Les nécessités de notre récit nous ramènent dans Paris, à l’extrémité de la Cité, dans le palais de la princesse Fausta. En cette élégante petite salle où déjà nous avons vu la Fausta aux prises avec le génie du mal souffler d’abord au duc de Guise une pensée de meurtre, puis essayer d’entraîner Pardaillan dans l’orbite de feu qu’elle parcourt comme un météore, là, disons-nous, elle parle cette fois à une femme.
Et cette femme que nous avons entrevue dans la scène d’orgie que nous avons dû décrire, c’est justement Claudine de Beauvilliers, l’abbesse des bénédictines de Montmartre. L’entretien tirait sans doute à sa fin, car Claudine était debout, prête à se retirer.
– Ainsi, disait Fausta comme pour résumer ce qui venait d’être dit, la petite chanteuse?
– En parfaite sûreté parmi les filles de ma maison. Et bien fin, madame, qui l’irait là découvrir. Elle est d’ailleurs gardée à vue par ce Belgodère.
– N’importe… Veillez. Vous me répondez de cette petite sur votre vie?
– Sur ma vie, j’en réponds, madame… Mais il me reste à savoir ce que je dois en faire… il m’a semblé entrevoir… que vous désiriez…
– Parlez clairement, dit Fausta impérieuse. Voyons, qu’avez-vous entrevu?
– Que vous avez condamné cette Violetta à mourir, madame.
– Elle est jugée. L’exécution n’est que retardée.
– Oui!… Mais ce n’est pas tout, reprit Claudine de Beauvilliers après un silence, il m’a semblé que si cette exécution était retardée, c’est que la petite Violetta ne devait pas seulement mourir… et qu’avant la mort… elle devait…
Claudine de Beauvilliers s’arrêta.
– Avant qu’elle ne meure du corps, dit gravement Fausta, je veux qu’elle meure de l’âme. Voilà ma pensée. Et voilà ce que vous n’osez dire parce que la faiblesse de votre esprit vous montre une faute où il n’y a qu’une nécessité; que cette vierge devienne une fille impure. Qu’elle soit la plus vile des malheureuses qui, là-haut, ne pouvant plus vivre de prières, vivent de leurs corps. Voilà mes ordres…
L’abbesse des bénédictines s’inclina, comme courbée par cette voix glaciale.
– Quand cela sera, reprit Fausta, vous me préviendrez. Allez.
Claudine de Beauvilliers fit une nouvelle révérence, presque un agenouillement, puis se retira.
– Elles n’osent pas parler, murmura Fausta quand elle fut seule, et elles osent le reste! Moi, vierge, qu’aucune pensée d’amour n’a jamais troublée, je sais dire ce qu’il faut, et j’emploie les mots nécessaires…
Elle s’arrêta court. Son visage pâlit soudain. Et son sein se souleva. Un instant, son regard éperdu demeura fixé sur une image qui, sans doute, flottait devant ses yeux… Il y eut dans l’esprit de cette femme une effroyable lutte qui se traduisit par les convulsions qui soudain ravagèrent cette figure d’habitude immuable:
– Ah! murmura-t-elle dans un souffle d’épouvante, est-il bien vrai que j’ignore encore le trouble d’amour auquel sont sujettes les autres femmes!… Quoi! Moi! Moi!… Oh! je m’arracherai plutôt le cœur!…
Et ses deux mains, ses mains admirables qui semblaient taillées dans le marbre le plus pur, par un sculpteur de génie, se posèrent sur son sein avec une rudesse violente; ses ongles acérés menacèrent sa propre poitrine, comme si vraiment elle eût été prête à s’arracher le cœur…
Peu à peu, elle s’apaisa. Cette physionomie reprit la majesté sereine qui la faisait si absolument remarquable. Lorsque Fausta se fut calmée, elle appela et donna un ordre à la servante qui se présenta.
Quelques instants plus tard, une jolie femme, légère, gracieuse, vive dans ses gestes et ses mouvements, entra souriante; et elle était si légère dans sa marche qu’il fallait y regarder à deux fois avant de s’apercevoir qu’elle boitait quelque peu. Celle qui venait d’entrer dans le boudoir de Fausta était Marie de Lorraine, duchesse de Montpensier, sœur du duc de Guise, du duc de Mayenne et du cardinal de Guise.
