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Lorsque Lukas Malberg revint à lui, il aperçut, penché au-dessus de lui, le visage ingrat d'une infirmière. À proximité, un bip strident et régulier lui déchirait les tympans.

- Où suis-je ?

- À l'hôpital Santa Lucia. Vous avez eu un accident.

Ce n'est qu'à cet instant que Malberg ressentit une vive douleur dans le crâne. Il ne se sentait pas bien et avait du mal à respirer. Il tenta de se concentrer, mais en vain.

- Un accident ? Je ne me souviens pas.

- Cela n'a rien d'étonnant. Vous souffrez d'un traumatisme crânien. Mais vous pouvez dire que vous avez eu de la chance. Vous vous en tirez bien. Vous ne souffrez que d'une simple plaie à la tête.

Malberg se tâta le front et découvrit un petit pansement.

- Un accident, vous avez dit ?

- Sur la Via di Trastevere. Le chauffard a pris la fuite.

Malberg avait beau se triturer les méninges, il n'avait pas le moindre souvenir, même vague, d'un accident. Tout à coup, cela lui revint.

Une image surgit devant ses yeux : le cadavre de Marlène dans la baignoire. Il poussa un long soupir.

- Ne vous faites pas de souci, poursuivit l'infirmière. Vous serez sur pied d'ici une semaine. À présent, vous avez surtout besoin de repos.

Malberg regarda l'infirmière d'un air soupçonneux.

- Et à part cela ?

- Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?

- Je veux dire : il ne s'est rien passé d'autre ?

L'infirmière secoua la tête.

- Je peux vous abandonner un instant, n'est-ce pas ?

- Oui, bien sûr, répondit Malberg.

Se retrouvant seul dans cette pièce blanche, il prit peur. Le moniteur auquel il était relié émettait des bips en continu.

Malberg se concentra pour rassembler ses souvenirs : le train de nuit pour Rome, l'arrivée à l'hôtel Cardinal, le coup de fil à Marlène, puis le cauchemar : Marlène noyée dans la baignoire.

L'appareil s'emballa ; au même moment, l'infirmière entra dans la chambre en compagnie d'un médecin.

- Dottore Lizzani, se présenta le médecin sur un ton détaché en lui tendant la main. Comment vous appelez-vous ?

- Lukas Malberg.

- Vous êtes allemand ?

- Oui, docteur, mais je n'arrive pas à me souvenir de l'accident.

Lizzani lança un regard entendu à l'infirmière. Puis il demanda à brûle-pourpoint :

- Trois fois neuf ?

Malberg s'énerva.

- À quoi rime cette question ? Dottore ! Je suis incapable de me souvenir de l'accident, voilà tout.

- Trois fois neuf ? insista le médecin.

- Vingt-sept, marmonna le patient de mauvaise grâce, avant d'ajouter, non sans agacement : si je ne me trompe pas...

Le docteur Lizzani ne se laissa pas distraire.

- Avez-vous des parents à Rome, que nous pourrions prévenir ?

- Non.

- Vous êtes ici en vacances ?

- Non, plutôt en déplacement professionnel.

Et c'est sur le ton d'une conversation professionnelle que le dialogue entre le médecin et son patient se poursuivit.

- Nous allons vous garder ici quelques jours en observation, signor Malberg. Ne vous inquiétez pas pour ces trous de mémoire concernant l'accident. C'est tout à fait normal. Vos souvenirs vont revenir petit à petit.

- Et les fils ? demanda Malberg en jetant un regard noir à l'appareil auquel il était relié.

- L'infirmière va vous enlever ça.

Quand l'infirmière eut quitté la pièce en emportant les écheveaux de fils, Malberg regarda autour de lui. Mis à part le moniteur dont les câbles pendaient comme les tentacules d'une pieuvre, il n'y avait rien à voir.

Des murs blancs, une penderie blanche et une chaise blanche avec ses habits posés dessus. Sur la table de nuit en métal laqué blanc, il aperçut son portefeuille et, à côté, le petit carnet qu'il avait pris dans l'appartement de Marlène. À voir cet objet, il eut un choc. Il se sentit mal.

Il se mit à feuilleter l'agenda. Ses mains tremblaient. L'écriture maladroite de petite fille ne correspondait pas à l'assurance qu'affichait Marlène quand on la voyait. Mais ce qu'il y découvrit l'étonna plus encore : pas de noms, pas d'adresses, rien que des mots incompréhensibles, comme un message codé. Que signifiaient-ils ?

Lætare : Maleachi

Sexagesima : Jona

Remiscere : Sacharja

Ocul : Nahum

Malberg avait eu tort de redouter que son nom pût être consigné dans ce petit carnet. Il ne contenait d'ailleurs aucun nom normal. Perplexe, il reposa l'agenda.

Marlène ! Il revit tout à coup sa tête plongée sous l'eau, et ses longs cheveux qui flottaient tout autour, pareils à des algues. Cette vision resterait à jamais gravée dans sa mémoire.

C'est alors que surgirent les premières questions : dans la panique du moment, avait-il réagi correctement ? N'aurait-il pas mieux fait de prévenir la police ? Quelle raison avait-il de s'enfuir ? N'était-il pas par-là même devenu suspect ? Et la concierge ? Ne l'avait-elle vraiment pas vu ? Si une confrontation devait avoir lieu, le reconnaîtrait-elle ?

Des rafales d'idées et d'hypothèses se bousculaient dans son cerveau confus. Les images se superposaient les unes aux autres, ajoutant à sa perplexité. Et, au milieu de tout cela, Marlène, les yeux écarquillés sous l'eau. Comme elle avait dû souffrir avant que la mort ne vienne la délivrer !

Jamais de sa vie il n'avait encore vu la mort de si près. Lorsqu'il apprenait par le journal ou la télévision la disparition de quelqu'un, il en prenait acte, mais cela ne l'avait encore jamais vraiment touché.

La mort de Marlène, elle, l'affectait au plus profond de lui-même. À présent, il prenait conscience de tous les espoirs qu'il avait placés dans ses retrouvailles avec sa belle camarade de classe.

En proie à une vive agitation, il se leva. Il fallait qu'il sache ce qui était arrivé à son amie. Il ne voulait pas, il ne pouvait pas rester ici plus longtemps. Il était encore trop faible, mais sa décision était prise : demain, il quitterait l'hôpital.

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