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Flanagan se dirigea vers son bureau, les mains chargées d’un sandwich emballé dans un film plastique et d’une bouteille d’eau. Elle n’avait plus aucun appétit depuis le vendredi, jour du diagnostic à la clinique, mais après la conférence de presse, son estomac avait commencé à gargouiller. Plusieurs heures plus tard, comme il ne se taisait toujours pas, elle était sortie pour chercher quelque chose à manger.

Elle arriva à sa porte et tourna distraitement la poignée. Mais quand le battant s’ouvrit, elle se rappela qu’elle l’avait verrouillé en partant.

Penché sur un tiroir du meuble de rangement, les doigts entre les feuillets, l’inspecteur-chef Hewitt se redressa.

Flanagan se figea sur le seuil.

Son visage, sûrement, montra qu’elle savait ce qu’il cherchait. Les documents qu’elle avait rapportés de l’appartement de Lennon étaient rangés dans le tiroir de son bureau fermé à clé. Quelques minutes plus tard, en le forçant, il les aurait découverts.

« Je peux vous aider ? » demanda-t-elle.

Hewitt sortit les doigts du tiroir à dossiers, le repoussa, et mit les mains dans ses poches. « Je cherchais juste… euh… je croyais avoir oublié… »

Laissant la porte ouverte, Flanagan gagna son bureau. Elle posa son sandwich et sa bouteille pendant que Hewitt bredouillait un mensonge qui ne venait pas.

Il finit par renoncer. La panique qu’il n’avait pas réussi à dissimuler s’effaça de son visage et il reprit l’air suffisant qu’elle lui connaissait.

« Je crois comprendre que vous avez fouillé l’appartement de Jack hier matin, dit-il.

— Absolument. »

Elle passa derrière son bureau, s’en fit un rempart.

« J’ai parcouru la liste des articles que vous avez pris.

— Ceci ne vous concerne pas. »

Il sourit. « Je suis de la C3, la branche du Renseignement. Tout me concerne. »

Elle ne faiblit pas sous son regard dur.

« Il manquait une chose dans cette liste, poursuivit-il en s’approchant du bureau, le contournant, réduisant la distance entre eux. Le bruit court que vous avez trouvé un dossier. Que vous l’avez emporté avec le reste. Mais il ne figure pas sur la liste.

— Je ne vois pas de quoi vous parlez, répliqua-t-elle, un léger tremblement dans la voix.

— Si, vous voyez. » Plus près maintenant. Assez près pour qu’elle perçoive l’odeur de son eau de toilette. « Ne jouons pas à cache-cache. Nous savons tous les deux de quoi il s’agit, nous sommes entre adultes. Je peux être un bon ami, figurez-vous. Ou bien je peux vous rendre la vie très difficile ici. C’est vrai, il suffit de regarder Jack. »

Flanagan déglutit, baissa les yeux. Elle sentait son haleine sur sa peau.

« Allons, dit Hewitt. Prenez la bonne décision. Vous ne voulez pas de moi comme ennemi, je vous assure. »

Flanagan lâcha un juron étouffé, un soupir faible et vain. Elle décrocha la clé de sa ceinture, ouvrit le tiroir de son bureau et recula d’un pas. L’épais dossier dépourvu d’indications reposait sur un tas de papiers en vrac.

Hewitt regarda l’objet convoité, puis Flanagan.

« Allez-y, dit-elle rageusement, crachant les mots. Prenez-le et fichez le camp. »

Il avança la main droite.

Le piaillement aigu qu’il émit lorsqu’elle lui claqua le tiroir sur les doigts procura à Flanagan une immense joie, telle qu’elle n’en avait pas éprouvé depuis des semaines.

Elle maintint la pression. Voyant que Hewitt tentait d’agripper le tiroir de sa main libre, elle poussa de tout son poids avec sa hanche, et lui arracha un autre cri, plus fort, plus long.

Il voulut sortir son Glock 17 de l’étui à sa ceinture, mais elle fut plus rapide, lui déroba l’arme et pressa le canon sous sa mâchoire.

« Espèce de sale conn… »

Flanagan approcha les lèvres de son oreille, au point de l’effleurer de ses dents, et murmura : « Si vous essayez encore une fois de me faire peur, je vous tranche vos putains de couilles. C’est clair ? »

Elle donna encore un coup dans le tiroir, soutirant à Hewitt un dernier jappement qu’elle trouva délicieux, puis le libéra. Il recula en chancelant contre le mur, serrant sur son ventre ses doigts sanglants dont les jointures étaient déjà enflées.

Flanagan ouvrit la fenêtre et examina, plus bas, le toit de gravier du bâtiment voisin. Le pistolet de Hewitt rebondit trois fois avant de s’immobiliser près d’un vasistas. Elle jeta ensuite le chargeur.

« Quelqu’un de la maintenance pourra sûrement vous prêter une échelle. »

Hewitt la dévisageait fixement, son beau costume taché de sang.

« À présent, vous allez me faire le plaisir de foutre le camp. »

Il partit en silence, sans se retourner.

Flanagan se laissa tomber dans son fauteuil, une vague d’adrénaline déferlant jusqu’au bout de ses doigts.

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