– Quelles nouvelles? demanda Fausta avec un sourire où il y avait peut-être une expression amicale qui ne lui était pas habituelle.
– Bonnes et mauvaises…
– Voyons d’abord les mauvaises…
– Parce qu’elles sont les plus redoutables?
– Non, parce qu’elles sont généralement plus importantes…
– Eh bien, mon frère…
– Ah! c’est le duc de Guise que concernent les mauvaises nouvelles?
– Oui, ma reine… Là, il y a échec sur toute la ligne. D’abord Henri se réconcilie avec Catherine de Clèves, et ensuite il est plus que jamais épris de la petite chanteuse, surtout depuis sa disparition…
Fausta tressaillit. Et la duchesse de Montpensier put se rendre compte qu’elle venait en effet de lui porter un coup dur.
– Racontez, dit la princesse d’un ton bref.
– Eh bien, voici. Tout d’abord, sachez que mon frère a eu une entrevue avec la vieille reine.
– Je sais. Passez.
– Mais savez-vous aussi ce qui s’est passé dans cette entrevue? Eh bien! la Médicis s’est soumise!
– Vraiment! dit Fausta sur un ton singulier.
– Je le tiens d’Henri lui-même.
– En sorte que voilà levé l’obstacle le plus redouté par le duc. Rien ne l’empêche donc de pousser sa victoire?
– Oui. Et la preuve, madame, c’est qu’il veut s’emparer au plus tôt de la personne du roi.
– Vous êtes sûre que Guise va déployer une telle énergie?
S’il y avait de l’ironie dans cette question, cette ironie était du moins si bien dissimulée que la duchesse de Montpensier n’en eut pas la perception. Elle répondit donc:
– Tout à fait sûre, madame. Mon frère m’a exposé son plan qui est admirable: feindre une soumission momentanée, aller trouver Valois sous prétexte de discussion et d’états généraux à assembler: y aller d’ailleurs avec des forces… nos plus intrépides ligueurs seront de la partie… J’en serai aussi, madame. Alors, on s’emparera de Valois, et… tout simplement, on l’enfermera en quelque bon couvent… non sans l’avoir tonsuré un peu.
Marie de Montpensier éclata d’un joli rire clair. Fausta demeura grave.
– C’est vraiment admirable, dit-elle simplement.
– Oh! vous verrez, madame, continua follement la jolie duchesse, ce sera une haute comédie. Savez-vous qui tonsurera Valois?… Moi, madame, moi-même!… J’ai déjà les ciseaux!
Et Marie de Montpensier agita dans un geste de menace les ciseaux d’or qu’elle portait suspendus à une chaînette.
– Vous en voulez donc bien au roi? demanda Fausta.
– Au roi?… Quel roi!… Vous voulez dire à frère Henri, madame?… Oui, je lui en veux!… N’a-t-il pas eu l’audace de me conseiller devant toute la cour de me faire faire un soulier plus haut que l’autre! Le misérable! J’en ai pleuré de rage. J’entends encore le ricanement des mignons!
Et une larme pointa, en effet, aux yeux de la duchesse.
– Comme si je boitais! reprit-elle. Voyez, madame, est-ce que je boite? ajouta-t-elle en faisant quelques pas rapides et légers.
– Non, ma mignonne, vous ne boitez pas. Et il faut avoir l’âme perverse d’un Hérodes pour soutenir une telle monstruosité…
– N’est-ce pas?…
Ce que ne disait pas la duchesse de Montpensier, ce que savait très probablement Fausta, ce que racontait en tout cas la chronique scandaleuse de cette époque où le scandale s’épanouissait en floraisons touffues, c’est que la belle duchesse avait eu un caprice pour Henri III; que ce caprice, étourdie comme elle était, elle n’avait pu le dissimuler; et qu’Henri III l’avait assez rudement repoussée.
– C’est donc entendu, reprit Fausta, c’est vous qui allez affliger à Henri de Valois…
– La tonsure! s’écria la duchesse consolée.
– Oui. Est-ce là la bonne nouvelle que vous m’apportez?…
– Non, madame, et puisqu’il faut vous dire tout de suite, sachez que ma mère est à Paris.
