59

La tempête et la pluie, les éclairs et le tonnerre durèrent tout le jour. Le temps ne se calma qu'à la tombée de la nuit, au moment où Malberg se dirigeait vers les archives.

Toute la journée, Malberg avait passé en revue les événements des dernières semaines, à la lumière des informations que lui avaient fournies Gruna et Dulazek. Et il comprenait enfin pourquoi le minuscule bout de lin découpé dans le linceul de Turin que Gueule-brûlée lui avait proposé d'acheter avait une telle valeur marchande. Il savait aussi désormais pourquoi Anicet était prêt à payer une somme faramineuse pour le livre de Gregor Mendel qu'on avait cru à jamais disparu.

Mendel, le père de la génétique, s'était penché sur le même problème que celui qui préoccupait actuellement Murath.

Mais il fallait bien convenir qu'un étrange hasard avait amené Anicet, comme Mendel, à se servir de la même phrase de l'Apocalypse de saint Jean, chapitre 20, verset 7.

Quoi qu'il en soit, cette phrase illustrait aussi bien les projets de l'un que ceux de l'autre.

Quand les mille ans seront accomplis,

Satan sera relâché de sa prison.

Le moine bénédictin Gregor Mendel avait eu l'intuition qu'il serait un jour possible d'éliminer le gène de la foi de la mémoire génétique de l'homme.

Anicet, en revanche, savait, après avoir eu vent des résultats des recherches de Murath, que l'hypothèse était plausible.

C'est ce qui l'avait amené à choisir cette phrase comme code secret. Grâce aux recherches de Murath, Satan serait véritablement relâché de sa prison. La vengeance, dirigée contre l'Église romaine avec laquelle Anicet avait un compte à régler, serait terrible.

Il restait cependant une chose que Malberg n'était pas parvenu à élucider, en dépit de toutes ses réflexions : pourquoi Marlène détenait-elle cette croix ? Les circonstances de sa mort avaient été suffisamment éclaircies. Mais Malberg se demandait comment le médaillon avait atterri dans l'appartement de la jeune femme. Quelqu'un l'y avait-il perdu ? Il ne pouvait appartenir à Marlène, puisque la confrérie ne comptait pas de femmes. Parviendrait-il jamais à trouver la solution de cette dernière énigme ?

Marlène !

Penché sur le livre de Mendel dont les pages lui renvoyaient dans les yeux la lumière crue des néons, Malberg réfléchissait à la question. Il était presque ébloui. Et si Anicet l'avait attiré dans un piège ?

Mais dans quelle intention ? Non, tout cela n'avait aucun sens. Levant les yeux, Malberg se retrouva face à Marlène. Elle était là, devant lui, dans un accoutrement tout à fait inhabituel.

Elle portait un treillis de camouflage. Les boutons du haut de sa veste n'étaient pas fermés et laissaient voir la naissance de ses seins. Elle avait ramené ses longs cheveux noirs en chignon. Elle n'était pas maquillée, ce qui n'enlevait rien à son charme.

Malberg s'aperçut soudain que les mains de la jeune femme étaient crispées autour de la crosse d'un revolver de gros calibre ; elle était à moins de six mètres de lui et leva lentement l'arme pour la pointer exactement sur sa poitrine.

Malberg ne put réprimer un petit rire. Mais c'était plutôt un rire de désespoir. La tension à laquelle il avait été soumis ces derniers jours avait probablement faussé ses perceptions.

Plusieurs fois déjà, il avait été victime d'hallucinations de ce genre. De tels phénomènes n'avaient rien de rare chez des sujets imaginatifs.

Malberg se frotta les yeux pour revenir à la réalité. Mais l'apparition ne disparaissait pas.

- Marlène ? demanda Malberg à mi-voix.

- Lève-toi ! répondit la femme d'une voix grave et sourde.

Aucun doute possible, c'était sa voix. Malberg la fixa sans comprendre.

- Marlène ! Mais tu es...

