XLVII MONOLOGUE DE PARDAILLAN

N’ayez pas peur, lecteur, il sera bref. Voici ce que se racontait à lui-même le chevalier de Pardaillan, dans l’heure même où le sire de Bussi-Leclerc se préparait à descendre à son cachot:


«Viendra-t-il? Ou ne viendra-t-il pas? Ai-je bien lu sur ce visage de spadassin la vanité incurable, la vanité têtue, la vanité qui saigne, souffre, enrage et pleure? Ai-je bien vu dans ces attitudes la bienheureuse haine qu’il me porte? Dois-je espérer que j’ai assez exaspéré cette vanité, que j’ai assez fourragé dans cette plaie, que j’ai assez envenimé cette haine?… Seigneur Dieu, si vous existez, faites seulement que M. de Bussi-Leclerc ait bien la dose de vanité que je lui suppose; le reste me regarde!


«Pouvais-je ne pas me rendre?… Seul, j’eusse tenté quelque coup de folie. Et en cela, je ne suis pas si fou que j’en ai l’air. En effet, combien de fois n’ai-je pas remarqué que la folie est encore ce qu’il y a de plus raisonnable sur cette terre. M. de Pardaillan, mon digne père, avait coutume de ne s’étonner de rien, et cela lui a permis de franchir plus d’un mauvais pas où un homme raisonnable eût laissé ses os et sa peau. Donc, si j’avais été seul, je crois vraiment qu’à force de folie j’eusse été assez sage pour me tirer de la Devinière. Mais voilà, il y avait Huguette!… Huguette étant là, j’ai dû être sage, ce qui fut la plus insigne folie de ma vie…


«Pauvre Huguette! Est-ce que je ne lui devais pas cela?… Pour tant d’amour silencieux, humble et dévoué, pour seize ans de tendresse inavouée, je pouvais bien lui donner cette minute de joie… de ne pas mourir sous ses yeux. Car rien ne prouve que je ne fusse pas mort. Et puis… parmi tant de coups que j’eusse reçus, il s’en fût bien égaré quelques-uns sur elle!… Allons, j’ai bien fait de me rendre!… C’est ma réponse à l’amour d’Huguette…


«L’amour d’Huguette! reprit Pardaillan en fronçant les sourcils. Ma réponse à cet amour est-elle une trahison à l’amour que je cache en moi?… Eh quoi, Loïse! Je t’aime donc toujours?… J’aime une morte! Morte depuis seize ans, morte dans mes bras, en me jetant son dernier regard si doux que j’en sens encore la douceur… J’aime une morte. Il sera donc dit que tout aura été folie dans la vie de mon cœur!… Folie, soit! Mais, est-ce ma faute si je ne puis l’oublier, si je la vois toujours près de moi, me souriant, et me parlant, et me répétant que nous sommes unis jusqu’à la mort!… Non, ce n’est pas ma faute, puisque j’ai essayé de l’oublier, et que je n’ai pas pu. Jusqu’à la mort!… Puisqu’elle est morte, je l’aimerai donc jusqu’à ce que je meure: voilà. C’est bien simple et je n’y puis rien…»


En parlant ainsi, Pardaillan pleurait doucement. Cette fidélité inouïe, cette étrange fidélité à la mort ne l’étonnait pas. Il n’en tirait ni orgueil d’âme, ni vanité de cœur. Comme il disait avec son admirable simplicité, il n’y pouvait rien, et c’était tout. Il continua:


«Cette vipère (il pensait à Maurevert) m’a tout de même octroyé quelques morsures qui m’ont fait souffrir la male mort. Claude! Qui est ce Claude qu’il dit de mes amis?… Et Farnèse!… Pourquoi ces deux noms?… Mais Violetta! mais Charles!… Pauvre petit duc qui avait une si belle confiance en moi et croyait qu’au besoin j’eusse, comme Josué, arrêté le soleil! Pris! Enchaîné comme moi! Et ces plaintes qui descendent parfois jusqu’à moi, ce sont ses plaintes!…»


Et un rugissement lui échappa, à lui! Il secoua ses chaînes et essaya de faire un ou deux pas. Il murmura:


– Pour Loïse assassinée, pour mon père assassiné, pour Charles qu’on assassine, pour Violetta qu’on assassine, pour tant de souffrances répandues sur la terre et concentrées ici, dans ce cachot, qu’est-ce que je demande? De pouvoir un jour dire deux mots à l’assassin et à celle qui jadis fournit l’arme. Ô bonne Catherine, dire que je n’avais pas songé à toi!…


Il était livide. Il y avait dans son regard un tel flamboiement qu’il lui semblait parfois que le cachot s’en éclairait. Et il répéta ces noms étrangement assemblés:


– Loïse… Maurevert… Médicis… Guise… Viendra-t-il ou ne viendra-t-il pas?… Non! Il ne viendra pas…


À ce moment, il dressa l’oreille. Un bruit lointain venait de le frapper. Rapidement, le bruit se rapprocha, la porte s’ouvrit. Pardaillan eut un profond tressaillement qui l’agita jusqu’au fond de l’être. Et de sa pensée, dans un flot de joie terrible, rugit ce seul mot:


– Il est venu!…

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