– La duchesse de Nemours est à Paris! murmura Fausta soudain intéressée.
– Oui. Et je l’ai gagnée à votre cause!… Ma mère vient de Rome où elle a vu Sixte, il y a deux mois. Elle a eu un long entretien avec celui que les cardinaux rebelles persistent à appeler encore le pape.
– Et alors? demanda Fausta qui suivait avec une profonde attention.
– Alors… ma mère est revenue avec la conviction que Sixte est un dangereux hypocrite décidé à ne travailler que pour lui-même. La voyant dans ces dispositions, je lui ai parlé de ce conclave secret où les plus ardents et les plus généreux des cardinaux se sont réunis pour choisir un nouveau chef… en sorte que l’Église romaine ferait exactement ce que nous voulons faire avec Henri de Valois… Et elle a accueilli l’idée de ce nouveau pape, du moment qu’il était tout acquis aux intérêts de notre maison.
– C’est vraiment là une bonne nouvelle, ma chère enfant! dit Fausta dans les yeux de qui passa un éclair. Si la duchesse de Nemours est avec nous, je crois que de grandes choses s’accompliront avant peu…
Elle ferma les yeux, comme si, malgré toute la puissance de son caractère, elle eût été éblouie de sa vision.
– Seulement, reprit alors la duchesse de Montpensier, ma mère veut connaître ce nouveau pape avant de s’engager dans une aussi terrible aventure.
– Elle le connaîtra… vous pouvez le lui dire.
– Et qui le lui fera connaître?
– Moi, dit Fausta.
Et comme si elle eût voulu échapper à de nouvelles questions elle reprit aussitôt:
– Mais vous deviez, disiez-vous, m’annoncer aussi de mauvaises nouvelles?
– Je reprends donc mon récit: après son entrevue avec la reine mère, mon frère est rentré dans son hôtel. Il était si joyeux que nous avons tous vu qu’un grand événement avait dû arriver. Le lendemain, comme j’étais venue à nouveau à l’hôtel de Guise, mon frère me parla lui-même de la scène de l’autre soir; il le fit sans colère… Du moment qu’il a tué, mon frère est apaisé. Loignes étant mort, Guise n’a plus de colère.
– J’ignorais, dit Fausta, que le duc fût à ce point généreux.
– Mais la duchesse de Guise ne l’ignore pas, madame!… C’est donc sans étonnement que j’ai vu tout à coup entrer Catherine de Clèves dans le cabinet de mon frère qui, d’abord, demeura stupéfait d’une pareille audace et porta la main à sa dague… La duchesse, sans un mot, se mit à genoux; puis comme frère haletait, elle murmura:
«Loignes est mort; morte ma folie…»
Elle savait bien ce qu’elle disait; car la main de mon frère cessa de se crisper sur la poignée de sa dague; la duchesse eut un sourire que seule je vis… Alors je sortis… mais de la pièce voisine j’entendis les éclats de voix de mon frère et les explications de Catherine… Cela dura deux longues heures; puis peu à peu, cela s’apaisa. Alors je rentrai… Mon frère me dit qu’il exilait la duchesse de Guise en Lorraine, et ce fut tout.
– Ceci est un bel exemple de magnanimité, dit paisiblement Fausta.
– Je crois bien qu’il y a chez mon frère plus d’indifférence que de générosité. Ce qui le trouble, ce qui le bouleverse au point que j’ai vu des larmes dans ses yeux brûlés de fièvre, c’est la disparition de la petite chanteuse…
– Ainsi, il l’aime?…
– C’est peu dire… Il a juré de fouiller tout Paris pour la retrouver et a fait commencer des recherches…
Un livide sourire passa sur la physionomie de Fausta.
– Ainsi, reprit-elle après un assez long silence méditatif, vous êtes sûre de tenir Henri de Valois?…
– Je vous l’ai dit, madame, fit la duchesse de Montpensier étonnée de cette brusque saute.
– Et vous croyez que votre frère le duc de Guise va chercher à s’emparer du roi?
– Il s’y prépare…
– Enfant! Et si je vous disais que je suis renseignée, que je connais comme si je l’avais entendu l’entretien de Catherine de Médicis et du duc de Guise!
– Vous savez tant de choses, madame, que je ne m’étonnerais pas…
– Si je vous disais que la vieille Florentine, pétrie d’astuce, a joué votre frère!…
– Comment cela, madame?
