9.

De Gaulle ne s'illusionne pas. Il n'est pas homme à se payer de mots.


De Gaulle sait, en ce printemps 1944, que ce n'est pas le Gouvernement Provisoire qu'il préside à Alger qui gouverne la France.

Le pouvoir de fait, ce sont les divisions de la Wehrmacht et des SS, et la Milice de Joseph Darnand qui le détiennent.


Dans l'ombre certes, les Forces Françaises de l'Intérieur (FFI) - groupes francs, francs-tireurs et partisans, maquisards - tissent leur toile et se préparent à soutenir les forces alliées qui débarqueront en déclenchant l'insurrection nationale.

C'est ce mouvement qui embrasserait tout le pays que veut empêcher l'occupant en déportant, en tuant, en brisant les maquis. En serrant la France à la gorge afin qu'elle ne puisse même pas pousser un cri de révolte.


Jamais la répression n'a été aussi féroce.

Le 25 mars, les habitants de la zone côtière méditerranéenne sont chassés par les Allemands et des convois d'évacués partent vers le Massif central.

« Je comprends et je partage leurs soucis, leurs inquiétudes », déclare Pétain qui n'est plus qu'un fantoche de 88 ans qui a capitulé.


Le conseiller diplomatique du Führer présente chaque jour au Maréchal de nouvelles exigences, lui répète que le Feldmarschall von Rundstedt et le ministre Ribbentrop lui demandent d'enregistrer une allocution aux Français afin qu'elle soit radiodiffusée le jour du Débarquement allié.

Pétain refuse d'abord puis, comme à l'habitude, se soumet et accepte de lire ces phrases « allemandes ».

« Français, quiconque parmi vous, fonctionnaire ou simple citoyen, participe aux groupes de résistance compromet l'avenir du pays. »

De la même voix chevrotante, Pétain prononce ces mots qui arrache tous les masques, et montrent qu'il n'est plus qu'une marionnette des nazis :

« Quand la tragédie actuelle aura pris fin et que, grâce à la défense de notre continent par l'Allemagne et aux efforts de l'Europe, notre civilisation sera définitivement à l'abri du danger que fait peser sur elle le bolchevisme, l'heure viendra où la France retrouvera et affirmera sa place. »


Cette collaboration avec l'Allemagne, en 1944, les Français savent ce qu'elle implique.

Au mois de mars, la police parisienne arrête 4 746 personnes, soupçonnées d'appartenir à des réseaux de résistance. Et nombre d'entre elles seront remises aux nazis. La Gestapo arrête de hauts fonctionnaires (13 préfets), déporte les familles des personnalités de la Résistance. Et la Wehrmacht, les divisions SS, les miliciens de Darnand fusillent, pendent après avoir brûlé fermes et villages.

Ils sont des centaines, ces Français qu'on assassine. Ainsi ces habitants du village de Frayssinet-le-Gélat, dans le Lot, dont 10 hommes sont fusillés et 3 femmes pendues.


Cependant, Pétain recevant le secrétaire d'État au Maintien de l'ordre, Darnand, par ailleurs Waffen-SS, chef de cette Milice qui torture et tue, lui déclare sur un ton paternel :

« Vous agissez comme moi avec les mutins de 1917. »


De son côté, Laval, réunissant des chefs de la Milice, exalte leur action :

« Ce que j'aime en vous, c'est la franchise de votre attitude, dit-il. Je marche en plein accord, en accord total avec Darnand... Quelle que soit votre origine, je veux que vous soyez fondus dans une même cellule milicienne. »

Laval s'avance vers les chefs miliciens, bras écartés.

« Je veux avoir conscience quand je tomberai dans l'oubli éternel que je n'ai pas fait de mal à la France et que je l'ai bien servie, déclare-t-il, d'une voix vibrante. Je l'ai servie au maximum, au risque de ma vie. »

Il noue ses mains sur sa poitrine, comme pour une prière : « La France est un grand pays, il faut qu'il reste un beau pays, dit-il. Je voudrais, si cela était possible, totaliser, à moi tout seul, le sacrifice de nous tous pour que vive la France. »



Pendant que Pierre Laval présente sa politique de collaboration, de répression, de trahison comme si elle était une mystique, les miliciens, les mercenaires des Groupes Mobiles de Réserve (GMR), associés à des unités de la Wehrmacht, achèvent les maquisards blessés du plateau des Glières.

Ils encerclent ces 467 hommes depuis la mi-février.

Ils sont près de 20 000, lourdement armés. Les officiers « français » des GMR ont fait mine de conclure un accord avec les maquisards. Ils ne l'ont pas respecté et le chef du maquis, le lieutenant Tom Morel, est abattu traîtreusement par un commandant des GMR.


Au même moment, la Royal Air Force parachute sur le plateau 90 tonnes d'armes avec munitions : de quoi équiper 4 000 hommes !

Parachutage « trop abondant, analyse un chef maquisard... Nous perdons, en refusant d'abandonner cet arsenal, notre liberté d'action et de mouvement, c'est-à-dire la principale force d'une troupe de maquisards, agiles par définition ».

Le 18 mars, le capitaine de chasseurs alpins, Anjot, est désigné par le commandant de l'Armée secrète pour prendre la relève de Tom Morel.

Les Allemands ont engagé près de 15 000 hommes, appuyés par la Luftwaffe. La Milice participe à l'assaut.

Le 26 au soir, Anjot donne l'ordre de « décrochage ». Il sera tué le 27, et avec lui la plupart des officiers.

Après neuf jours de bataille, Allemands et miliciens commencent une impitoyable chasse à l'homme.

Il n'y aura que peu de survivants, mais, comme le dit le chef des maquis de l'Ain, Romans-Petit, « si l'épopée des Glières est une défaite des armes, elle est une victoire des âmes ».

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