- Morte ? Comme tu le vois, je suis vivante ! ricana-t-elle en agitant le revolver. Mais vas-tu donc lever ton cul !

Malberg voulut dire quelque chose, mais la voix lui manqua. Il s'exécuta sans un mot, pâle comme un linge. Il se mit debout et leva lentement les bras.

Marlène, ou la femme qui se faisait passer pour Marlène, passa derrière Malberg et lui appuya le canon du revolver dans le dos. Cela fait une drôle d'impression, même si ce n'est pas une première pour moi, songea Malberg. C'était effectivement la deuxième fois en peu de temps que quelqu'un lui enfonçait une arme dans les côtes.

- Et maintenant, marche ! lui dit la femme qui le poussa vers la porte avec son arme.

- À droite, tout droit, encore à droite !

Dirigeant ainsi Malberg, elle le fit sortir du couloir qui menait aux archives et prendre la direction du donjon.

Malberg s'immobilisa au pied de l'escalier qui conduisait au sommet du donjon. Sans oser se retourner, il demanda en hésitant :

- Marlène, c'est vraiment toi ?

- Oui, mais pas la petite niaise que tu as connue sur les bancs de l'école. Pas celle qui n'avait jamais voix au chapitre. Pas celle qui devait se contenter des mecs qui restaient sur la touche.

- Ce n'est pas possible ! s'exclama Malberg alors que Marlène le poussait plus loin. Je t'ai vue de mes propres yeux, morte dans ta baignoire ! Dans l'eau ! Je deviens complètement fou ?

- Qui sait, répondit Marlène sur un ton sarcastique que Malberg n'aurait jamais attendu d'elle. Les hommes, tous autant qu'ils sont, sont fous à leur manière.

Malberg s'arrêta une nouvelle fois devant la porte qui menait à la tour et tourna la tête vers elle.

- Allez, on monte ! aboya Marlène en appuyant plus fort son arme dans le dos de Lukas.

Malberg émit un cri, moins parce qu'il avait mal que parce qu'il espérait ainsi attirer l'attention. En vain.

Puis il entendit un léger déclic. Il s'y connaissait suffisamment en armes pour savoir ce que cela signifiait : Marlène venait d'armer son revolver. Il retint sa respiration.

- Que veux-tu faire ?

- On monte ! répéta Marlène en montrant l'escalier d'un coup de menton.

La peur au ventre, Malberg se mit à grimper une à une les marches. Pouvait-il se retourner et assommer Marlène ? Il eut l'impression que ce n'était pas la bonne solution. Elle avait l'air si tendue, si en colère. Elle n'hésiterait pas à l'abattre froidement.

- Qu'est-ce que je t'ai fait ? parvint-il à bégayer tandis qu'il gravissait les marches. Je t'ai admirée, je t'ai même aimée. Tu le sais ?

- La ferme ! l'interrompit Marlène. Tu mens ! Si c'était vrai, tu te serais comporté autrement. Tu es comme les autres. J'ai souffert toute ma vie de voir que les hommes préféraient ma sœur Liane. Pendant que Liane se payait un tas d'hommes, moi, la petite souris grise, je me consacrais à des études de biologie. De biologie !

- Mais je ne connaissais absolument pas ta sœur. Je ne savais même pas que tu en avais une !

- Encore une fois, tu mens ! Tu as même essayé de lui téléphoner.

- Oui, mais seulement après avoir appris son existence par le plus grand des hasards. J'espérais qu'elle pourrait me donner des renseignements sur toi.

- Qu'est-ce que cela pouvait bien te faire ?

- Marlène, je croyais que tu étais morte, qu'on t'avait assassinée ! Et c'est là que j'ai brutalement compris que je t'aimais à la folie. Et j'ai remué ciel et terre pour découvrir ce qui avait bien pu se passer.

- C'est justement cela que tu n'aurais pas dû faire !

- Mais pourquoi pas ?