– Si je vous disais enfin que le duc a promis d’attendre patiemment la mort d’Henri III!…
– Oh! madame, ce serait là une affreuse trahison de mon frère envers la Ligue et envers sa famille!
– Ce n’est pas une trahison, c’est un acte de diplomatie. Soldat, homme d’épée et de violence, Guise a voulu jouer au diplomate. Il y est enferré: Guise, pendant au moins une année, ne tentera rien contre Henri III.
– Alors… fit la duchesse de Montpensier dont le joli visage se convulsa, mais alors… ma vengeance m’échappe, à moi!…
– Non, si vous savez vouloir, si vous avez confiance en moi, si vous m’écoutez…
– Ma confiance en vous est sans borne, madame. Qui êtes-vous? Je le sais à peine. Ce que vous voulez, je n’ose le sonder. Et pourtant vous êtes ma reine, ma vraie souveraine. Parlez donc, car je suis décidée à tout pour frapper Henri de Valois.
La Fausta parut réfléchir quelques minutes. Alors, avec cette voix d’étrange et pénétrante douceur qui lui donnait une si grande force de persuasion:
– Marie, dit-elle, vous êtes la forte tête de votre famille. C’est grâce à vous que les Valois s’éteindront et que la dynastie des Guise montera sur le trône. De vos trois frères, l’un, Mayenne, est trop gras pour avoir de l’esprit; il vendrait son âme pour un bon pâté; l’autre, le cardinal, est un soudard brutal qui ne peut pas coudre deux idées ensemble; le troisième, enfin, le duc, est stupide d’amour; cette passion pour une malheureuse bohémienne le rend incapable de conseil et d’action. Quant à votre mère, elle en est encore à Poltrot de Méré. C’est une noble créature, mais qui depuis l’assassinat de son mari, se figure par trop que l’univers ne doit avoir d’autre but que d’occire les huguenots… Vous seule, mon enfant, vous savez tout voir et tout comprendre. La situation est dangereuse. Voulez-vous tout sauver d’un coup?…
– Je suis prête, madame… ordonnez… que faut-il?…
– Il faut, dit Fausta, qu’Henri de Valois meure. C’est très joli de le vouloir tondre, et vous avez une grâce infinie à agiter vos ciseaux d’or. Mais si Henri III ne meurt pas, c’est une affreuse catastrophe que vous préparera Catherine de Médicis.
La jolie duchesse écoutait en frissonnant cette femme si belle qui parlait de meurtre, comme elle eût, elle, parlé d’un bijou. La Fausta parut méditer encore. Et cette méditation, bien que son visage demeurât pur et serein, devait sembler terrible à Marie de Montpensier, car elle n’osa l’interrompre.
– Comprenez-vous bien, reprit tout à coup Fausta, qu’Henri de Valois est condamné…
– À mourir, madame, demanda sourdement la duchesse.
– Oui, dit Fausta glaciale, je le condamne à mort.
– Et qui sera l’exécuteur, madame? balbutia la duchesse.
– Vous! répondit Fausta.
La duchesse de Montpensier pâlit.
– Voici la situation, dit froidement Fausta. Henri de Guise a juré à la Médicis d’attendre patiemment la mort d’Henri III. À ce prix, on lui a promis que le roi le désignerait pour son successeur. Valois peut vivre dix ans, vingt ans, malgré toutes les apparences. Et ne vécût-il même que quelques mois, c’en est assez. La vieille reine saura mettre ce temps à profit et fomentera la destruction des Guise comme elle a fomenté la destruction des Châtillon. Choisissez donc: ou de tuer, ou d’être tuée…
La belle duchesse frissonna.
– Il faut agir, continua âprement Fausta. Les temps sont révolus. Si vous reculez maintenant, prenez garde, vous allez tomber.
