XXXV L’ÉPOPÉE

Le duc de Guise et sa brillante escorte avaient mis pied à terre près de l’échafaud qui avait été préparé pour eux: les chevaux furent massés sur le côté gauche, tenus en main par des valets; il y avait un valet pour six chevaux. Sur le côté droit se rangèrent les gardes et les hérauts qui, de leurs trompettes pavillonnées de velours aux armes de Lorraine, jetaient de minute en minute une fanfare stridente aux échos de la Grève.


Au moment où le flot de gentilshommes, dans un bruissement soyeux des manteaux de satin monta les marches de l’estrade, un page aux couleurs de Guise prit place parmi les pages du duc. Celui-ci ayant salué une fois encore la foule immense qui l’acclamait s’assit dans un fauteuil plus élevé que les sièges réservés aux gentilshommes. Derrière le fauteuil se rangèrent les huit pages, le poing sur la hanche. Ils ne témoignèrent aucune surprise à voir ce neuvième page se glisser parmi eux et prendre d’autorité la place d’honneur, c’est-à-dire se poster juste derrière le duc, de façon à toucher presque le dossier du fauteuil. Ou, s’ils furent surpris, ils n’en laissèrent rien voir, car la rigoureuse étiquette de l’hôtel de Guise leur défendait toute parole, tout signe, tout geste lorsqu’ils étaient en cérémonie.


En arrière des pages prirent place Maineville. Bussi-Leclerc, Maurevert, M. de Montluc et Bois-Dauphin, et La Chapelle-Marteau, Rolland, Neuilli, Jean Lincestre, curé de Saint-Gervais, et la foule des gentilshommes, escorte royale de ce chef qui n’osait être roi. En sorte que l’estrade présentait un coup d’œil fastueux et que les acclamations du peuple redoublaient d’intensité et d’enthousiasme.


Tout à coup, Guise pâlit. Les gentilshommes de l’estrade frémirent et se levèrent. D’un groupe nombreux et discipliné, massé au pied de l’estrade, un nouveau cri venait de se lever. Et ce cri, on le poussait sur un signe que venait de faire le page inconnu placé derrière le fauteuil du duc. Et c’était, hurlé d’une voix terrible, impérieuse, ce cri qui effara un instant tout ce monde:


– Vive le roi!…


– Vive le nouveau roi de France!…


Les gentilshommes de l’estrade hésitèrent une seconde, les yeux braqués sur Guise, puis entraînés, se levèrent, se découvrirent et d’un seul coup, tonnèrent:


– Vive le roi!…


– Vive le roi! Vive le roi! répéta la multitude exaltée, délirante, affolée.


Le page se pencha sur le dossier du fauteuil, et tandis que Guise balbutiait d’indistinctes paroles, murmura d’une voix ferme:


– Roi de Paris, voici l’occasion d’être roi de France!…


Le duc se retourna vivement, secoué jusqu’au fond de l’être par cette voix vibrante:


– Vous, madame! Vous, princesse Fausta! ici! sous ce costume!…


– Je suis où vous êtes, et peu importe le costume, puisque je porte votre blason. Duc, agirez-vous, aujourd’hui! Ce peuple, tout à l’heure, va vous porter sur ses épaules jusqu’au Louvre, si vous le voulez!…


– Princesse! balbutia Guise éperdu.


– Vive le roi! Vive le roi! rugissait le peuple dans un large roulement de tonnerre.


– Non, pas princesse! dit Fausta immobile à son rang de page, tandis que le duc se retournait vers le peuple et saluait. Celle qui vous parle n’est pas en cette solennelle minute la princesse Fausta. C’est l’élue du conclave secret! c’est l’ouvrière du grand œuvre qui se dresse en face de Sixte Quint! c’est celle qui vous parle au nom de Dieu!… Duc, roi, écoutez la voix de Dieu!…


– Vive le roi! Vive le roi! délirait la multitude déchaînée, tourbillonnant autour de l’estrade en vagues monstrueuses.


– Obéirez-vous à l’ordre qui tombe du ciel! poursuivait Fausta d’une voix âpre et profonde. Tout est prêt, duc! L’archevêque de Lyon et le cardinal votre frère, sont à Notre-Dame. Mayenne est au louvre. Brissac attend avec six mille hommes d’armes. Duc, tout à l’heure, après le supplice qui va exalter l’âme de ce peuple, marchez sur Notre-Dame, et dans une heure, vous êtes sacré roi de France!…


– Oui! Eh bien, oui! fit le duc haletant, ébloui, transporté.


– Et alors, vous marchez sur le Louvre, duc!… Et ce soir, roi de France, vous couchez dans le lit d’Henri de Valois…


– Oui! oui! répéta le duc de Guise qui, à ce moment, se dressa tout debout et salua longuement comme s’il eût enfin accepté cette royauté que lui offrait tout un peuple.


Alors, sur l’estrade et autour de l’estrade, sur toute la place rugissante, ce ne fut qu’une énorme clameur, tandis que des milliers de bras frénétiques agitaient des chapeaux ou des écharpes et que de toutes les fenêtres tombait une pluie de fleurs.


– Vive le roi! Vive le roi!…


Fausta leva au ciel un regard flamboyant comme pour le prendre à témoin des grandes choses qui allaient s’accomplir. À ce moment, du fond de la rue Saint-Antoine, arriva jusqu’à la place une rumeur sinistre.


– Les voilà! Les voilà!…


Les cris de mort, dès lors, se mêlèrent aux acclamations.


– Vive le roi!… Mort aux huguenots!…


– Vive le pilier de l’Église!… Mort aux hérétiques!…


Les deux condamnées apparurent à l’encoignure de la place et furent saluées par un hurlement sauvage, immense, capable de donner le frisson. Chacune d’elle était entourée d’un fort peloton d’archers. Celle qu’on appelait Madeleine Fourcaud marchait la première, à plus de cinquante pas de celle qu’on appelait Jeanne Fourcaud, les deux troupes ayant été séparées par de larges afflux de peuple.


Guise venait de reprendre place dans son fauteuil. Derrière, sur lui, se penchait à demi Fausta, pareille, en cette minute, à l’ange de la mort. Les yeux de Guise, les yeux des gentilshommes de l’estrade, les yeux de la multitude étaient braqués sur Madeleine Fourcaud qui, la première, faisait son entrée sur la place.


– Belle fille! dit Guise.


Autour de lui on se mit à rire. Elle était belle, en effet, avec ses longs cheveux noirs, sa peau brune et mate, dorée, semblait-il, comme si elle eût été la descendante de quelque gitane. Et cette apparence même achevait d’exaspérer la foule.


– À mort! À mort!… À la hart!… Au bûcher!…


L’énorme hurlement funèbre se déchaîna plus violent, plus âpre, plus sauvage… Madeleine atteignait le bûcher qui lui était destiné!… Madeleine!… Flora… la fille aînée de Belgodère…


Elle jeta autour d’elle un regard mourant qu’emplissait la suprême angoisse de la mort. Au même instant, elle fut saisie, harponnée par les mains de deux aides, enlevée, accrochée par le cou, et une acclamation furieuse retentit: Madeleine Fourcaud, vêtue de sa longue tunique blanche, se balançait au bout de la corde… Dans la même seconde, dix, vingt, cinquante forcenés se ruaient sur le bûcher, arrachaient les torches aux mains des bourreaux trop lents, et les jetaient dans les fascines.


