36.
Je marche au sommet de ces hautes falaises que la mer sape à grands coups sourds.
Je m’approche de l’à-pic. Je scrute ces rochers, ces débris de promontoire que la mer ensevelit puis laisse réapparaître au gré de la houle, des bourrasques du magistrale qui souffle de l’ouest, humide et glacé.
Je veux voir si d’autres corps mutilés, déchiquetés, défigurés, gonflés, ont été rejetés par le ressac.
Car chaque jour, depuis que la tempête a commencé, les vagues déposent à nos pieds ces restes d’hommes.
Quelques-uns portent encore une botte, un ceinturon ; l’un d’eux avait même, comme incrusté dans la chair de son visage dont la mer et les requins avaient dévoré les traits, une partie de son casque.
Ceux-là, on peut savoir s’ils sont janissaires ou chevaliers.
Mais la plupart de ceux qui sont venus s’accrocher aux rochers, s’agripper aux galets de la grève, se recroqueviller dans les anfractuosités de la jetée, sont nus et rien ne permet de les reconnaître. Leur peau a peut-être été blanche ou mate, leurs cheveux ont peut-être été noirs ou blonds, mais la mer a effacé ce qui les opposait.
Comment savoir si ces morceaux d’hommes sont ceux de chrétiens ou d’infidèles ?
Je ne me lasse pas de les repérer, et, en dépit du vent, je me penche comme si je voulais être le premier à découvrir un nouveau corps.
Cela s’est produit plusieurs fois déjà et j’ai eu l’impression que ces cadavres me montraient le fond de l’abîme dans lequel venait se fracasser toute vie.
Celle d’un infidèle comme celle d’un chrétien, d’un catholique comme d’un hérétique.
Et cette pensée était un fer rouge plongé en moi, de ma tête à mon ventre, un épieu de feu qui me faisait douter de Vous, Seigneur.
Pourquoi cette cruauté entre les hommes, si l’infidèle et le chrétien n’étaient plus que ces baudruches lacérées avec lesquelles jouait la mer ?
J’aurais voulu, Seigneur, partager mon désespoir.
Mais à qui le confier ?
Je suis entré à plusieurs reprises dans l’église de Bourg que nous appelions désormais Sainte-Marie-de-la-Victoire. Je voulais m’agenouiller dans l’obscurité du confessionnal, devant un prêtre. Mais, à chaque fois que j’ai parcouru la nef, on y célébrait la messe pour un chevalier mort des suites de ses blessures. Son cercueil était placé devant l’autel. Le Grand Maître de l’ordre, avec sa chasuble rouge marquée de la croix blanche, était agenouillé, entouré des chevaliers de son conseil.
J’ai eu honte de mes doutes !
Les corps pouvaient se mêler dans la mort, chairs putréfiées, mais les âmes étaient pesées par Dieu selon leurs mérites et rien ne pouvait confondre celles-ci avec celles-là.
Je priais. Mes doutes s’effaçaient. La mer pouvait bien vomir des corps par morceaux, les âmes les avaient depuis longtemps quittés.
Je sortais de Sainte-Marie-de-la-Victoire apaisé.
Dans les ruelles de Bourg, les hommes s’affairaient à relever les murs des maisons que les boulets des canons de Mustapha et Dragut avaient fracassés. On bâtissait de nouveaux remparts. On reconstruisait le fort Saint-Elme presque entièrement détruit.
Souvent, en soulevant les blocs effondrés, on découvrait des corps eux aussi rongés.
Lorsque leur état ne permettait pas de les reconnaître, on les enterrait la nuit, loin des sépultures honorées, comme s’il s’était agi de pestiférés.
Sachant cela, j’étais à nouveau saisi par le désespoir.
J’ai souvent imploré Votre aide, Seigneur, en ces jours qui étaient pourtant ceux de notre victoire sur l’infidèle.
Mais je ne pouvais me confier qu’à Vous.
Car j’errais sur l’île, chevauchant d’une tour de guet à l’autre, seul.
