11

Une jeune fille svelte et gracieuse faisait son jogging sur la promenade du Rhin, à Cologne. Sa queue de cheval se balançait joyeusement au rythme de ses foulées. Une agréable fraîcheur montait du fleuve qui coulait paresseusement dans la lumière du petit matin.

La jeune fille s'arrêtait fréquemment pour se retourner en criant : « Shakespeare ! Shakespeare ! »

Émergeant de quelque recoin, une boule de poils blancs, un mignon petit westie, se lançait alors à la poursuite de sa maîtresse qui avait repris sa course.

De façon singulière, les femmes aiment donner à leurs chiens des noms de grands poètes ou de grands artistes.

Un phénomène qui conserve autant de mystère que l'Apocalypse de saint Jean...

Arrivé à la hauteur de l'embarcadère de la compagnie de croisières Cologne-Düsseldorf, Shakespeare poussa de furieux aboiements, comme si une douzaine de rottweilers enragés étaient à ses trousses.

La jeune fille tenta en vain de rassurer la petite bête, elle l'appela, revint sur ses pas, et c'est alors qu'elle fit une macabre découverte.

Pendant la nuit, le Rhin avait charrié le cadavre d'un homme nu, qui avait échoué entre les piliers de l'embarcadère. Il flottait en surface, à plat ventre, les bras étendus en croix.

Ce cadavre de sexe masculin donna du fil à retordre à la police de Cologne.

Il s'avéra rapidement qu'il ne pouvait s'agir ni d'un accident ni d'un suicide, puisque le visage de cet homme d'une quarantaine d'année présentait un impact de balle, laquelle avait réduit en bouillie la moitié gauche de la calotte crânienne, entraînant la mort sur le coup.

Compte tenu de l'état du cadavre et du débit du fleuve, les enquêteurs conclurent que l'homme avait été assassiné entre Bingen et Neuwied.

L'autopsie, pratiquée deux jours plus tard, confirma les hypothèses émises au début de l'enquête : l'homme avait été abattu à une assez grande distance par une arme de gros calibre, probablement une mitraillette d'origine russe.

On trouva deux projectiles dans sa tête, mais aucune trace de brûlure ni de poudre.

Le médecin légiste du CHU de Cologne releva aussi des blessures à la cuisse droite, sans lien avec le meurtre, qui devaient remonter à plusieurs années. Il n'était donc plus possible d'en déterminer l'origine.

Les médecins consignèrent dans leur compte rendu d'autopsie qu'il y avait environ quatre-vingts pour cent de chances pour qu'il se soit écoulé une douzaine d'heures entre le crime et l'immersion du cadavre dans le Rhin.

Ils ne trouvèrent aucune trace d'eau dans les poumons de l'homme.

On pouvait donc en déduire que la victime n'avait pas été tuée alors qu'elle était dans l'eau ou qu'elle y nageait. Les analyses ne révélèrent pas la présence d'alcool ou de drogue dans le sang.

Le dossier reçut la référence K-0103-2174, et le procureur de la République entama une procédure d'information judiciaire contre X.

Le lendemain, une photo de l'homme défiguré faisait la une du Kölner Express, assortie d'une légende en gros caractères :

UN MEURTRE MYSTÉRIEUX

Appel à témoins

Загрузка...