Une fumée blanche s’éleva, très droite, vers le ciel, puis, presque aussitôt, les flammes écarlates déchirèrent cette fumée. La tunique s’enflamma et tomba, retenue qu’elle était par un simple ruban: le corps de Madeleine apparut dans la sinistre impudeur de cette nudité faite par les flammes, uniquement vêtue dès lors de ces voiles rouges du feu qui l’enveloppait…


Guise regardait et répétait:


– Belle fille, par ma foi! belle…


Le dernier mot s’étrangla dans sa gorge. Son visage devint livide, comme s’il eût été frappé d’un mal foudroyant. Sa bouche ouverte pour jeter un cri d’épouvante ne laissa passer aucun son. Ses yeux exorbités venaient de se fixer sur la deuxième condamnée qu’on traînait à son bûcher.


– À l’autre! hurlait le peuple.


Et cette autre, Guise la voyait! Guise affolé, frappé de stupeur et d’horreur, la reconnaissait!… Cette autre, vêtue aussi de la longue tunique blanche, c’était celle qui hantait ses rêves, dont l’image vivait en lui, celle qu’il aimait enfin d’une passion irréfrénable, c’était Violetta!…


Toute blanche dans sa robe blanche, auréolée de ses cheveux d’or, elle marchait, sans comprendre peut-être, et ses yeux d’un bleu presque violet erraient avec une douceur étonnée sur ce peuple qui hurlait la mort. Tout à coup, elle vit le gibet! Elle vit le bûcher! Elle vit le corps de Madeleine qui tournoyait dans les flammes. Elle eut un geste d’indicible terreur et elle se raidit…


Guise poussa un rauque soupir. Comment Violetta était-elle là, près du bûcher, à la place de Jeanne Fourcaud! Il ne se le demanda pas. Il ne vivait plus. Il n’y avait plus en lui qu’une pensée: la sauver! la sauver à tout prix! Il se souleva à demi, prêt à jeter un ordre…


– Qu’allez-vous faire? gronda à son oreille une voix qu’il reconnut.


Guise se tourna, hagard, vers Fausta, et incapable de prononcer un mot, d’un geste fou, lui montra Violetta.


– Je sais! dit Fausta avec une effrayante froideur. Elle est condamnée. Il faut qu’elle meure…


– Non, non! haleta Guise.


– Sauvez-la donc, si vous pouvez!… Insensé! Ne comprenez-vous pas que l’amour de ce peuple pour vous va se changer en haine! que si vous lui arrachez une Fourcaude, vous n’êtes plus le fils de David, le pilier de l’Église! que vous devenez le champion de l’hérésie! qu’on ne vous portera pas au Louvre, mais à la Seine!… Allons, levez-vous! donnez l’ordre qui va sauver la damnée! Et vous allez voir comment Paris exécute ces ordres-là!…


Guise retomba sur son fauteuil!… Il ne jeta pas l’ordre sauveur!… Il trembla pour sa royauté, pour sa vie!… Blême, secoué d’un tremblement convulsif, il baissa la tête et murmura seulement:


– Oh! c’est affreux! Je ne veux pas voir!…


Et il ferma les yeux.


Fausta recula de deux pas, un terrible sourire éclaira son visage et elle murmura:


– J’ai vaincu!…


À cette seconde, des vivats, des applaudissements frénétiques éclatèrent dans la foule; une bande, impatiente sans doute de brûler la deuxième Fourcaude, venait de se ruer sur les gardes qui entraînaient Violetta… Fausta jeta un cri d’effroyable détresse…


À la tête de cette bande, elle venait de reconnaître un homme qui fonçait tête basse, entrait comme un coin dans la multitude, parvenait jusqu’à Violetta et la saisissait. Et cet homme, c’était Pardaillan!…


* * * * *

Le chevalier de Pardaillan et le fils de Charles IX s’étaient élancés de l’auberge de la Devinière, suivis de Picouic. Quant à Croasse, ce départ rapide, les armes à la main, ne lui avait rien présagé de bon, et fidèle à ses habitudes de prudence, il s’était tout simplement renfermé dans la chambre du chevalier en murmurant:


– S’il doit y avoir bataille, autant vaut-il que ce soit ici. Moi, d’abord, j’aime à être seul quand je me bats, depuis que j’ai découvert que j’étais brave.


– Cher ami, disait Charles en courant près de Pardaillan, je me sens revivre puisqu’elle vit. Mais où est-elle? Ah! pour la conquérir, je tiendrais tête à tout Paris!…


– Tant mieux, monseigneur, tant mieux! dit Pardaillan d’une voix singulière. Je ne sais si mon instinct me trompe, mais il me semble flairer une odeur de bataille, et j’ai des fourmillements dans le sang, comme toutes les fois que j’ai eu à en découdre…


– Nous allons donc nous battre?


– Je ne sais… Mais courons toujours.


– Qu’allons-nous faire sur la place de Grève?


– Vous voulez que je vous le dise? dit le chevalier en précipitant sa course.


– Je vous en prie.


– Eh bien, je crois que nous allons voir Violetta!…


Charles pâlit, étouffa un cri, et bondit d’un élan de tout son être.


– Oh! reprit-il au bout de quelques minutes, entendez-vous, Pardaillan?


– Oui! fit le chevalier en frémissant. Je reconnais ces rumeurs-là. Je les ai entendues déjà deux ou trois fois dans ma vie. Et à chaque fois que j’ai entendu Paris pousser de ces grognements, c’est que Paris allait commettre un crime…


– Un crime!… Pardaillan, vous avez appris quelque chose que vous me cachez!…


Pour toute réponse, le chevalier, grommela un juron et précipita sa marche. Que pensait-il? Que redoutait-il? Rien de précis. Il courait à la place de Grève parce que Fausta lui avait donné rendez-vous sur la place de Grève, en prononçant le nom de Violetta.


Lorsqu’ils débouchèrent, haletants et couverts de sueur, sur la place où roulait le flot tumultueux, d’où montaient des hurlements et des acclamations, Pardaillan s’adressa au premier bourgeois venu:


– Que se passe-t-il?…


– Ne le savez-vous pas? on va pendre et brûler les damnées Fourcaudes en présence de Mgr de Guise.


– Ouf! ne put retenir Pardaillan. Ce n’est pas elle qu’on va tuer!…


– Elle! haleta le jeune duc en pâlissant. Qu’aviez-vous donc pensé?…


– Vous êtes sûr, dit Pardaillan au bourgeois, qu’il s’agit des Fourcaudes?


– Parbleu!…


– Et combien sont-elles?…


– Deux: Madeleine et Jeanne.


– Pauvres filles! murmura Pardaillan en se reprochant le mouvement de joie qu’il venait de ressentir.


– Pardaillan! murmura Charles. Au nom du ciel, que soupçonnez-vous donc?…


– Rien maintenant, rien. Je soupçonnais… mais à quoi bon?… Et pourtant! se reprit-il tout à coup.


– Allons-nous-en, si vous ne soupçonnez rien, reprit Charles. Ces spectacles me font un mal affreux.


