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Les premiers problèmes de vie commune apparurent dans les jours qui suivirent. Lukas Malberg remarqua qu'il n'était pas facile de vivre à trois dans un espace aussi exigu. Pendant cette période qu'il passa chez Caterina, ce fut surtout le foutoir que Paolo mettait dans l'appartement qui lui posa des problèmes.

La situation était encore aggravée par l'arrivée, à peine Caterina hors de la maison, des soi-disant amis de Paolo, qui commençaient dès le matin à boire de l'alcool : des acteurs sans engagement, des mécaniciens automobiles qui se sentaient des vocations de pilotes de course et des types portant des bagues en or, au gagne-pain douteux, que Malberg préférait ne pas connaître. Peu de temps avant le retour de Caterina, cette faune disparaissait en abandonnant sur place des verres sales et des nuages de fumée.

Cette compagnie, qui comptait une jeune fille très attirante, laquelle était censée prêter sa voix de velours à la synchronisation de bandes-son, ne disait rien qui vaille à Malberg. Il décida donc de se chercher un autre toit.

Lorsqu'il mit Caterina au courant de ses plans, il se heurta à son incompréhension.

- Je conçois que la situation ne soit pas facile, mais, compte tenu des circonstances particulières, c'est peut-être la solution la plus sûre. Je sais que vous êtes habitué à mieux, mais c'est tout ce que j'ai à vous proposer, voilà tout.

- C'est ridicule, dit Malberg en essayant de calmer Caterina. Une petite chambre me suffirait ; j'ai besoin de calme. Et, de plus, je crois qu'il est temps de mettre fin à cette sous-location avant que nous n'en venions tous les trois aux mains.

Caterina haussa les épaules. Elle était vexée.

- Comme vous voudrez.

Assis devant la télévision allumée, Paolo, qui avait suivi la conversation sans y prêter apparemment attention, intervint :

- Je crois que j'ai une proposition à vous faire.

- Toi ? rétorqua Caterina qui prenait rarement son frère au sérieux. Le signor Malberg a besoin d'une chambre ou d'un appartement où il n'aura pas besoin de faire une déclaration de séjour.

- Tout à fait, opina Paolo. Un instant.

Il s'empara du téléphone. Après une courte conversation, il raccrocha et se tourna vers Malberg.

- À deux rues d'ici, la signora Papperitz loue des chambres à des artistes, des peintres, des écrivains...

- Et à des types louches, coupa Caterina. À part cela, il faut reconnaître que ce n'est pas une mauvaise idée.

Malberg n'arrivait pas à se défaire de l'impression que Paolo était content de se débarrasser de lui.

- La signora Papperitz ? demanda-t-il. Une Allemande ?

- Oh que non ! Une Romaine pure souche, répondit Paolo. Elle a des ancêtres allemands, un peintre qui a séjourné pendant un certain temps à Rome, il y a cent cinquante ans. C'est du moins ce qu'elle prétend. Vous pouvez aller voir la chambre demain, et vous lui transmettrez le bonjour de Paolo. Via Luca 22, ajouta-t-il avec un clin d'œil.

Le soir venu, il se passa quelque chose d'étrange avant que Malberg ne quitte l'appartement de Caterina. Et la chose se produisit sans qu'il s'y attendît le moins du monde - ou plutôt, cela faisait un bon moment qu'il ne s'y attendait plus.

Paolo était sorti. Il passait la moitié de la nuit dehors, comme à son habitude. Malberg et Caterina avaient bu un verre ou deux. Pas suffisamment pour être ivres, mais juste assez pour oublier leur retenue habituelle et se lancer dans une conversation animée.

Malberg ne savait toujours pratiquement rien de Caterina, mais elle, de son côté, avait su l'amener habilement à parler de lui. Était-ce délibéré ou seulement fortuit ? Toujours est-il qu'il y avait de la tension dans l'air, le genre de tension qui précède généralement le moment magique où deux êtres se sentent attirés l'un vers l'autre.

Jusqu'alors, ils n'avaient pas dépassé le stade de la politesse distante. Rétrospectivement, du reste, la méfiance qu'ils avaient nourrie l'un envers l'autre n'était pas sans fondement.

Deux êtres appartenant à deux univers différents s'étaient rapprochés et, tout en poursuivant le même objectif, aucun des deux n'avait su se frayer un chemin dans l'intimité de l'autre.