Enguerrand de Mons avait le premier quitté Malte, chargé par le Grand Maître de l’ordre de le représenter auprès de la reine mère Catherine de Médicis et du roi Charles IX. Je l’avais accompagné jusqu’à la galère qui devait le conduire à Naples. Puis, par voie de terre, il regagnerait le royaume de France, séjournerait quelques jours dans la Forteresse de Mons avant de se diriger vers Paris où résidait la cour de France.
Alors qu’il avait déjà franchi la passerelle, il m’avait encore incité à l’accompagner. La guerre pour la foi en Christ allait, m’avait-il dit, se dérouler en France. C’est là que les hérétiques étaient les plus nombreux, qu’ils étaient protégés par les plus grands du royaume, par Catherine de Médicis elle-même qui ne songeait qu’à préserver le pouvoir de ses fils.
— C’est une sorcière, une Médicis, une marchande ! répétait-il.
Il m’avait rapporté les propos colportés par l’ambassadeur de Venise qui avait fait escale à Malte. La reine mère était au cœur de tous les complots qui se faisaient et se défaisaient à la cour. Certains étaient dirigés contre les huguenots : les Condés, les Bourbons, les Coligny, les Thorenc – « votre frère, Bernard, votre sœur ». D’autres cherchaient à abattre les Guises. La reine espérait, en les opposant les uns aux autres, catholiques contre protestants, détruire tous ceux qui auraient pu contester le pouvoir royal.
— Elle vit entourée de mages et d’astrologues, d’empoisonneurs. Les uns lui préparent des mixtures, des onguents, des parfums mortels qu’elle verse et répand là où elle peut. Les autres dressent des horoscopes, construisent des miroirs qu’elle interroge, cherchant à y découvrir combien de fois tel ou tel de ses fils, Charles ou Henri, ou de leur rival, le prince de Navarre, y sera reflété. Et, selon le nombre, elle comptera les années de règne, elle évaluera la durée de vie, elle l’abrégera si elle peut.
Elle utilisait aussi les services d’un « envoûteur d’airain » qui confectionnait de petits automates représentant tel ou tel prince, tel ou tel de ses ennemis, et l’envoûteur fichait des aiguilles dans ces statuettes mobiles, en brisait les membres, en arrachait la tête, les écrasait. La reine Catherine guettait les effets de ces envoûtements sur le corps de ceux dont elle voulait la mort.
J’étais à la fois fasciné et effrayé. Je m’étonnais qu’il partît pour cette cour avec autant d’allant et songeât même à m’inviter à l’y accompagner.
— C’est un nœud de vipères ! avait-il dit. Mais c’est dans le royaume de France que se gagne ou se perd la guerre du Christ. Philippe II le sait, le Grand Maître de l’ordre le sait, le nouveau pape Pie V le sait. Il faut contraindre Catherine de Médicis et Charles IX à agir contre les huguenots. Je voudrais…
Il souhaitait que je tente de ramener à la vraie foi mon frère Guillaume et ma sœur Isabelle. Depuis la mort de notre père à Saint-Quentin, Guillaume était devenu l’un des huguenots les plus proches de l’amiral de Coligny, l’un des quelques nobles qui dirigeaient le parti protestant. Quant à Isabelle de Thorenc, elle était restée dans l’entourage de Catherine qui aimait la beauté, la grâce et l’esprit des jeunes femmes. On disait qu’elle rêvait de marier un jour Isabelle avec un noble catholique et jeter ainsi le trouble dans les rangs de la secte calviniste.
— La guerre civile a commencé et elle sera impitoyable.
Philippe II avait fourni à Catherine et à Charles IX des troupes qui avaient permis aux catholiques de l’emporter sur les protestants au cours des premières batailles.
Mais rien n’était gagné. Les huguenots se rassemblaient, saccageaient les églises, massacraient les moines, les prêtres, les fidèles là où ils le pouvaient, comme à Pamiers ou à Nîmes.
— Ils tuent les catholiques avec la même rage qu’ils décapitent les statues de saints et celles de la Vierge.
Je me souviens encore du ton de sa voix lorsqu’il avait ajouté :
— Il faudra leur rendre la pareille.