– Avançons au contraire! dit Pardaillan.


Et aussitôt, se mettant à jouer des coudes et des épaules, il s’avança vers les bûchers surmontés de leurs potences.


– Bonjour, monsieur le chevalier, dit tout à coup près de lui une voix féminine.


Pardaillan considéra attentivement la jeune femme fardée qui venait si hardiment de le saisir par le bras.


– Où diable vous ai-je vue, mignonne?


– Quoi! vous ne vous souvenez pas de l’Auberge de l’Espérance ?. La soirée où vous vîntes voir la bohémienne qui disait la bonne aventure?… Vous m’avez donné deux écus, et moi je vous ai donné… mon adresse.


– Loïson! fit le chevalier avec un sourire.


– Ah! vous vous rappelez mon nom! s’écria gaîment la ribaude.


Une rafale de hurlements interrompit Loïson… C’était Guise qui, à ce moment, débouchait sur la place avec sa royale escorte et allait, au milieu des acclamations, s’installer sur l’échafaud.


– Et que fais-tu ici? reprit Pardaillan attendri par le regard de gratitude admirative de la ribaude.


– Dame, fit Loïson, je cherche aventure.


– Avec ton ami le Rougeaud? dit le chevalier en riant.


– Avec tous et toutes, dit Loïson. Tenez, monsieur le chevalier, regardez du côté des bûchers…


– Eh bien?… Je ne vois que bourgeois agitant leurs toques comme des possédés et criant comme si on les saignait!…


– Oui, et pendant qu’ils se démènent, plus d’une bourse tombe dans la main des nôtres. Ce soir il y aura grande ripaille à la Petite Truanderie, et si monsieur le chevalier voulait… la Truanderie a gardé de vous un tel souvenir depuis la scène de l’auberge de l’Espérance… que…


Loïson n’eut pas te temps de développer l’honorable invitation qu’elle avait sur les lèvres. Une nouvelle rafale de clameurs plus exaspérées passa sur la Grève et agita violemment les masses profondes de la multitude. Cette fois, c’étaient les Fourcaudes, les condamnées qui apparaissaient, Madeleine marchait la première, entourée par les archers, qui à grand-peine la protégeaient contre la foule impatiente de tuerie.


À ce moment, Charles d’Angoulême était à quelques pas de Pardaillan. Il tournait le dos au côté de la place par où arrivaient les Fourcaudes.


Son regard flamboyant s’était fixé sur le duc de Guise dont il appelait le regard; sa main tourmentait la garde de sa rapière; des pensées de folie envahissaient son cerveau; il méditait l’acte insensé: bondir sur cette estrade, braver et provoquer le duc – le ravisseur de Violetta et l’assassin de Charles IX! – l’insulter au milieu de toute sa cour de gentilshommes, au milieu de ce peuple idolâtre qui lui formait une autre cour telle que jamais roi n’en avait eue et lui crier:


– Duc, tu as accepté mon défi sur cette même place de Grève! Dégaine donc et défends-toi à l’instant si tu ne veux pas que je te proclame à la face de Paris deux fois lâche et deux fois félon!…


Ce fut à ce moment, disons-nous, que la ribaude Loïson se haussant sur la pointe des pieds pour voir, elle aussi, les condamnées, vit venir Madeleine… La ribaude esquissa le signe de croix, car elle était bonne catholique. Mais sa main s’arrêta soudain dans le geste qu’elle commençait. À cet instant même elle venait d’apercevoir la deuxième condamnée… celle qu’on appelait Jeanne Fourcaud…


– Oh! murmura-t-elle, voilà qui est étrange!


Pardaillan, lui aussi, venait d’apercevoir la condamnée. Pardaillan n’avait jamais vu Violetta. Pardaillan ne connaissait pas Violetta. Mais il tressaillit. Mille fois, le duc d’Angoulême lui avait détaillé le portrait de Violetta, ses cheveux de soie d’or, ses yeux d’un bleu si bleu qu’ils en étaient violets, son visage d’une si belle harmonie de grâce et de fierté…


Pardaillan jeta un rapide regard du côté de Charles. Les paroles de Fausta résonnèrent à ses oreilles… ce rendez-vous sur la Grève à dix heures… Dix heures sonnaient à la grande horloge de l’hôtel des prévôts. Les acclamations et les clameurs de mort se croisaient, rugissaient dans un véritable remous… Et ce fut dans cette seconde où un doute effroyable traversait l’esprit de Pardaillan que la ribaude Loïson murmura:


– Oh! voici qui est vraiment étrange!… Je connais cette jeune fille!…


– Tu la connais! haleta Pardaillan qui saisit le bras de Loïson. Tu connais cette Fourcaude?…


– Certes!… Elle était à l’auberge de l’Espérance avec le bohémien, avec les deux grands escogriffes, avec la diseuse de bonne aventure que vous avez emmenée… ils l’appelaient Violetta…


Le visage de Pardaillan se transfigura. Un sombre désespoir le convulsa. D’un rapide regard circulaire, il embrassa la Grève, l’estrade chargée de gentilshommes armés, les rangs d’archers et de hallebardiers, et cette foule énorme, pareille à un océan démonté. Et ce regard s’emplit d’une immense pitié lorsqu’il se posa sur Charles d’Angoulême.


– Allons, dit-il presque à haute voix, tentons l’impossible… Et s’il faut mourir ici, après tout, ce sera une fin digne de moi!


Loïson avait suivi pour ainsi dire la pensée du chevalier. Elle entendit ces paroles. Elle vit Pardaillan s’élancer vers le duc d’Angoulême. Et avec la rapidité d’intuition qui, en ces circonstances, dépassait la rapidité de l’éclair, elle eut cette pensée jaillie du choc des paroles et des attitudes de Pardaillan:


– Il aime la condamnée! C’est elle qu’il venait chercher à l’Espérance! Il va mourir pour elle!…


Et à son tour, dans le même instant, Loïson s’élança, fonça à travers les groupes de bourgeois, si haletante, si furieuse et si échevelée qu’on s’écartait avec des cris d’effroi et d’étonnement. Pardaillan atteignit Charles. L’instant était suprême, et il fallait risquer tout pour tout.


– Que regardez-vous? demanda-t-il.


Charles se retourna et vit le chevalier tout blanc, la paupière plissée laissant filtrer un regard aigu comme une lame d’acier, la lèvre tremblante et la moustache hérissée, tel qu’il l’avait vu une fois déjà. Il n’eut pas le temps de répondre. Pardaillan étendait le bras vers la condamnée… Jeanne Fourcaud… qui à ce moment n’était plus qu’à vingt pas du bûcher et d’une voix étrange dont le calme éveillait des échos terribles, Pardaillan disait:


– C’est là qu’il faut regarder!…


Charles eut ce chancellement soudain. Un cri farouche, un cri qui domina les clameurs de la foule, un cri qui fut entendu de toute l’estrade et attira violemment l’attention de Guise, de Fausta, de Maineville, de Bussi-Leclerc, de Maurevert, de tous!…


En même temps, Charles s’élança, suivant Pardaillan qui se ruait dans un élan furieux. Pardaillan avait tiré sa puissante rapière. Il la tenait par la lame et se servait de la lourde garde de fer comme d’une massue.