Malberg répondit sans réticences aux questions franches de Caterina. Lorsqu'il était jeune, il avoua avoir fait feu de tout bois : à l'époque où il avait seize ans, une employée pulpeuse du salon de coiffure d'en face, la dénommée Elvira, blonde décolorée, les cheveux crêpés et exactement deux fois plus âgée que lui, l'avait débauché. À moins que ce ne fût l'inverse ? Il ne se souvenait plus exactement. Cette relation n'avait rien eu à voir avec l'amour. Une banale aventure sexuelle, et encore. Quoi qu'il en soit, ils avaient dû se voir cinq fois au plus.

Pendant sa première année d'études de lettres, une certaine Zdenka lui avait fait des avances. Elle était non seulement très attirante, mais de surcroît intelligente, avec des yeux noirs et des cheveux de jais. Malberg avait cru avoir rencontré le grand amour avec cette fille d'immigrés yougoslaves.

Ils avaient tous les deux vingt-deux ans. Ils convolèrent, n'eurent pas d'enfants et restèrent mariés en tout et pour tout trois ans et demi.

Depuis, il avait collectionné les liaisons. La plus longue avait duré cinq ans, et il en gardait un souvenir tout à fait agréable.

Il assumait la responsabilité de tous ces échecs. Il s'était entendu plus d'une fois reprocher d'être avant tout en ménage avec ses livres, et de n'être capable que d'un mariage morganatique.

Pendant que Malberg parlait, Caterina le regardait attentivement. Elle finit par dire sur un ton presque attristé :

- D'une certaine manière, vous me faites de la peine.

Malberg réfléchit un court instant avant de demander :

- Et pourquoi cela ?

- Parce que vous restez toujours maître de vos sentiments.

- C'est vrai, mais cela ne devrait pas vous faire de la peine.

Caterina le regarda avec assurance. Ses yeux, tristes il y a un instant encore, étincelèrent subitement de mille feux. C'est alors que tout bascula.

Les sens de Malberg s'affolèrent lorsque Caterina lui demanda de but en blanc :

- Lukas, ça vous dirait de faire l'amour avec moi ?

Croyant avoir mal entendu, il s'enfonça encore plus profondément dans le fauteuil en rotin.

Était-il éveillé ? Rêvait-il ? Il aurait été incapable de le dire. Que devait-il répondre à cette question insolite ? Il hésitait. Il y a certaines questions qu'on ne pose pas. Parce qu'elles ne sont pas convenables. Et celle-ci en faisait partie. Elle appelait une réponse aussi peu convenable. On ne peut y répondre simplement par oui ou non. Il aurait été assez discourtois de dire : « D'accord, je suis libre » ; et carrément méprisant de répondre par un : « Si ça vous dit... »

Malberg tergiversait encore que Caterina prenait déjà les devants. Elle s'était levée, avait remonté sa jupe courte et s'était assise sur ses cuisses. Leurs yeux se cherchèrent. La main de Caterina s'insinua entre ses jambes. Elle caressa Malberg, qui ferma les yeux et s'abandonna au plaisir.

Le sourire, les lèvres pulpeuses et les regards charmeurs de la jeune femme l'avaient troublé dès le premier instant. Malberg était tout sauf timide, mais, en l'occurrence, il avait refoulé, volontairement ou involontairement, tous les fantasmes que Caterina faisait naître en lui. Ils avaient un but en commun : élucider une affaire à haut risque. Une relation amoureuse ne pouvait qu'entraver leur entreprise.

Ces réflexions s'évanouirent en un instant lorsque Malberg sentit la langue de Caterina fouiller fébrilement sa bouche. Ils s'embrassèrent longuement et passionnément. La main de Caterina se fraya un chemin à travers les différentes épaisseurs de vêtements pour s'emparer de son sexe. Malberg gémit de plaisir. Il passa ses mains dans ses cheveux.

Puis elle s'écarta légèrement de lui, entrouvrit ses jambes et ne prononça qu'un seul mot :

- Viens !

Malberg la prit fougueusement et la pénétra.

Ses petits cris l'excitèrent encore davantage. Il ne se souvenait pas avoir jamais éprouvé autant de plaisir, mais il ignorait pourquoi : était-ce dû au fait qu'il n'avait pas fait l'amour depuis longtemps, ou à la surprise que lui avait causée l'assaut inattendu de Caterina ?

Épuisés, ils s'effondrèrent par terre et restèrent allongés l'un contre l'autre en reprenant peu à peu leur souffle. Caterina fut la première à retrouver l'usage de la parole. Elle se tourna vers lui et s'appuya sur un coude :

- J'espère que cela t'a plu, dit-elle en relevant une mèche de cheveux qui tombait sur le front de Lukas.

Malberg la regarda, puis referma les yeux sans dire un mot. Un sourire s'esquissa sur ses lèvres.

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