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Aveuglée par la blancheur du soleil, la marquise Falconieri clignait des yeux, l'air désabusé. Elle se trouvait devant la porte de la prison de femmes et avait troqué son triste uniforme pour ses propres vêtements. Son tailleur de lin semblait bien trop grand pour elle, sa jupe était froissée comme un tablier de paysanne des Pouilles, et ses cheveux étaient tirés en arrière. Le charme qui émanait jadis de son visage avait fait place à une expression amère.

Sur les conseils de l'avocat commis d'office, Lorenza Falconieri avait fait des aveux complets : elle était au courant des escroqueries de son mari et, après la mort de celui-ci, elle avait tenté d'écouler la précieuse marchandise qu'il recelait.

Dans un deuxième temps, son avocat avait réussi à convaincre le juge d'application des peines que sa cliente ne prendrait pas la fuite.

Le tribunal l'avait libérée, avec pour seule obligation de se présenter une fois par semaine au commissariat de police le plus proche.

Et la voilà, avec un sac à la main contenant ses effets personnels, en train d'attendre le taxi que la direction de la prison lui avait commandé. La marquise était mal à l'aise, elle n'avait pas le sentiment d'être libre. Elle continuait de se sentir prisonnière, prisonnière de son passé douteux. Et, bien qu'elle fût - du moins provisoirement - en liberté, elle avait l'impression de voir encore le monde qui l'entourait à travers les barreaux de sa cellule.

Lorsque le taxi arriva enfin, le chauffeur affichait un sourire narquois. Lorenza Falconieri fit comme si de rien n'était et lui indiqua sa destination : Via dei Coronari. Aucun chauffeur de taxi romain ne connaissait la petite rue dans laquelle elle habitait.

Le premier kilomètre se fit en silence. La marquise regrettait d'avoir pris place à la droite du chauffeur, car il n'arrêtait pas de la dévisager.

- Vous feriez mieux de vous concentrer sur la circulation, lui conseilla-t-elle.

- Certainement, signora, répondit l'homme avec une politesse exagérée.

Et il osa poser la question, en lui souriant avec un air de défi :

- Combien de temps ?

- Qu'est-ce que vous entendez par là ?

Le chauffeur montra derrière lui avec le pouce de sa main droite :

- Je veux dire, combien de temps êtes-vous restée à Santa Maddalena ?

- Cela ne vous regarde pas ! Pourquoi voulez-vous le savoir ?

Le chauffeur haussa les épaules.

- Bah, comme ça ! Une fois, j'ai eu une cliente, la quarantaine, agréable à regarder, elle venait aussi de sortir de Santa Maddalena. Quand je lui ai demandé où elle voulait aller, elle m'a répondu : « N'importe où, après quinze ans derrière ces murs. » Quinze ans, vous vous rendez compte ! Elle a dépensé dans la course presque tout l'argent qu'elle avait gagné en tôle. Avant qu'elle ne descende du taxi, c'était déjà le soir, je n'ai pu m'empêcher de lui demander pour quelle raison elle était restée si longtemps en prison. Vous savez pourquoi, signora ? Elle avait tué sa rivale d'un coup de revolver. Et elle disait qu'elle serait prête à le refaire. J'étais bien content de la voir descendre de la voiture.

- De ce point de vue là, vous n'avez rien à craindre de moi, remarqua Lorenza Falconieri d'un ton sec. Je n'ai eu le plaisir de rester dans ces murs que pendant deux semaines, et je n'ai tué personne.

- Seulement deux semaines ? (La voix du chauffeur de taxi trahissait une certaine déception.) Vous devez avoir un excellent avocat.

Peu désireuse de poursuivre cette conversation, la marquise se contenta de hocher la tête.

- Quelqu'un vous attend ? demanda le chauffeur, interrompant ainsi un long moment de silence.

Lorenza ne répondit pas. Indifférente, elle regardait droit devant elle à travers le pare-brise.

- Je pose seulement la question parce qu'une Mercedes noire nous suit depuis Santa Maddalena. Mais ce n'est peut-être qu'un hasard.

- C'est ce que je crois aussi, répliqua la marquise, visiblement à bout de nerfs.

Qui aurait bien pu venir la chercher ou même la suivre ? Elle n'avait elle-même appris sa libération que le matin même.

Lorsque le taxi tourna dans la Via dei Coronari, la marquise sortit un billet de vingt euros de son sac à main et le tendit au chauffeur.

- Vous pouvez garder la monnaie. Si vous pouviez m'arrêter là-devant, au coin...

La marquise descendit et s'engagea dans la ruelle étroite bordée de maisons délabrées. À midi, le trottoir de gauche, où se trouvait son immeuble, était à l'ombre. Lorenza Falconieri appréciait l'agréable fraîcheur de la ruelle. Tout en marchant, elle fouillait dans son sac pour sortir ses clés lorsqu'elle entendit un coup de klaxon strident.

Se retournant, elle fut aveuglée par un soudain éclair, qui provenait de la vitre d'une grosse voiture noire. Il n'y eut pas de détonation. En tout cas, la marquise n'entendit rien. Elle ressentit seulement un grand coup au niveau de la poitrine.

Un coup si violent qu'elle en eut le souffle coupé. Elle essaya de respirer. En vain. L'effort qu'elle fit n'eut qu'un seul effet : à gauche, là où le cœur bat, un flot de sang gicla et se répandit sur ses vêtements.

Plusieurs secondes s'étaient déjà écoulées, durant lesquelles la voiture noire d'où avait jailli cet éclair aveuglant avait eu le temps de prendre la fuite. Ce n'est qu'à ce moment-là que la marquise comprit qu'on venait de lui tirer dessus. Elle n'avait pas mal. Le choc inhibe toute sensation de douleur.

Allait-elle mourir ici, maintenant ? Une balle en plein cœur, n'était-ce pas une blessure mortelle ? Elle s'était toujours imaginé la mort comme un moment de souffrance. Mais où était la souffrance ?

Au lieu d'avoir mal, elle ressentait comme un engourdissement. Tous les bruits se feutrèrent. Elle n'entendait plus que le râle saccadé de sa respiration.

Lorenza Falconieri remarqua que ses genoux se dérobaient sous elle. Elle marchait à quatre pattes sur le pavé, comme un chien. Des futilités lui traversaient l'esprit. Avait-elle payé sa dernière note de téléphone ? Portait-elle des sous-vêtements propres ? Qui allait dévisser la plaque qui portait son nom, à côté de la porte d'entrée ? Puis elle perdit l'équilibre et bascula sans un mot sur le côté, où elle resta allongée en chien de fusil. Des flots de sang s'échappaient de sa bouche.

La marquise fixait le ciel.

- Vous m'entendez ?

Un visage qu'elle ne connaissait pas.

- Oui, répondit la marquise, mais sa réponse n'arriva pas à son destinataire.

- Vous m'entendez ? continuait la voix, encore et encore. Vous m'entendez ?

Puis la voix s'éloigna, faiblit et s'éteignit. Tout à coup, ce fut le silence. Un silence comme elle n'en avait encore jamais connu.

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