– Oui! oui! râla Charles, mourir ici! Pour elle! Avec elle!…


Pardaillan bondissait. Si on ne s’écartait pas, il assommait. Le pommeau de fer frappait à coups sourds, et des hommes tombaient, à droite, à gauche… La foule s’ouvrait, éventrée… ceux qui étaient devant lui, se retournant aux cris de douleur et d’épouvante, fuyaient à gauche, fuyaient à droite. Des remous formidables entraînaient des paquets d’hommes… des vociférations, des insultes, des hurlements éclataient… et Pardaillan passait, flamboyant comme un météore, effrayant à voir avec son terrible sourire figé au coin de la lèvre tremblotante, sous la moustache hérissée… En un instant inappréciable, il y eut un large espace vide entre Pardaillan et les archers qui entraînaient Violetta.


Violetta, dans cet instant où hagarde, folle d’horreur, elle avait la hideuse vison du bûcher enflammé au-dessus duquel se balançait le corps de Madeleine, dans cette effroyable seconde où les clameurs de mort l’affolaient, où le vertige de la mort s’emparait d’elle, aperçut Pardaillan qui accourait comme une trombe… et aussitôt près de lui, elle vit Charles. Elle tendit les bras. Un ineffable sourire d’extase illumina son visage.


Charles, sans un cri, la tête perdue, pantelant, se jeta en avant. Alors les gardes croisèrent leurs armes et Violetta apparut derrière une ceinture de hallebardes et de piques. Alors aussi, la foule, un moment affolée, se ressaisissait… l’espace vide se remplissait d’ombres furieuses… et de là-haut, de l’estrade, tombaient des vociférations:


– Tue! tue!…


– À mort! À mort!…


Un immense rugissement de la multitude roula la clameur mortelle comme un tonnerre. La foule d’une part, les gardes de l’autre, se resserrèrent comme les dents d’un étau formidable entre lesquelles Pardaillan et Charles allaient être écrasés, aplatis, déchiquetés… À ce moment, dix, quinze, vingt hommes à la figure sinistre se ruèrent, le poignard à la main; des gens tombèrent, la fuite recommença, les remous tourbillonnèrent, et ces inconnus hurlèrent:


– Pardaillan! Pardaillan!


Pardaillan ne se demanda pas d’où lui venait ce secours, qui étaient ces gens qui vociféraient son nom comme un cri de suprême bataille. Dans ces minutes indescriptibles où il tentait de ces coups de folie, il ne pensait plus, il n’était plus lui, il n’était plus qu’un tourbillon humain qui se hérissait d’acier…


Pourquoi faut-il que l’écriture soit si lente en de tels récits!… Moins de vingt secondes s’étaient écoulées depuis que Pardaillan, abattant sa main sur l’épaule de Charles, avait prononcé, montrant Violetta:


– C’est là! c’est là qu’il faut regarder!…


Devant la soudaine, la fantastique ruée des truands ameutés par Loïson, la foule refluait, éperdue de cette épouvante spéciale qui est la panique des multitudes, électricité de terreur qui se répand d’homme à homme, qui entraîne des armées entières dans des débâcles incompréhensibles…


– Pardaillan! Pardaillan! hurlaient les truands, bondissant, le poignard haut levé, pareils à des démons que l’enfer eût vomis.


Guise debout rugissait de rage. Maineville, Bussi, cent autres s’élançaient, l’épée au poing… Fausta, flamboyante de fureur, levait sur le ciel un regard chargé d’imprécations, et quand ce regard retombait sur Pardaillan, il était chargé d’une admiration surhumaine… Car surhumaine était en ce moment l’épique ruée de Pardaillan…


Voici ce qui se passait: tout ce que Paris comptait de coupe-bourse avait été attiré sur la Grève par la certitude de fructueuses opérations dans une multitude trop occupée de crier à la hart et à la mort pour surveiller ses poches. Les truands, plus forts que les plus zélés ligueurs, criaient: «Vive le pilier de l’église!» et «À mort les hérétiques!». Et pour crier si fort, ils n’en perdaient pas un coup de dent, au contraire. Bien entendu, ils fourmillaient surtout autour des bûchers, à l’endroit où la foule était plus compacte.


Ceux d’entre eux qui avaient vu le chevalier à l’auberge de l’Espérance et en avaient gardé un souvenir de terreur et d’admiration le reconnurent dès l’instant où il s’élança sur les archers. Foncer sur des archers, sur le guet, sur la maréchaussée, enfin sur des agents de l’autorité, a toujours été un délicat plaisir pour la tourbe des gens de sac et de corde, malandrins, tire-laine, tout ce qui vit hors la société, hors la loi, hors la foi, hors le lieu et le feu, hors tout honnête besoin, excepté le besoin de vivre coûte que coûte.


Les truands de la place de Grève eussent donc foncé uniquement pour le plaisir, même s’ils n’eussent pas reconnu Pardaillan, même si la ribaude Loïson, courant de l’un à l’autre, n’eût pas murmuré aux principaux, aux chefs, aux «terreurs» de ces bandes:


– Sauve cet homme, ou tu ne me verras jamais plus dans ton lit!…


Ceux qui ne reçurent pas ce singulier mot d’ordre, ceux qui ne connaissaient pas le chevalier suivirent l’exemple et se ruèrent sans savoir pourquoi. En quelques instants, une centaine de ces malandrins, surgis de toutes parts, s’étaient massés derrière le chevalier, adoptant aussitôt le cri de ralliement, ce cri de bataille de ceux qui le reconnaissaient:


– Pardaillan! Pardaillan!


Un choc se produisit. Cette masse, emportée comme une trombe, cette masse hérissée de poignards, fit la trouée à travers la foule culbutée, refoulée, fuyant à gauche et à droite avec de terribles cris de malédiction, et se heurta soudain aux gardes, piques croisées.


Le choc fut effroyable, et dans le même instant, une vingtaine d’hommes, gardes ou truands, tombèrent, morts ou blessés; les plaintes, les imprécations, les cris stridents des femmes qui s’évanouissaient, les clameurs des bourgeois affolés qui hurlaient aux armes, ces milliers de voix se croisèrent et formèrent dans les airs un grondement sinistre. Alors, ceux qui dans cette mêlée conservèrent assez de sang-froid pour regarder autour d’eux purent voir un spectacle fantastique…


Pardaillan, les habits déchirés par les coups de pique, sanglant, hérissé, formidable dans le flamboiement de ses yeux que démentait l’étrange et froide ironie du sourire, Pardaillan franchit comme un boulet les rangs des archers.


– Arrière! hurlèrent les deux gardes qui maintenaient Violetta.


La rapière du chevalier se leva, tourbillonna, le pommeau de fer atteignit l’un des gardes à la tempe; il tomba comme une masse; l’autre recula; au même instant, le chevalier saisit dans ses bras Violetta expirante et, se retournant, il apparut à ceux de l’estrade…


– Tuez-le! tuez-le! vociférait Guise.


– Je suis vaincue! Je suis maudite! gronda Fausta.