J’ai refusé d’accompagner Enguerrand de Mons.
Peut-être, Seigneur, ai-je été couard. Mais je n’ai pas eu le courage d’affronter les miens, mon frère Guillaume et ma sœur Isabelle. J’éprouvais un sentiment d’effroi et de la répulsion à l’idée de me trouver plongé dans ce « nid de vipères » – Enguerrand de Mons, l’avait qualifié ainsi – qu’était la cour de France.
Il avait frappé du talon.
— Il faut écraser la tête de ces serpents ! avait-il dit.
Je ne m’en suis pas senti capable.
Autant je voulais continuer la guerre contre les infidèles, autant mon bras devenait lourd et se paralysait lorsque j’envisageais de lever mon glaive contre les hérétiques.
Au lieu de m’opposer à lui, j’avais ainsi longuement conversé, en chevauchant, avec Robert de Buisson.
Je l’avais convaincu de ne pas chercher querelle à Enguerrand de Mons et j’avais fait de même avec ce dernier.
Mais ils se défiaient du regard, se provoquaient. Ils rêvaient d’en découdre en champ clos, et cela avait commencé dès le lendemain de notre victoire, alors que les voiles des navires de Dragut et de Mustapha se détachaient encore sur l’horizon.
C’était folie, et je n’avais trouvé comme moyen de les empêcher de s’entre-tuer que de les entraîner l’un après l’autre loin de Bourg et du fort Saint-Elme.
Mais le royaume de France, la guerre qui s’y fomentait entre huguenots et catholiques les obsédaient.
Écoutant Robert de Buisson, j’avais parfois le sentiment d’entendre Enguerrand de Mons, mais c’était comme si son discours avait été inversé, à l’instar des figures de cartes à jouer.
Comme Enguerrand de Mons, Robert de Buisson s’en prenait à la reine mère, cette ensorceleuse, descendante d’une lignée de marchands qui avaient acheté leur noblesse avec le prix des draps qu’ils avaient vendus. Maintenant elle se vendait et bradait le royaume de France à Philippe II. Le roi de France allait moins compter qu’un seigneur d’Espagne ! Déjà les soldats de Philippe II avaient, à Dreux, massacré des Français huguenots, et permis la victoire des papistes. À Bayonne, le duc d’Albe avait rencontré Catherine, et l’on pouvait imaginer ce qu’ils avaient ourdi ensemble : le massacre de tous les protestants de France.
— Ils ont commencé à nous tuer, avait poursuivi Robert de Buisson, à incendier nos temples, à nous interdire de pratiquer notre foi. Qu’imaginent-ils : qu’ils vont pouvoir nous traiter comme ces gueux des Pays-Bas massacrés par les troupes du duc d’Albe ? Nous savons nous battre, et les mercenaires suisses du duc ne nous effraient pas. Et, s’il le faut – vous entendez, Bernard ? –, nous engagerons des lansquenets allemands qui valent mieux que ces Suisses. Nous ne nous laisserons pas égorger comme des moutons !
Robert de Buisson s’indignait, s’étonnait que je fusse le seul de la grande famille des Thorenc à ne pas avoir choisi le juste chemin. Qui m’avait à ce point aveuglé ? N’avais-je pas connu ce que devient un royaume quand il est livré aux papistes ? Je ne pouvais ignorer ce qu’étaient les tribunaux de l’Inquisition.
— Leurs juges, leurs bourreaux ne valent pas mieux que ceux de Dragut-le-Cruel. Or le pape Pie V est l’ancien inquisiteur général. Pour cette seule raison, vous devriez rejoindre la religion réformée.
Il ne servait à rien de lui répondre, de lui remontrer que m’importait d’abord la victoire des chrétiens sur les infidèles et leurs alliés. Que c’était là la guerre du Christ et que les autres ne me paraissaient que querelles envenimées par les clercs et les princes à leur profit. Que je ne voulais donc pas m’y mêler, cherchant seulement à mettre mon glaive au service du Christ et de son Église, contre l’islam et sa volonté de dominer, d’exterminer la chrétienté.