Malberg avait fait une pause.

- Parce que tu as déclenché une véritable avalanche de catastrophes. Tu t'es cru intelligent en t'infiltrant ici, en te faisant passer pour un cryptologue. Richard m'a raconté que tu avais écrit ton mémoire de maîtrise sur les œuvres disparues de la littérature mondiale, et c'est cela qui m'a mis la puce à l'oreille.

- Richard ?

- Richard Murath. J'ai fait sa connaissance pendant mes études de biologie, à Berlin.

- Le professeur Murath ? Le biologiste ?

- Lui-même. Tu ne l'as pas reconnu ? Il t'a pourtant téléphoné. Et maintenant, bouge-toi !

Malberg repensa à cette voix basse et froide qui l'avait menacé.

Ils finirent par atteindre le sommet du donjon. C'était ici qu'à peine quelques heures auparavant, Lukas avait appris de la bouche de Gruna et de Dulazek ce qui se passait au château. Le jour déclinait. Malberg, hors d'haleine, se cramponna à l'un des créneaux.

Il détourna le regard du vide menaçant qui s'ouvrait en contrebas dans l'obscurité. Son front était couvert de sueur.

Marlène se posta de l'autre côté, en face de lui ; elle tenait toujours le revolver braqué sur lui. Mais elle semblait en proie à une terrible agitation. Malberg vit l'arme trembler dans sa main. La situation devenait encore plus dangereuse.

- Tu peux m'expliquer ce que signifie cette mascarade ! dit Malberg. Qu'attends-tu de moi ?

Il essayait de donner le change. Mais cette assurance feinte dissimulait mal son angoisse.

- Ça me paraît pourtant simple, répliqua Marlène froidement. Tu en sais trop. Alors maintenant, tu vas m'écouter ! cria-t-elle en le fixant de ses yeux de démente. Murath n'avait rien d'un homme attrayant. De plus, après son divorce, il était criblé de dettes. Mais il était intelligent et me faisait la cour. Le premier homme à m'avoir jamais témoigné de l'admiration. Je pense que tu sais qu'entre-temps, Murath a fait une découverte très importante.

- Je sais. Le gène de la foi.

- Je savais que tu étais au courant. Pour éponger ses dettes, Murath a voulu céder les résultats de ses recherches à la curie, en échange d'une somme de dix millions d'euros. Ces messieurs se sont montrés intéressés au plus haut point, mais ils n'ont pas voulu débourser une telle somme. Murath n'était pas prêt à négocier. Il a laissé au Vatican sa carte de visite en indiquant qu'il était encore à Rome pour une semaine, et qu'on pouvait le joindre à mon adresse. Le lendemain, un homme chauve en costume croisé gris, qui empestait le parfum, est venu frapper à ma porte. Il voulait parler à Murath. Lorsqu'il m'a vue, il a eu le coup de foudre. C'est ce qu'il m'a expliqué par la suite. Un cardinal, que dis-je ! le cardinal secrétaire d'État s'était épris de moi !

Malberg secouait la tête, incrédule. Cette vision d'une Marlène qui avait tout d'une gorgone ne contribuait pas vraiment à éclairer sa lanterne.

- Et alors, s'enhardit-il, l'affaire a été conclue ?

- Non. Gonzaga était venu de sa propre initiative, tout en connaissant le caractère explosif du dossier. Mais il ne disposait que de fonds limités.

Pensant que Marlène s'était un peu radoucie, Malberg fit un pas vers elle.

Elle leva aussitôt son arme et cria :

- Recule, pas un pas de plus !

Dans la lumière déclinante, Malberg pouvait à peine voir son visage. Mais, même sans distinguer ses traits, il comprit qu'elle ne plaisantait pas.