La mêlée entre les gardes et les truands se faisait plus violente; des gentilshommes dévalaient de l’estrade et couraient sur Pardaillan, la dague levée. Pardaillan jeta la jeune fille dans les bras de Charles, et d’une voix intraduisible, dit:


– Voici votre fiancée…


Charles d’Angoulême, déchiré lui-même, en lambeaux, délirant, croyant vivre un rêve fabuleux, ses forces centuplées par la frénésie de cette minute, reçut Violetta qui à ce moment ouvrit les yeux, ses doux yeux de violette, d’où tout effroi avait disparu…


Il y eut entre eux un regard qui eut la durée d’un éclair… Et ce fut dans le tumulte déchaîné, dans le bondissement des démons tout autour d’eux dans la fumée qui montait du bûcher de Madeleine, dans la lueur des flammes, ce fut la confirmation de leur amour, comme un baiser très doux dans un majestueux et terrible décor d’enfer.


– En avant! rugit Pardaillan.


Et suivi de Charles qui, ayant jeté son épée, portait dans ses bras Violetta, il marcha. Où allait-il?… Vers quel point de cette place que les flots démontés du peuple battaient de leurs tourbillons? Allait-il au hasard?…


Non!… il avait vu d’un coup d’œil la ligne de retraite possible… Possible?… Impossible à concevoir!… Mais il avait conçu cela, lui!… Et ce qu’il avait conçu, rêve ou réalité, simple geste ou prodige, il l’exécutait!… Il l’exécutait avec son sourire railleur, une pointe de moquerie aux lèvres… Que voulait-il, tandis qu’autour de lui l’effroyable mêlée des truands lui formait comme une carapace humaine, une ceinture d’aciers qui fulguraient avec des lueurs rouges?…


– Les chevaux! dit-il en désignant à Charles les montures de l’escorte massées près de l’estrade.


C’est aux chevaux qu’il marcha.


– Meurs donc, démon! hurla quelqu’un devant lui.


En même temps, ce quelqu’un tomba assommé, mort peut-être.


– Tiens, c’est M. de Maineville, fit Pardaillan.


Et cette fois, il saisit sa rapière par la poignée. Et il se mit en marche. Il ne courait pas. Ce n’était plus la ruée de tout à l’heure. C’était une marche dans un enveloppement d’éclairs. La rapière tourbillonnait, pointait, frappait, sifflait; sur la route sanglante, des gens tombaient… et Pardaillan blessé aux deux bras, blessé à la gorge, blessé à la poitrine, ses vêtements en loques, pareil à une statue rouge, éclaboussé de sang du front aux pieds, marchait, couvrant de son prodigieux moulinet Charles et Violetta, les deux petits, les deux amoureux qui se regardaient, ayant peut-être oublié dans cette minute adorable et terrible où ils étaient pour se dire qu’ils s’aimaient et s’aimeraient toujours!…


Pardaillan atteignit les chevaux au moment où une vingtaine de gentilshommes se ruaient sur lui tous ensemble. Il mit son épée en travers de ses dents.


– Tue! Tue! vociférèrent les gentilshommes.


Pardaillan empoigna Charles, tenant Violetta, et les souleva tous deux d’un terrible effort: Charles se trouva à cheval, Violetta assise devant lui, sur l’encolure, l’enlaçant d’un de ses bras.


– Tue! Tue! rugirent les assaillants…


Ils étaient sur lui… Les truands décimés avaient fui!… La foule revenait à la charge avec une clameur sauvage, comprenant enfin qu’on lui enlevait une Fourcaude, et que la fête serait manquée et que l’un des deux bûchers ne s’allumerait pas! Tous les gentilshommes de l’estrade étaient descendus; les archers, les hallebardiers avaient reformé leurs rangs…


Pardaillan vit qu’il était seul!…


Seul contre deux ou trois cents gentilshommes… Seul contre cinq ou six cents gardes!… Seul contre vingt mille furieux qui couvraient la Grève!…


Pardaillan sourit…


* * * * *

– Ô vous que j’aime, murmura Charles, que ma dernière parole soit une parole de bonheur… je vous aime!…


– Ô mon beau prince, dit Violetta extasiée, je vous aime, et mon bonheur est grand de mourir dans vos bras… je vous aime!…


À cet instant, l’immense clameur de mort et de joie affreuse devint de nouveau une clameur d’épouvante… Charles regarda au loin… Autour de lui, tout à coup, la place se vidait… Et il vit que partout on fuyait… Les gentilshommes fuyaient, les gardes fuyaient, le peuple fuyait. Et seule maintenant sur l’estrade, Fausta, haletante, rugissait une suprême imprécation de rage…


Partout, vers le fleuve, vers les rues, des torrents d’hommes se précipitaient… Que se passait-il?…


Les chevaux de l’escorte, pris de folie sans doute, s’étaient débandés…


Près de quatre cents chevaux lâchés, furieux, hennissant, ruant, affolés encore par les cris de détresse, renversant des groupes, les écrasant, les culbutant de leurs poitrails, galopant dans tous les sens, les uns seuls, d’autres par bandes, d’autres se heurtant, se mordant, tombant, se relevant et reprenant leur course insensée…


Comment?… Pourquoi cette folie soudaine? pourquoi lâchés?


Les chevaux de l’escorte, quelques secondes avant, étaient encore massés près de l’estrade, tenus par groupes de six, de huit, de dix, dont toutes les brides étaient dans la main d’un laquais pour chaque groupe.


À la seconde où les truands furent dispersés, où les gardes se reformèrent, où les gentilshommes se ruèrent, où Charles fut placé, jeté à cheval avec Violetta, Pardaillan bondit sur le laquais le plus proche de lui, et l’envoya rouler sur le sol d’une furieuse poussée; en même temps, il se mit à cravacher les chevaux de sa rapière: la rapière, transformée en cravache cingla des croupes, fouetta des naseaux, zébra d’estafilades sanglantes des poitrails et des encolures…


Et les chevaux fous de douleur, se cabrant, se dressant, se mordant et ruant, se précipitèrent en une galopade éperdue. Pardaillan s’élança sur un deuxième groupe: même manœuvre, mêmes cinglements, même fuite enragée des bêtes affolées… et il allait se ruer sur un troisième groupe lorsqu’il s’arrêta, soufflant, suant une sueur rouge, et partit d’un de ces formidables éclats de rire comme il en avait eu deux ou trois dans sa vie…


Maintenant, c’étaient les chevaux eux-mêmes qui faisaient sa besogne!…


Les premiers débandés renversaient les laquais, la panique infernale gagnait de groupe à groupe avec la foudroyante rapidité de toutes les paniques; les laquais renversés lâchaient leurs brides; les chevaux échappés, d’abord une vingtaine, furent cinquante en quelques secondes, quatre cents en moins d’une minute, et ce fut sur la place, dans tous les sens, parmi des imprécations, des cris de rage et de douleur, des hennissements furieux, la chevauchée de l’Apocalypse, les quatre cents bêtes furieuses balayant la Grève à coups de poitrail, tandis que le bûcher de Madeleine Fourcaud jetait une dernière lueur, et que toute seule sur l’estrade, devant cette débâcle qui anéantissait ses projets, Fausta tomba sur un fauteuil, évanouie…


Charles d’Angoulême, fou de stupéfaction devant ce prodigieux spectacle, entendit tout à coup une voix éclatante:


– En avant, par tous les diables! C’est bien le moment de vous extasier d’amour!…


Il vit Pardaillan près de lui… Pardaillan monté sur un cheval qu’il venait d’arrêter par la bride… Pardaillan ruisselant de sang et de sueur, terrible, flamboyant.