J’ai seulement réussi à empêcher Robert de Buisson de défier Enguerrand de Mons, mais je n’ai été rassuré que lorsque celui-ci a quitté l’île, imité quelques jours plus tard par celui-là.
J’étais seul désormais.
Souvent, lors de mes chevauchées, alors que je longeais un champ de blé dévasté, des oiseaux paraissaient tout à coup jaillir des épis brisés, et, dans un grand battement noir, leurs cris aigus me perçant la tête, s’envolaient, tournoyant au-dessus de moi qui m’avançais jusqu’à cette masse sombre que j’avais devinée à travers les épis.
C’était un cheval ou un homme mort. Ses yeux avaient été picorés par les volatiles ; son ventre, lacéré par des chiens. Sa chair noire était couverte de grosses mouches, et d’énormes vers gluants glissaient parmi les entrailles répandues.
Je restais longuement immobile à regarder cette transformation d’une vie en un grouillement d’autres vies aussi déterminées à vivre, à arracher leur parcelle de subsistance, à combattre l’une contre l’autre, s’il le fallait, que la vie qui gisait là, morte, l’avait été.
Je m’éloignais enfin, à nouveau tourmenté. Parfois, je m’agenouillais devant ce qui avait été un calvaire et qui n’était plus qu’une stèle renversée, une croix démembrée.
Car les troupes de Mustapha et de Dragut-le-Cruel avaient parcouru toute l’île, brisant crucifix et autels, égorgeant ou crucifiant les chrétiens qu’ils capturaient, qu’ils fussent chevaliers ou paysans. Les fossés qui bordaient les champs étaient souvent comblés par des corps mutilés.
Ma guerre devait être celle-là : contre ces infidèles impitoyables qui n’avaient jamais cessé de nous combattre.
En m’enfonçant dans les ruelles de Mdina, de Rabat ou de Melheila, je découvrais que l’île avait été, au cours des temps, recouverte par l’invasion arabe alors que saint Paul l’avait évangélisée, après que son navire eut fait naufrage contre un récif, à quelques encablures des côtes. Mais les Arabes l’avaient conquise et, durant près de deux siècles, ils l’avaient gardée agenouillée, soumise, et certains habitants s’étaient convertis à l’islam, jusqu’à ce qu’un comte normand, Roger de Hauteville, l’eût libérée.
Et nous, chrétiens, catholiques et huguenots, l’avions empêchée d’être à nouveau la proie des infidèles.
Au terme de mes chevauchées, rentrant à Bourg, j’étais fier de voir peu à peu sortir de terre une nouvelle église qu’on appellerait Saint-Jean, pour honorer le Grand Maître de l’ordre, Jean de La Valette.
Il m’avait demandé de lui rendre visite au fort Saint-Elme dont on avait déjà achevé de reconstruire la partie des remparts dressés au-dessus de la mer.
Ce jour-là, le magistrale avait cessé de souffler. Dans la lumière limpide, les rochers et les pierres avaient pris une couleur dorée. Les oiseaux volaient haut dans un ciel lavé que reflétait l’eau lisse des baies. Je pensais à ces enluminures qui, au bord des pages, accompagnent le voyage de Dante et de Virgile de l’Enfer au Purgatoire et au Paradis.
Et je songeais à Michele Spriano qui n’était peut-être déjà plus qu’une chair meurtrie, enfouie, putréfiée.
La salle où se tenait le Grand Maître de l’ordre était plongée dans la pénombre, mais j’ai reconnu d’emblée la silhouette qui s’avançait vers moi, bras ouverts. Je me suis immobilisé. J’étais heureux, ému de revoir Diego de Sarmiento, débarqué sans doute de cette galère que j’avais vue amarrée à la jetée de Bourg. Une petite foule s’était attroupée autour de la passerelle, regardant des prisonniers infidèles porter jusqu’aux entrepôts des coffres, des ballots dont on m’avait dit qu’ils étaient les cadeaux que le roi d’Espagne offrait à l’ordre de Malte pour saluer la victoire contre l’armée et la flotte du sultan.