Malberg était coincé entre deux créneaux. Il eut soudain le vertige. Le sang bourdonnait dans ses oreilles. Obnubilé par l'idée qu'il se trouvait à une bonne trentaine de mètres au-dessus du sol, il s'agrippa aux murs. Il était tétanisé, incapable de concevoir la moindre pensée lucide. Comment sortir de cette situation ? Il avait peur. Il n'avait encore jamais eu aussi peur. Les questions se bousculaient dans sa tête, mais il n'osait pas les poser. Marlène pouvait tirer d'un instant à l'autre. Cette femme était folle, complètement folle !

Il n'écoutait que d'une oreille ce que Marlène lui disait.

- C'est à cette époque que ma sœur Liane est venue me voir. Lorsqu'elle faisait escale à Rome et qu'elle n'avait rien de mieux à faire, elle me rendait visite. Elle avait eu vent de ma liaison avec le cardinal Gonzaga. Elle voulait absolument faire sa connaissance. Je n'avais rien contre. Ce dont je ne pouvais pas me douter, c'était que Liane avait l'intention de séduire Gonzaga. Coucher avec un cardinal, pour une fille comme elle, c'était une aventure particulièrement excitante. Un jour, alors qu'elle revenait d'une excursion dans les Abruzzes, j'ai remarqué que ses vêtements étaient imprégnés d'une odeur que je connaissais. Les excursions se succédèrent, si bien que j'ai fini par lui demander des explications. Liane n'a même pas tenté de nier. Elle m'a expliqué froidement qu'elle avait tous les hommes à sa botte. C'est là que j'ai eu l'idée de me venger. Écoute-moi !

Marlène pensait que Malberg ne faisait plus attention à ce qu'elle disait. Elle brandit le revolver et l'agita dans tous les sens.

- Mais bien sûr que je t'écoute. Seulement, je n'aime pas trop avoir sous les yeux le canon d'une arme avec laquelle tu peux tirer d'une seconde à l'autre.

Marlène ne releva pas la remarque et poursuivit, d'une voix pleine d'ironie mordante :

- Pendant que Liane se prélassait de nouveau dans les Abruzzes, j'ai reçu un étrange appel téléphonique. Un certain don Anselmo essayait de me faire comprendre dans un langage fleuri que, dans le fond, j'étais une femme bonne, même si le malin s'était emparé de moi dans des circonstances fâcheuses. En parlant du malin, l'homme visait le cardinal secrétaire d'État Gonzaga. Je m'apprêtais à raccrocher en lui disant d'aller au diable, lorsqu'une idée a soudain germé dans mon esprit. Tu entends ce que je dis ?

- Oui, s'empressa de répondre Malberg.

- J'avais bien sûr immédiatement compris que j'avais affaire à un exorciste. J'ai fait semblant d'abonder dans son sens. J'ai convenu avec lui d'une date et fait en sorte que Liane soit là à ma place pour l'accueillir. Je voulais lui administrer une correction. Je ne pouvais pas me douter que cela allait lui coûter la vie. Je ne peux pas dire que sa disparition m'ait profondément attristée. Néanmoins, j'ai eu un choc lorsque Murath, chez qui je me trouvais pendant ce temps, m'a averti que j'étais morte. Cela fait une drôle d'impression, d'entendre l'annonce de sa propre mort. Murath avait appris par des voies détournées que la femme exorcisée à son corps défendant était décédée. Tout le monde croyait qu'il s'agissait de moi. Dans un premier temps, ils ont tenté de faire passer cette mort pour un accident. Et ils y sont d'ailleurs parvenus grâce aux relations étroites qu'ils entretenaient avec les plus hautes instances gouvernementales. Puis ils ont enterré la morte dans l'anonymat.

- Mais nous nous sommes parlé au téléphone... C'était quelques heures avant la mort de ta sœur... dit Malberg.