– En avant! rugit Pardaillan.


Et il s’élança vers le point de la Grève où il n’y avait plus personne, c’est-à-dire vers le fleuve, la foule ayant redouté d’être poussée à l’eau, et ayant fui surtout par les rues. Charles suivit… En quelques instants, ils eurent gagné la ligne des berges…


– Fuyez, dit Pardaillan. Gagnez votre hôtel et attendez-moi là…


– Et vous? haleta le jeune duc.


– On nous poursuit. Je vais tâcher de les entraîner. Si nous fuyons ensemble, on saura où nous sommes, et ce sera encore un siège après la jolie bagarre que nous venons d’avoir.


– Mais…


– Fuyez, par l’enfer!… Les voici!…


Pardaillan, levant sa rapière, cingla la croupe du cheval de Charles, qui partit à fond de train. Quant à lui, il demeura sur place, immobile, regardant d’un œil étrange la tunique blanche de Violetta qui s’envolait et bientôt disparut au loin… Charles était sauvé!… Violetta était sauvée!


Pardaillan poussa un profond soupir. Son regard s’embua… Que lui rappelait donc cette tunique blanche qui venait de disparaître?… Quels héroïques et charmants souvenirs se levaient dans l’âme du héros?… Un nom, tout bas, à peine murmuré, voltigea sur ses lèvres… Le nom de celle qui avait été sa bien-aimée, à lui…


À ce moment, tout près de lui, un long hurlement, venant de la place de Grève, retentit. Pardaillan tressaillit violemment, comme un homme arraché à un beau rêve, et avec une sorte d’étonnement plus héroïque peut-être que tout ce qu’il venait de faire, il se retourna et regarda.


Nous disons qu’il regarda avec étonnement, comme si ce hurlement ne l’eût pas menacé, comme si cette trombe de cavaliers qu’il voyait arriver ne se fût pas ruée à sa poursuite, à lui.


En effet, Pardaillan était une nature d’une excessive sensibilité. Sous ses dehors toujours un peu froids, sous ses attitudes à la fois théâtrales et ironiques, il cachait une imagination prodigieuse. Cette imagination, en cette minute, l’avait transporté de seize ans en arrière. Il oubliait la formidable aventure de la place de Grève.


Toute cette série d’événements, le combat avec Fausta, la lutte suprême pour arracher le duc d’Angoulême au suicide, la survenue de Croasse annonçant que Violetta était vivante, l’arrivée sur la Grève, les bûchers, la foule, les cris de mort, la ruée vers la condamnée, la chevauchée fabuleuse des quatre cents chevaux, la fuite, tout cela venait de transposer son esprit en des situations passées, et aboutissait à la vision de la femme qu’il avait aimée vivante, et dont, morte, il gardait au cœur l’ineffaçable souvenir.


Mais ni Guise, ni Fausta, ni Maineville, revenu de son étourdissement, ni Bussi-Leclerc, ni cent autres n’avaient aucune raison de l’oublier. Sur la place de Grève, balayée en tous sens par la fuite éperdue des chevaux, après les premières minutes d’effarement, tous ces gens enragés de fureur s’élancèrent.


Guise et Fausta demeurèrent seuls près de l’estrade.


Il n’était plus question de marche triomphale vers Notre-Dame et vers le Louvre!…


Cependant, en quelques minutes, une cinquantaine des chevaux furent arrêtés enfin. Une troupe se forma, qui s’élança à la poursuite de Pardaillan. Ils étaient presque sur lui au moment où leur cri de mort l’éveilla, pour ainsi dire. Violemment ramené du rêve à la réalité, Pardaillan piqua son cheval d’un furieux et double coup d’éperon. La bête hennit de douleur et bondit, enfilant une ruelle étroite dans laquelle se précipitèrent les poursuivants.


– Bon! grommela le chevalier, les voilà dépistés.


Il songeait à Violetta et à Charles. Il galopait furieusement, les quatre fers de son cheval jetaient des étincelles; derrière lui la rumeur de mort grondait: après une ruelle, une autre; il franchissait d’un bond la rue Saint-Antoine, renversait des gens; des clameurs saluaient au passage l’infernale cavalcade… et il songeait: «Pauvre petit duc! C’est qu’il voulait se tuer!… Comme ils s’aiment!… Allons, ils seront heureux et auront beaucoup d’enfants… C’est la grâce que je leur souhaite, à ces gentils amoureux…»


– Arrête! Arrête! hurlaient les poursuivants.


– À la hart! Au truand! vociféraient les bourgeois qui voyaient passer avec épouvante la fantastique chevauchée.


«Maintenant, ils sont en sûreté, songeait Pardaillan. Si le petit duc a deux liards d’esprit, dès ce soir, il ira trouver un prêtre qui bénira son union… puis il sortira de Paris et s’en ira à Orléans… – Madame ma mère j’étais parti pour chercher une vengeance, et je ramène l’amour… Je chasse de race, madame! Pourquoi m’avez-vous fait un cœur aussi tendre?… Il me semble que je l’entends!» acheva Pardaillan avec un sourire.


– À mort! À mort! grondait derrière lui la clameur.


Les premiers des poursuivants étaient sur lui; il entendait le souffle rauque des bêtes épuisées; il courait, labourant les flancs de son cheval quand il faiblissait et lui demandant un suprême effort… Où allait-il? L’instinct seul le guidait à ce moment… Il avait d’abord couru jusqu’à une porte et avait vu la porte fermée, les gardes rangés, la pique croisée…


– Les portes de Paris fermées, avait-il pensé en se jetant à gauche par une brusque volte.


Et il était rentré au cœur de Paris… Mais la meute avait volté, elle aussi. Plusieurs étaient tombés en route. Mais ils étaient encore une trentaine…


Que voulait Pardaillan? Espérait-il les épuiser, les semer en route, et se retournant à la fin, demander son salut à quelque tentative insensée?… Mais il voyait bien que dès qu’il s’arrêterait, la foule se ruerait sur lui… Dans les rues qu’il parcourait, un effroyable tumulte se déchaînait. Les imprécations, les malédictions éclataient contre cet homme qui était poursuivi…


Un homme poursuivi a toujours la foule contre lui: les vieux instincts de l’animal carnassier et chasseur se réveillent dès que quelqu’un est traqué; et si la bête tombe, chacun veut prendre part à la curée. Pardaillan le savait parfaitement. Il n’avait donc d’espoir que dans la vitesse et la force du cheval qu’il montait. Si les poursuivants étaient mieux montés que lui, il était perdu.


Il fallait pourtant que vînt la minute de la catastrophe. Pardaillan était pris dans Paris comme dans une vaste souricière. Il ne pouvait sortir. Partout où il apparaissait, les cris de mort s’élevaient, parce que derrière lui des gentilshommes hurlaient la mort.