– Tuer! murmura Montpensier, tuer de mes mains! Oh! je n’aurai jamais ce courage…
– Valois aura donc le courage de faire rouler votre belle tête sous la hache du bourreau! Insensée! Famille d’insensés qui ne veut pas voir! Vous en avez trop fait, tous, pour que vous puissiez espérer l’oubli, lors même que vous renonceriez à vos prétentions. C’est un duel à mort que vous avez engagé. Si Henri III et la Médicis ne meurent pas, c’est la famille des Guise qui va s’éteindre dans quelque terrible aventure. Adieu, ma mignonne, allez réfléchir au dernier sourire que vous aurez lorsque vous poserez la tête sur le billot…
– Un mot, madame, s’écria la duchesse hors d’elle-même, un seul mot: je suis prête à agir! Mais comment, moi, faible femme…
– Êtes-vous vraiment décidée? demanda Fausta en reprenant sa place dans le fauteuil qu’elle venait de quitter.
– Je suis résolue à tout au monde pour frapper Valois, dit la duchesse avec une énergie qui contrastait avec le ton de mièvrerie qu’elle avait jusque-là conservé.
– Bien. Vous voilà telle que je vous souhaitais… Vous voilà dans l’état d’esprit nécessaire pour mener jusqu’au bout le grand œuvre. Et maintenant, je vous le demande, en quoi est-il nécessaire que vous plongiez vous-même vos jolies mains fines et délicates dans le sang du condamné?
– Ah! ah! je commence à comprendre…
– Il suffit que vous inspiriez à quelqu’un la haine même qui vous anime…
La duchesse tressaillit.
– Quelqu’un! murmura-t-elle. Où trouver l’homme en qui j’aurais assez de confiance pour lui dire ce que je n’ose pas me dire à moi-même?… Il faudrait donc que ce quelqu’un porte déjà dans son cœur une haine terrible contre Valois…
– Ou un amour tout aussi terrible pour vous, dit Fausta négligemment. Cet homme existe…
Cette fois, Marie de Montpensier devint livide. Son sein palpita. Ses mains furent agitées d’un tremblement convulsif.
– Jacques! balbutia-t-elle dans un souffle.
– Oui, le moine Jacques Clément, dit Fausta avec cette forte énergie d’accent qu’elle employait dans les grandes occasions. Jacques Clément vous aime d’une passion absolue. Vous êtes pour lui l’ange de la débauche qui fait frissonner la chair, et l’ange de l’amour qui verse au cœur les charmes tout-puissants…
– Pauvre ami! murmura la duchesse tout bas.
La Fausta se leva.
– Voulez-vous que meure celui qui vous a insultée? dit-elle d’une voix basse et ardente.
– Oui, je le veux! haleta la duchesse avec un indescriptible accent de haine.
– Voulez-vous que votre frère soit roi?… Voulez-vous être la première à la cour de France, humilier ceux et celles qui vous ont humiliée, triompher par le luxe et la puissance, régner peut-être sous le nom de ce frère?…
– Oui, je le veux! répéta la duchesse enivrée…
– Soyez donc fidèle et obéissante, dit alors la Fausta en se redressant, tandis qu’une auréole de majesté étincelait sur son front. Allez, ma fille… agissez sans discuter… obéissez à celle qui vous parle en ce moment…
– Oh! s’écria la duchesse frappée d’une sorte d’effroi vertigineux, qui donc êtes-vous, madame, vous qui parlez comme si vous déteniez la souveraine puissance? vous qui bouleversez mon esprit? vous dont la voix me pénètre et dont les paroles me semblent un rêve?…
– Je suis, dit Fausta qui se transfigura dans un rayonnement de grandeur, je suis celle qui vous est envoyée par le conclave secret; je suis celle qui a été élue pour combattre Sixte, traître aux destinées de l’Église! Je suis celle qui parle haut parce que la parole qu’elle vous apporte est la parole même de Dieu!… Je suis la papesse Fausta Ire…
La duchesse de Montpensier, effarée, l’esprit exorbité par un immense étonnement, jeta un regard sur la femme qui parlait ainsi, et elle la vit si rayonnante, si suprêmement belle et majestueuse dans son attitude, qu’elle recula, ploya les genoux et se prosterna, éblouie, fascinée… La Fausta alla à elle, la releva doucement, la baisa au front et dit:
– Allez… vous serez un de mes anges!…
Et la duchesse de Montpensier, éperdue, obéissante comme une enfant, sortit à reculons, courbée sous le geste de Fausta, geste d’irrésistible autorité, geste de bénédiction, geste terrible qui épandait de la mort et armait le bras de Jacques Clément!…