Marlène eut un sourire fielleux :

- Tout est possible avec les téléphones portables. À ce moment-là, je me trouvais déjà au château de Layenfels. Je voulais te donner une leçon, mais je voulais surtout me débarrasser de toi. Pour qui te prends-tu ? Tu crois peut-être que je n'avais pas remarqué tes yeux brillants de convoitise lorsque nous nous sommes revus ? Tu crois que j'ignorais ce que tu espérais de cette visite à Rome ? Mais je n'ai jamais oublié les humiliations que tu m'as fait subir à l'école. Je vais te dire une chose : j'avais les cheveux crépus, les seins peu développés pour une fille de dix-sept ans, un appareil dentaire que j'ai dû garder plus longtemps que les autres, et mes parents n'avaient pas d'argent pour me payer des vêtements à la mode. Mais étais-tu obligé de me balancer tout cela à la figure ? À compter de ce jour, je t'ai haï et je n'ai jamais cessé de te haïr.

- Je ne savais pas, bredouilla Malberg. En tout cas, je n'en ai aucun souvenir. Crois-moi, c'est la vérité ! Mais si cela s'est vraiment passé comme tu le dis, je le regrette.

- Tiens donc ! Tu regrettes tout d'un coup parce que tu as les pétoches !

- Oui, j'ai peur. Tu as l'intention de me tuer ?

- Moi ? Te tuer ? Non ! cria Marlène hors d'elle, c'est toi qui vas te tuer. Trois pas en arrière, et hop ! tout sera fini.

Avec l'énergie du désespoir, Malberg parvint à articuler quelques mots.

- Tu es complètement cinglée. Non, je ne sauterai pas dans le vide. Tu vas devoir tirer. Allez, tire !

Malberg sentait le sang bouillonner dans ses veines. Il suivit, les yeux écarquillés, Marlène qui fit trois ou quatre pas en arrière. Elle s'immobilisa entre deux créneaux à environ six mètres de lui.

- Pour la dernière fois. Trois pas en arrière !

- Tu ne tireras pas ! Je ne me jetterai pas dans le vide !

Dans la lumière du crépuscule, Malberg remarqua que son œil, le canon du revolver et l'œil de Marlène étaient alignés.

Puis il entendit un sifflement, immédiatement suivi par un coup sourd. Bizarrement, il ne sentait rien. Mais la douleur n'allait pas tarder à apparaître.

Soudain, il vit Marlène jeter son arme. Elle se mit à tituber puis à tourner sur elle-même. C'est alors que Malberg, paralysé par la peur et incapable de comprendre ce qui s'était réellement passé, remarqua la flèche plantée dans le dos de Marlène. Puis il la vit basculer la tête la première dans le vide et entendit quelques secondes plus tard un bruit sourd.

- Marlène ?

Des cris retentirent dans la cour de la forteresse. Malberg s'avança comme un somnambule vers le créneau, à l'endroit où Marlène avait disparu. Terrorisé, il s'agrippa à la muraille et regarda.

Le corps disloqué de Marlène gisait neuf étages plus bas.

Il entendit des pas dans l'escalier. Gruna surgit de l'obscurité avec un arc à la main, un de ces modèles sophistiqués qu'on utilise lors de compétitions sportives.

- Vous ? demanda Malberg, interloqué.

Gruna acquiesça.

- Je vous ai observé d'en face. J'ai d'abord cru à une dispute sans importance. Mais, dans la lunette de mon arc, j'ai vu que cette femme braquait son revolver sur vous. J'ai alors compris que l'affaire était sérieuse.

- Vous n'auriez pas dû faire cela, murmura Malberg presque en lui-même, vous n'auriez pas dû faire cela.

- Vous auriez donc préféré vous retrouver en bas, étendu mort au pied de la muraille ?

Malberg chancelait. Il ne comprenait rien.

- Marlène, répéta-t-il, Marlène.

- La seule femme en ces lieux, parmi une centaine d'hommes. Cela ne pouvait que mal se terminer. Mais Murath avait réussi à convaincre Anicet de lui faire cette concession. Le professeur avait même dit qu'il ne resterait au château, et donc qu'il ne poursuivrait ses recherches, qu'à la condition que Marlène soit autorisée à vivre ici. Ils vivaient ensemble.