Où aller?… Son cheval faiblissait; il rendait du sang par les naseaux; ses flancs ruisselaient de sang. Et lui-même, tout sanglant, tout déchiré, sa rapière nue en travers de la selle, ses yeux flamboyants, penché sur l’encolure écumante, il passait comme une foudroyante vision…


Nul ne tentait d’ailleurs de l’arrêter… Sur le passage de cette troupe exorbitante, les gens fuyaient, se collaient aux murs, se terraient sous les auvents, et il semblait que Paris tout entier hurlât à la mort contre un seul homme…


Où allait-il?… Où aboutirait-il?… Il ne savait pas!… Maintenant, la pensée même s’éteignait en lui. Il n’y avait plus de vivante au fond de son âme harassée que la haine… la haine qui seule lui avait donné le courage de vivre après la mort de l’adorée…


Mourir!… mourir sans avoir frappé Maurevert!…


Pardaillan jeta autour de lui des yeux hagards où pourtant, même en cette tragique seconde, il y avait encore une ironie… Il allait mourir! Et Maurevert pour qui il avait vécu, Maurevert qu’il avait poursuivi dans le monde, Maurevert qu’il traquait depuis quinze ans, Maurevert qu’il espérait tenir à Paris, Maurevert l’assassin de Loise…, oui, lui allait mourir, et Maurevert allait vivre désormais sans terreur! C’était bien là la malice du sort qui déjoue les projets des hommes! Et il y avait une terrible amertume dans l’ironie suprême du sourire de Pardaillan…


Il regarda autour de lui et, dans cette course vertigineuse, il lui sembla reconnaître des détails, des maisons déjà, une rue connue… Une lueur d’espoir s’alluma dans son esprit: cette rue, c’était la rue Saint-Denis!… Et la rue Saint-Denis, c’était l’auberge de la Devinière… une retraite possible!…


Alors, avec ce suprême sang-froid qui naît parfois des circonstances désespérées, il médita la manœuvre ultime, si le mot méditer peut s’appliquer à ce rapide travail d’esprit qui dure une seconde.


Derrière lui, la troupe des cavaliers galopait éperdument. Il n’avait comme avance que deux ou trois longueurs de cheval. Sa bête épuisée, sanglante, écumante, ne donnait plus que ce galop raidi qui précède la chute. Pardaillan vit le perron de la Devinière, et se prépara: il abandonna la bride sur l’encolure et déchaussa les étriers; en même temps passant la jambe par-dessus l’encolure, il se trouva assis sur la selle, à la manière des amazones: à cet instant, il atteignit la Devinière: il sauta!…


En même temps qu’il sautait, il cinglait le cou de son cheval d’un dernier coup de sa rapière. La bête, affolée de douleur, délestée d’ailleurs, rebondit avec une nouvelle vigueur et continua son galop furieux pour aller s’abattre enfin plus de cinq cents pas plus loin… Le peloton des poursuivants, lancé au galop de charge, passa comme une trombe…


Les premiers seuls avaient vu la manœuvre de Pardaillan et tentèrent de s’arrêter. Alors, ce fut une mêlée affreuse. Les cavaliers qui accouraient par derrière, lancés en une course frénétique, et quelques-uns même emballés, vinrent heurter ceux des premiers rangs comme des catapultes vivantes.


Cette scène horrible se passa à près de deux cents pas au-delà du perron. Les chevaux se mêlèrent; cinq ou six s’abattirent; une dizaine de cavaliers blessés ou désarçonnés par de furieuses ruades gisaient sur la chaussée; les hurlements des blessés, les imprécations de ceux qui, restés à cheval, essayaient de se dépêtrer de l’inextricable fouillis, les cris de la foule assemblée en un clin d’œil formèrent une clameur terrible, et enfin, lorsque ces gens purent se reconnaître, lorsqu’un peu d’ordre se rétablit dans le peloton affolé de rage et de terreur, plus de cinq minutes s’étaient écoulées depuis l’instant où Pardaillan avait sauté; sur la chaussée, il y avait deux morts, sept ou huit blessés, plusieurs chevaux sur le flanc.


Cependant le chevalier avait monté le perron de la Devinière au moment même où tout ce qui était dans l’auberge, buveurs, garçons et servantes, se précipitait dehors pour voir quel cyclone, avec un si effroyable tumulte, passait dans la rue. Ces gens virent Pardaillan qui montait. Et ils s’écartèrent, pris d’épouvante, dans leur étonnement.


Pardaillan, la rapière nue à la main, le pourpoint en lambeaux, du sang au visage, du sang aux mains, Pardaillan avait une si terrible figure qu’ils tremblèrent.


Pardaillan entra, jeta sa rapière et chancela un instant. Par un puissant effort, il réagit; et, apercevant un gobelet plein de vin qu’un buveur avait laissé pour courir au perron, il le vida d’un trait. Alors, il ferma la porte et les fenêtres. Puis, avec cette sorte de tranquillité qui présidait à toutes ses actions, il se mit à barricader l’auberge; entre la première fenêtre et la porte, il y avait un bahut chargé de vaisselle; Pardaillan se mit à pousser le bahut; ses muscles saillirent; les veines de ses tempes se gonflèrent; arc-bouté des épaules, il poussa d’un frénétique effort; le bahut s’ébranla et vint se placer devant la porte…


Il passa dans la cuisine qui avait aussi une porte sur la rue. Et quelques instants plus tard, une armoire bouchait cette porte… Alors, haletant, il revint dans la salle commune et, saisissant une bouteille au hasard, se versa un grand verre de vin qu’il vida.


– Bonne idée, grommela-t-il, qu’a eue jadis maître Grégoire de placer des barreaux aux fenêtres; cela m’épargne de la besogne, et vraiment, je n’en puis plus… ouf! il est exquis, ce vin.


Une nouvelle rasade ponctua cette appréciation.


– Mon Dieu, fit tout à coup une voix tremblante, que se passe-t-il?… Qui êtes-vous?… Que faites-vous là?… Qui a barricadé la porte?


– C’est moi, ma chère Huguette, rassurez-vous! dit Pardaillan qui, en se retournant, venait d’apercevoir l’hôtesse, laquelle, au bruit, descendait de l’étage supérieur et venait d’entrer.


– Vous, monsieur le chevalier!… Seigneur! comme vous voilà fait!… Oh! mais il se trouve mal!…


Pardaillan venait de tomber lourdement sur un escabeau; le sang perdu, l’affolement de cette course infernale à travers Paris, le vin qu’il venait de boire coup sur coup, toutes ces causes combinées le terrassaient enfin. Huguette s’élança, oubliant l’étrangeté de la situation et, soutenant dans ses bras la tête pâle du chevalier, elle le contempla un instant avec une profonde expression de tendresse où il y avait l’émoi d’une amante et une pitié maternelle.


Alors ses yeux à elle se troublèrent, se voilèrent d’une buée de larmes. Et doucement, avec une infinie douceur, elle posa ses lèvres sur le front livide de Pardaillan évanoui. Ce fut le premier baiser d’Huguette la bonne hôtesse. Elle en tressaillit jusqu’au fond de son être, et sans doute, en ce moment, elle bénit la bataille et la tragique situation qui lui valaient ce baiser pris en secret… baiser volé!


Au dehors les hurlements se rapprochèrent soudain. Fut-ce le baiser, fut-ce la clameur qui éveilla Pardaillan? L’un et l’autre, peut-être. Il ouvrit les yeux et sourit, avec un long soupir de l’homme qui revient à la vie.