Sarmiento m’a serré contre lui. Il était chargé, m’a-t-il dit, de faire connaître au Grand Maître de l’ordre la satisfaction, la joie et la fierté de Sa Majesté le roi d’Espagne pour l’héroïsme dont avaient fait preuve ses chevaliers, et saluer leur victoire sur les infidèles.
Puis il s’était tourné vers Jean de La Valette, ajoutant que Philippe II, en m’invitant à rejoindre l’île, avait voulu qu’on sache que l’Espagne participait à ce combat et ne ménagerait aucun effort pour aider Malte. Les présents et subsides que le roi avait tenu à faire parvenir à l’ordre marquaient son attachement à cette grande institution chrétienne.
Le Grand Maître avait souri. Son visage était celui d’un homme malade que ses blessures continuaient de faire souffrir et qui n’était plus dupe des mots.
— Je remercie Sa Majesté le roi, a-t-il murmuré. Même s’il vient après la bataille, son appui nous est précieux. Quant au comte Bernard de Thorenc, j’ignorais qu’il représentait Philippe II. Mais je n’en souligne qu’avec plus de force son mérite et je salue sa modestie et sa discrétion : à croire qu’il ignorait qu’il combattait au nom du roi d’Espagne !
J’ai baissé la tête comme si j’avais voulu que ces escarmouches et ces habiletés, ne me concernant pas, glissent au-dessus de moi. Mais je n’étais pas plus dupe des gestes de Philippe II que ne l’était le Grand Maître de l’ordre.
Le roi d’Espagne nous avait laissés seuls face à Dragut et à Mustapha. Mais, puisque nous les avions repoussés, il faisait sienne notre victoire. Et je devenais son porte-enseigne, moi qui avais dû fuir Tolède de crainte qu’il ne m’interdise de rejoindre Malte. Et Sarmiento, qui m’avait averti des risques que je courais en désobéissant au souverain, mentait avec l’assurance d’un ambassadeur de Venise.
Nous avons quitté ensemble le fort Saint-Elme et nous avons marché sur les remparts de Bourg, puis jusqu’à la galère espagnole amarrée à l’extrémité de la jetée.
Sarmiento me parla avec enthousiasme de ce palais de l’Escurial qui serait le plus vaste, le plus noble de tous les palais de toutes les nations du monde. Philippe II s’y était déjà installé, mais une partie de la cour vivait encore à Madrid.
Il me montra les falaises nues qui surplombaient les baies, les forts Saint-Michel, Saint-Ange, Saint-Elme, et la petite ville de Bourg. Il était temps, poursuivit-il, que je quitte cette extrémité perdue du monde, que je retrouve l’Espagne, Sa Majesté Philippe II qui avait besoin d’hommes de ma trempe.
Le roi ne pouvait compter sur son fils don Carlos, pauvre fou difforme, ni sur don Juan, son bâtard de frère, dont on craignait les ambitions. Ses conseillers, Ruy Gomez et d’autres, étaient des hommes d’écritoire. Le duc d’Albe rétablissait l’ordre aux Pays-Bas. Et les gueux huguenots, les nobles flamands étaient des rebelles farouches. Il faudrait longtemps au duc d’Albe pour les réduire. Il manquait donc au roi des hommes de ma trempe. Et Sarmiento s’était porté garant de ma fidélité.
Or, en Andalousie, autour de Grenade et sur toute la côte, les morisques s’armaient, recevaient les émissaires des Barbaresques et du sultan. Ce n’étaient encore que les premières flammèches d’une révolte, mais l’Espagne pouvait-elle accepter qu’on la défie, que la vermine se répande sur son corps et finisse par le saigner ?
J’ai pensé à Aïcha, à Juan Mora, à tous ces convertis masqués qui priaient Allah, se prosternant en direction du tombeau du Prophète.
N’avais-je pas répété que ma guerre était celle-là : contre les infidèles qui ne renonçaient jamais – et seulement celle-là ?
Quelques jours plus tard, je quittais Malte pour l’Espagne sur la galère de Diego de Sarmiento.