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Malberg était allé chercher Caterina à l'aéroport en taxi. Il avait acheté des petits pains frais, du jambon, du fromage et de la gelée de coings pour leur petit-déjeuner. Ils étaient maintenant installés au bar de sa cuisine américaine. Caterina reposa sa tasse en grimaçant.

- Je sais ce que tu vas me dire, dit Lukas. Que mon café est de la lavasse !

- Je n'ai jamais dit cela !

- Mais tu l'as pensé si fort que je l'ai entendu ! Tu n'as d'ailleurs pas tort, la préparation du café n'est pas mon fort.

Caterina étalait avec un plaisir non dissimulé de la gelée de coings sur un petit pain :

- Bon, pour ce qui est du café, je peux encore m'en occuper, dit-elle avec un sourire malicieux.

- Et pour le reste ?

- Euh... Là, il faudra négocier.

Lukas saisit la main de la jeune femme. Caterina rougit, pensant que Lukas était sur le point de lui faire une demande en mariage, là, entre le jambon et la gelée de coings. Les Allemands n'ont pas toujours l'art et la manière de faire les choses, dans ce domaine. Cependant, elle déchanta assez vite.

- Tu me disais qu'il y avait dans l'article sur Soffici un indice concernant l'assassinat de Marlène, dit Malberg.

Caterina n'en croyait pas ses oreilles, mais elle parvint à cacher sa déception.

- Oui, répondit-elle en fouillant dans son sac de voyage dont elle sortit une feuille de journal. L'article est paru dans le Messagero d'hier.

Malberg parcourut rapidement l'article qui relatait sur quatre colonnes l'accident de Soffici. Le journaliste concluait en se demandant pourquoi le secrétaire de Gonzaga s'était trouvé à cet endroit, dans le véhicule de fonction du cardinal secrétaire d'État dont les plaques minéralogiques avaient été remplacées par de fausses plaques allemandes.

Pour le journal, les circonstances dans lesquelles Soffici avait trouvé la mort alors qu'il se rendait au château de Layenfels, le siège d'une confrérie hostile à l'Église, étaient particulièrement mystérieuses. Pas un seul mot qui renvoyait à Marlène. L'article n'apportait rien de nouveau. Déçu, Malberg se tourna vers Caterina.

- La photo, dit-elle en montrant le cliché reproduit au-dessus de l'article, où l'on voyait le porche du château de Layenfels. Regarde le blason, au-dessus de l'entrée !

Malberg fronça les sourcils : il venait de distinguer sur le blason une croix ressemblant à une croix russe dont la branche inférieure serait inclinée. Il avait déjà vu ce symbole runique quelque part. Oui, naturellement.

Il se dirigea vers son secrétaire, ouvrit un tiroir dont il tira une petite chaîne en or avec un médaillon ovale. Il l'avait déposée là hier. C'était celle qu'il avait prise dans l'appartement de Marlène.

Sur le médaillon figurait cette même croix.

Il secoua la tête, incrédule. Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ?

Caterina prit le médaillon des mains de Lukas.

- En concentrant nos recherches sur Gonzaga et sur ces messieurs de la curie, il est fort possible que nous fassions complètement fausse route.

- C'est exactement ce que je pensais, répondit Malberg. Quoi qu'il en soit, il doit y avoir un lien entre la curie et cette confrérie.

- Et un lien avec la mort de Marlène !

- Je n'ose même pas y penser, dit Malberg en enfouissant son visage dans ses mains.

Caterina le regardait.

- Au fait, pourquoi as-tu décidé d'emporter cette chaîne ? finit-elle par lui demander en le regardant droit dans les yeux.

- Je ne le sais pas, dit Malberg avec hésitation. Vraiment pas... En tout cas, ce n'était pas pour conserver un souvenir de Marlène, si c'est ce que tu insinues. J'ai eu comme une drôle d'intuition, une sorte de sixième sens, une voix intérieure qui me disait de prendre cette chaîne, qu'elle avait peut-être une signification particulière. Pourtant, je l'ai découverte par hasard dans ses affaires. Comme quoi !...

Caterina déposa le mystérieux médaillon devant elle sur le bar de la cuisine. Ils fixaient tous les deux en silence le bijou qui brillait.

Et voilà qu'elle était de retour, cette méfiance qui s'installait toujours entre Caterina et Lukas dès qu'ils évoquaient la mort de Marlène.

Caterina avait du mal à croire que Lukas n'ait pas eu une idée derrière la tête lorsqu'il avait emporté la chaîne de Marlène. Durant les semaines écoulées, elle avait pu constater à plusieurs reprises l'attachement que Malberg éprouvait encore pour Marlène. Son comportement relevait même parfois de la névrose obsessionnelle. Caterina n'arrivait pas à le croire lorsqu'il jurait ses grands dieux qu'il n'y avait jamais rien eu entre lui et cette femme.

De son côté, Malberg sentait parfaitement la façon dont Caterina s'éloignait de lui dès qu'il était question de Marlène. Au début, lorsque l'intérêt qu'elle portait à cette affaire était encore d'ordre professionnel, elle avait ressenti une certaine sympathie pour l'amie de classe de Lukas. Mais, maintenant qu'ils avaient une liaison, Caterina n'éprouvait plus que de l'antipathie pour Marlène. Si elle s'intéressait encore au cas, c'était uniquement pour faire plaisir à Lukas et pour pouvoir enfin clore ce chapitre.

Malberg remuait sa cuillère dans sa tasse et observait en silence le tourbillon à la surface du café.

Au bout d'un moment, il leva les yeux.

- J'ai peur.

Caterina posa la main sur la sienne.

- Tu n'as pas à avoir peur !

Elle savait pertinemment que c'était stupide de dire cela compte tenu des événements de ces derniers jours.

- Je t'ai parlé de ce coup de fil anonyme, reprit Malberg. Depuis, ces mots ne me sortent plus de la tête : « Pensez à Soffici ! » Cette nuit, je n'arrivais pas à dormir, et j'ai tout à coup cru comprendre ce que l'inconnu avait voulu me suggérer. Je suis alors descendu dans le parking pour regarder de plus près ma Jaguar qui est garée là depuis plus de dix semaines.

- Mon Dieu, Lukas, je comprends maintenant tes craintes ! Il est possible que Soffici ait été victime du sabotage de sa voiture. Tu n'as pas ouvert la portière, au moins ?

- Non. Mais j'ai la sensation que quelque chose cloche. Je ne peux pas dire ce que c'est, c'est juste une sorte de pressentiment.

- Tu dois immédiatement prévenir la police !

- Ça a été aussi ma première réaction.

- Alors, pourquoi ne l'as-tu pas fait ?

Malberg hocha la tête.

- Tu as réfléchi aux conséquences ? Je devrais sûrement répondre à une série de questions embarrassantes. Est-ce que j'ai des ennemis ? Qui pourrait être ce correspondant anonyme ? En d'autres termes, l'affaire Marlène Ammer s'étalerait sur la place publique. Ses assassins, qui se sentent jusqu'à présent en sécurité parce qu'ils ont soudoyé, menacé ou tué tous ceux qui savent quelque chose, pourraient disparaître de la circulation et faire de moi la cible d'une nouvelle attaque. Et toi non plus, tu ne serais plus en sécurité.

Caterina se leva d'un bond et s'écria, en colère :

- Alors, prends ta clé de voiture, va au parking, ouvre ta portière et démarre le moteur !

- Non ! s'écria Lukas, tout aussi emporté. Il n'en est pas question.

- Alors, qu'est-ce que tu attends ? demanda Caterina en lui tendant le téléphone.

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