– Mathieu! Lubin! appela Huguette. Et vous Jehanne, Gillette, accourez!… Vite, donnez-moi ce cordial!… Oh! mais où sont-ils tous!…


En effet, la salle commune était parfaitement vide. Il n’y avait plus personne dans l’auberge. Pardaillan se mit à rire.


– Pardieu, je les ai laissés dehors, en me barricadant!…


– Mais pourquoi vous barricader?


– Chère Huguette, écoutez! dit le chevalier qui se remit debout.


Dans la rue, devant l’auberge, c’était la rumeur de mort qui montait; les gentilshommes de Guise se préparaient à l’attaque, et la multitude qui ne connaissait pas cet homme qu’on allait prendre, hurlait de joie. Bussi-Leclerc et Maineville, entourés d’une vingtaine de leurs amis, examinaient le perron et la porte.


– Il faut défoncer cela, dit Bussi-Leclerc.


– Un instant! fit une voix rude, rauque, tremblante de rage et de joie.


Tous se retournèrent et virent Maurevert. Et bien que leurs propres sentiments fussent portés à leur paroxysme, ils ne purent s’empêcher de frémir à voir la haine qui éclatait sur ce visage. Maurevert, qui pouvait passer pour un beau gentilhomme, était hideux, épouvantable dans cette minute où il tenait enfin Pardaillan à sa merci.


Chacun comprit que, par la violence du sentiment qui l’emportait, Maurevert devenait le chef de la bande.


– Parle! crièrent plusieurs.


– Je connais l’homme, cria Maurevert. Soyez sûrs que s’il s’est gîté là, il doit avoir le moyen de s’y défendre. Donc, il ne faut rien livrer au hasard. La prise est trop importante.


Il souffla fortement, avec une indicible expression de joie féroce dans ses yeux striés de rouge.


– Il faut prévenir le duc, reprit Maurevert.


– Je m’en charge, dit un gentilhomme en s’élançant.


– Nous autres en attendant, faisons bonne garde, acheva Maurevert.


Huguette et le chevalier n’avaient rien entendu de ces paroles qui se perdirent dans le tumulte. Mais Huguette entendait parfaitement les cris de mort.


– Est-ce donc à vous que s’adressent ces cris? demanda-t-elle en pâlissant.


– À qui voulez-vous que ce soit? fit Pardaillan.


– Mon Dieu! Qu’avez-vous fait encore?…


– Moi? Rien. J’ai simplement empêché qu’on ne fasse. Car ce qu’on voulait faire était hideux.


– Je ne comprends pas, dit Huguette. N’importe, monsieur le chevalier, vous avez dû, sans doute, vous mêler…


– De ce qui ne me regardait pas! acheva Pardaillan. Ô mon digne père, dormez tranquille. Voici notre bonne hôtesse qui prend pour son compte la belle morale que vous me faisiez…


– Hélas! reprit Huguette qui tremblait, que va-t-il vous arriver, chevalier?


Le mot était sublime. Car Huguette ne pouvait un instant douter que l’auberge ne fût bientôt prise d’assaut par la multitude furieuse, et qu’elle ne succombât sous les coups. La bonne hôtesse s’oubliait. Pardaillan la considéra un instant avec une admiration attendrie.


– Vous savez bien, ma chère hôtesse, qu’à la Devinière, il ne m’est jamais rien arrivé de fâcheux, reprit le chevalier.


– Écoutez! écoutez! s’écria Huguette.


Un étrange tumulte éclatait dans la rue, à ce moment. Et ce n’était pas le tumulte d’une attaque; des bruits sourds résonnaient, et ce n’étaient pas les bruits d’une porte qu’on essaye de défoncer. Ce tumulte, c’était celui d’une foule qui s’écarte précipitamment. Ces bruits, c’étaient, eût-on dit, ceux de meubles qui, tombant de très haut; se brisaient à grand fracas sur le perron et sur la chaussée. En même temps, de rauques vociférations descendaient du haut d’une fenêtre, comme une pluie d’imprécations. Dehors Maurevert s’écriait:


– Je le savais bien que le damné Pardaillan avait rassemblé ici son armée de truands!


Et Pardaillan disait à Huguette:


– Ah ça, mais nous avons donc des défenseurs?


Il s’élança vers les étages supérieurs et, guidé par le bruit formidable, atteignit le deuxième et dernier étage. Là, il constata que les vociférations venaient de la chambre où il avait dormi la nuit précédente… la chambre qu’il avait occupée jadis quand il logeait à la Devinière.


«Ils sont au moins quinze là-dedans, songea-t-il. À la bonne heure! Je commence à croire qu’on va pouvoir donner du fil à retordre à messieurs les guisards.»


Et il ouvrit la porte en criant:


– Holà, camarades, ne jetez pas tout à la fois! De la méthode, que diable! Organisons une défense, et…


Il s’arrêta court, ébahi par le spectacle imprévu qui s’offrait à ses yeux.


Dans sa chambre, il n’y avait plus de meubles: les chaises, les deux fauteuils, la table, le bahut, le lit lui-même, démonté sans doute pièce à pièce, avaient été précipites par la fenêtre grande ouverte. Il n’y avait plus qu’une horloge, une de ces hautes horloges enfermées dans une gaine de bois sculpté.


Or, cette horloge, pour l’instant, semblait s’être animée d’une vie surnaturelle et fantastique. Elle dansait, se balançait, se cognait aux murs, avec des gémissements sonores et de brusques appels de sa sonnerie détraquée. Pardaillan qui ne s’étonnait de rien en demeurait muet de stupéfaction.


Cette horloge se battait!… Elle se battait contre un grand diable presque aussi haut et sûrement aussi maigre qu’elle, un être aux jambes d’échassier, aux bras démesurés, au long buste surmonté d’un seul cou, que surmontait enfin une petite tête à bec d’oiseau, à cheveux noirs aplatis sur le front plat.


C’était cet homme qui avait précipité tous les meubles par la fenêtre. C’était lui qui, empoignant l’horloge à bras-le-corps, l’entraînait aussi vers la fenêtre. C’était lui qui hurlait et vociférait d’une voix grasse, large, basse et profonde! Il ruisselait de sueur. Il était blême d’épouvante, insensé de fureur. Il assénait à l’horloge de terribles coups de pied et la serrait dans ses bras, d’une étreinte frénétique.


– Ah! misérables! comme à la chapelle Saint-Roch; comme à l’abbaye! Vingt contre un! Ah! Par la fenêtre! Tous par la fenêtre! Quelle bataille!… Toi aussi, tu y passeras! Nous y sommes!… Ouf!…


L’horloge, dans un dernier effort du fou – fou de peur et de rage – venait enfin de basculer sur l’appui de la fenêtre. L’homme se pencha avec un grand éclat de rire. L’horloge tomba dans le vide et alla se fracasser sur la chaussée, d’où monta la furieuse imprécation de la foule. Alors le fantastique lutteur, les yeux hagards, le visage couvert de sueur, se retourna en croassant d’un air satisfait:


– Tous en déroute!… Le dernier est mort!


Et Pardaillan reconnut Croasse.

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