24.

Seigneur, pardonnez-moi, mais j’ai offert mon corps et mon âme à celle à qui on avait donné comme nom de baptême Lela Marien.

Lorsque nous étions couchés côte à côte sous les voiles, dans la chambre située dans l’une des tours du Presidio, non loin de mon réduit de prisonnier, elle répétait souvent comme une incantation : « Lela Marien », puis me disait d’une voix fière et forte : « Marien, Marie… Je porte le nom de la Vierge Marie, la mère de Dieu ! »

Elle se redressait. Elle était nue.

J’avais été surpris, lorsque je l’avais découverte et caressée pour la première fois, par ses seins lourds, ses hanches larges. Serrée dans sa robe noire, je n’avais pas imaginé qu’elle pût être, en dessous, ce fruit pulpeux.

Elle s’asseyait, jambes croisées, ses cheveux noirs couvrant ses épaules en longues boucles. Souvent elle posait ses deux paumes sous ses seins comme si elle avait voulu les soutenir ou les palper.

Elle se penchait vers moi et son corps touchait le mien, mais, lorsque je voulais la saisir, elle se dérobait.

Car c’est elle qui me possédait. Elle qui m’initiait. Elle qui veillait à me raccompagner dans ma prison avant que don Garcia Luis de Cordoza ne rentre de ses inspections.

Le capitaine général s’absentait parfois plusieurs jours pour se rendre à Cordoue et jusqu’à Carthagène ou Séville.

Lela Marien me rapportait que ses voyages l’épuisaient, mais que le roi et l’empereur exigeaient que l’on veillât sur l’Andalousie.

— Les Espagnols l’ont conquise, mais ils ont peur, murmurait Lela Marien.

Elle nouait ses mains derrière sa nuque et se balançait lentement d’avant en arrière.

Elle courbait et même pliait son corps, qui n’avait rien de gracile, sans aucun effort. Tout en restant assise, elle embrassait ma poitrine alors que j’étais allongé. La pointe de ses seins me frôlait. Puis elle s’éloignait et se renversait, les hanches et les jambes toujours immobiles, si bien que sa nuque effleurait le lit, ses seins se gonflaient, tendus, provocants.

— Tu es chrétien, mais tu n’es pas espagnol, reprenait-elle en se redressant. Les Espagnols sont des porcs, des chiens, non parce qu’ils sont chrétiens, mais parce qu’ils sont espagnols.

Elle appuyait sa paume sur mes lèvres, les écrasait.

— Sois d’abord de ton pays, de ta famille, disait-elle. Les Espagnols n’aiment pas les gens du roi de France. Don Garcia te hait. Il te gardera prisonnier, puis il te fera étrangler ou empoisonner parce que tu es du royaume de France et que je t’ai choisi. Il fait exécuter tous les hommes que je choisis. Moi, je lui donne trop de plaisir pour qu’il me tue.

Elle tendait et courbait son corps comme un arc, en équilibre sur la pointe de ses pieds et le bout de ses doigts, jambes légèrement écartées, et je devinais sa fente rouge aux lèvres presque noires.

— Je peux tout faire avec mon corps, disait-elle, un peu haletante. Il le sait. Il ne peut renoncer à moi. Il me voudrait son esclave, mais personne ne peut être mon maître.

Elle me fixait et c’était comme si son regard bleu et blanc me terrassait, m’enchaînait.

Elle murmurait :

— Les Espagnols ont peur. Don Garcia Luis de Cordoza a peur de moi. Il sait que je n’oublie pas que je suis Aïcha, descendante des Thagri. Les miens ont possédé plus de terres et de palais, plus de moutons que les rois de Cordoue et de Grenade. Crois-tu que je puisse l’oublier parce que l’on m’a baptisée du nom de Lela Marien ? Je suis mauresque et tous, ici, nous le sommes restés. Un jour, Allah, si nous Lui sommes fidèles, Se souviendra que cette terre est nôtre, et II nous la rendra. Et l’Alhambra et nos mosquées seront de nouveau à nous.

Elle posait sa paume sur ma poitrine.

— Toi, tu n’es pas espagnol. Il faut que tu quittes Grenade avant que ce goret de capitaine général te fasse tuer.

Ses doigts ont voleté sur ma peau. J’ai frissonné. Elle s’est allongée contre moi.

— Tu te souviendras d’Aïcha, a-t-elle murmuré.

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