Tout en écoutant les explications de Gruna, Malberg perçut une drôle d'odeur. Une odeur de fumée que Gruna remarqua à son tour :

- Il y a quelque chose qui brûle ! cria-t-il en regardant, horrifié, les ailes de la forteresse en contrebas.

- Au feu, le château brûle ! cria-t-il comme fou.

Malberg tituba jusqu'aux créneaux. Des flammes s'échappaient déjà de plusieurs fenêtres du bâtiment qui se trouvait en face du donjon, puis elles gagnèrent les autres parties de l'édifice.

Dans un état second, Malberg suivait ce macabre spectacle, sans réfléchir ne serait-ce qu'une seconde à l'origine de l'incendie. Gruna était lui aussi fasciné par le feu qui s'élevait dans la nuit.

Puis, tout à coup, comme s'il sortait brusquement d'un rêve, il balbutia :

- Nous devons sortir d'ici le plus vite possible !

Malberg restait cloué sur place et continuait de fixer le vide. Gruna le saisit par la taille et l'entraîna vers l'escalier.

Au sixième étage déjà noyé dans d'épaisses fumées noires, Malberg voulut obliquer dans le couloir qui menait aux archives.

- Vous avez perdu la raison ! hurla Gruna en toussant comme un damné.

Il attrapa Malberg par la manche et l'entraîna à sa suite.

- Mais le livre de Mendel ! s'écria Malberg en toussant lui aussi. Ce livre est irremplaçable !

- Vous êtes idiot ou quoi ? C'est votre vie qui est irremplaçable !

Cette remarque donna un électrochoc à Malberg, qui revint brutalement à la réalité.

Ils dévalèrent l'escalier. Quelques hommes gesticulaient, toussaient et vociféraient en se pressant devant la porte qui donnait sur la cour enfumée.

Lorsqu'ils furent enfin à l'air libre, Malberg ne se dirigea pas vers la sortie.

Il obliqua sur la gauche dans la direction où, à une dizaine de mètres tout au plus, gisait sur les pavés le corps d'une femme vêtue d'un treillis.

Sa tête, ou du moins ce que l'on devinait encore de sa tête, baignait dans une marre de sang noir.

La flèche avait transpercé son corps au moment où il s'était écrasé au sol, et la pointe ressortait maintenant de la cage thoracique.

La fumée s'épaissit et le feu au-dessus de lui redoubla de fureur. Les premières vitres explosèrent. Malberg prit le chemin de la sortie.

Il se retourna encore une fois pour jeter un regard vers le donjon. Et là, il aperçut une silhouette en feu : c'était Murath, un jerrican à la main, déjà transformé en torche humaine.

Le professeur continuait de répandre de l'essence sur ses propres vêtements qui s'enflammaient aussitôt. Lorsque le jerrican fut vide, il le lança loin de lui et se mit à danser. Il riait comme un dément en criant :

Quand les mille ans seront accomplis,

Satan sera relâché de sa prison.

Son ultime échec l'avait rendu fou.

Ses hurlements atroces furent couverts par le crépitement des flammes. Alors Malberg se détourna et partit en courant.

Dans la panique, les Fideles Fidei Flagrantes se pressaient à travers l'étroite gorge à la sortie du château. Ils se marchaient presque dessus pour s'enfuir les premiers. Le ciel prit une teinte pourpre et projeta sur leurs visages une étrange lumière.

Des sirènes hurlaient dans le lointain. Elles se rapprochèrent pour former un chœur terrifiant qui vous transperçait les tympans.

Lorsque Malberg atteignit l'embranchement du chemin, la meute des hommes, qui criaient et se battaient pour passer, se dispersa. Quelques-uns choisirent comme Malberg la route qui descendait à Lorch dans la vallée.

D'autres errèrent toute la nuit dans les bois comme s'ils avaient eu des furies à leurs trousses.

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