutes les grâces.

Dragut m’a souffleté, puis a serré ses mains autour de mon cou, ses pouces pressant si profondément ma gorge que j’ai eu l’impression qu’il allait les y enfoncer et m’arracher la tête.

Un voile rouge a alors recouvert mes yeux.


Lorsqu’il s’est déchiré, j’étais à genoux, mains liées dans le dos, un bâton passé sous les bras. Les deux hommes qui me gardaient en tenaient les extrémités, me soulevant parfois quand ils me voyaient m’apaiser.

Dragut était assis en face de moi.

— Ainsi, tu veux rester avec nous ? a-t-il dit.

Il parlait d’une voix posée, les doigts noués sur sa poitrine.

— Tu es un homme précieux. Ta valeur va augmenter. Bientôt, c’est deux mille ducats que je demanderai à Louis de Thorenc. Et pour cette rançon-là je te livrerai tel que tu es maintenant, attaché comme un chevreau avant qu’on l’égorge.

Il a secoué la tête.

— Mais je te garde pour la fin du ramadan.

Il s’est levé et s’est mis à tourner autour de moi, se baissant pour me relever la tête en me tirant les cheveux.

— Mais tu veux peut-être reconnaître qu’Allah est l’Unique et écouter la voix du Prophète ?

Il s’est accroupi, son visage tout près du mien.

— Tu es jeune, tu as la peau lisse.

Il m’a caressé la joue.

— Moi, je suis resté sept ans enchaîné sur le banc d’une chiourme. Regarde…

Il effleura du bout des doigts sa cicatrice.

— Ils m’ont marqué comme un cheval, un taureau. J’ai moi-même appliqué sur ma peau la lame d’un sabre rougie au feu. Je suis devenu Dragut-le-Brûlé. Quand tu auras vécu cela, alors tu sauras reconnaître la puissance d’Allah !

Il s’est redressé, m’a de nouveau tiré sur les cheveux, m’obligeant à le regarder.

— Tu deviendras peut-être capitan-pacha, comme moi. Allah est généreux avec ceux qui L’ont reconnu. Et le sultan veille sur ceux qui le rejoignent.

J’ai répondu dans un murmure :

— Je crois en Jésus-Christ, Notre-Seigneur.

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