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Se battre ?


Dans tous les maquis du sud de la France, de la frontière espagnole à la frontière italienne, on attend le message qui annoncera que les Alliés débarquent entre le Rhône et le Var ou bien sur les côtes plates du Languedoc.

Les Allemands ont concentré leurs 250 000 hommes à l'est d'Avignon, car ils ne croient pas à un débarquement sur les côtes de Provence rocheuses, tourmentées, à l'exception des longues et larges plages de sable du golfe de Saint-Tropez.


Dans la nuit du 14 août, la BBC diffuse une série de messages qui sont inlassablement répétés au milieu de dizaines d'autres :

« Le chasseur est affamé », « Nancy a le torticolis », « Ne bousculez pas l'estropié », « Ne folâtrez pas le matin », « Le xérès est un vin d'Espagne ».

Les résistants, les Délégués Militaires Régionaux (DMR) les décryptent. Ils savent désormais que l'on peut s'attendre à ce que le débarquement ait lieu dans les prochaines heures.


L'opération Dragoon vient de commencer.

Deux mille navires transportant 11 divisions vont débarquer les troupes sur 70 kilomètres de côtes, dans le département du Var, de Cavalaire à l'ouest, à Agay à l'est. Les troupes françaises, commandées par le général de Lattre de Tassigny, représentent 7 divisions.


C'est l'Armée B - qui deviendra la Première Armée Française, équipée de matériel américain.

Elle comporte 2 divisions blindées comptant 5 000 véhicules et 5 divisions d'infanterie qui en utilisent 2 500 !

Dans ces rangs, il y a des Sénégalais, des Marocains, des Algériens, des Tunisiens, des Français d'Afrique du Nord, et des vétérans de la 1re Division Française Libre (1re DFL), commandée par le général Diego Brosset.

Ces hommes-là, volontaires depuis juin 1940, ont gardé l'esprit FFL - Forces Françaises Libres - et ils ne se laissent pas « amalgamer » à d'autres unités.

Mais les dangers partagés, en Italie, puis ce 15 août 1944, vont forger peu à peu cette Première Armée, dont de Lattre peut dire :

« C'est une armée magnifique qui s'est constituée, une armée comme la France en a peu connu, car elle associe la science de ceux qui méritent le titre de Grognards - les vétérans des Forces Françaises Libres, ceux des champs de bataille de Libye, de Tunisie et d'Italie, - l'enthousiasme des volontaires de 1792, c'est-à-dire les FFI qui viendront s'y amalgamer. »


De Lattre de Tassigny est un chef charismatique, courageux. En novembre 1942, il a tenté de résister aux Allemands qui envahissent la « zone non occupée ». Emprisonné, il s'évade de France le 20 décembre 1943. Il atterrit à Alger, et rencontre le général de Gaulle.

Les deux hommes se sont connus en 1939, alors que tous deux faisaient partie de la 5e armée, l'un commandait les chars, l'autre l'état-major. Retrouvailles sobres.

« Vous n'avez pas vieilli, dit de Gaulle.

- Vous avez grandi », répond de Lattre.


En effet, de Gaulle n'est plus seulement un général. Il est le chef du Gouvernement Provisoire de la République française, le symbole de la Résistance, un homme d'État qui sait que Churchill, jusqu'à ces derniers jours, ne voulait pas d'un débarquement en Provence.

Churchill a tenté de convaincre Roosevelt et Eisenhower qu'il faut débarquer sur les côtes de l'Adriatique, dans la zone de Trieste, afin d'empêcher les Russes de « dominer » les Balkans.

Mais Churchill ne dévoile jamais cette arrière-pensée politique. Il avance des arguments militaires.

Eisenhower n'est pas dupe. Il a percé à jour ce que veut cacher Churchill.

« Bien qu'il ne m'eût rien dit de tel, écrit Eisenhower, je sentais qu'en réalité l'inquiétude du Premier ministre était peut-être d'une nature politique plutôt que militaire. Il se peut qu'il ait pensé que, si les Alliés occidentaux se trouvaient en force dans les Balkans, le monde d'après-guerre serait plus stable que si les armées russes étaient les seules à occuper cette région. Je lui déclarai que, si c'était là la raison pour laquelle il défendait la campagne des Balkans, il devrait immédiatement se rendre chez le président et lui exposer clairement les faits, ainsi que ses propres conclusions. Je comprenais bien que la stratégie pouvait subir l'influence de considérations politiques, et, si le président et le Premier ministre décidaient qu'il était profitable de prolonger la guerre, en augmentant ainsi son coût en vies humaines et en argent, afin de s'assurer les objectifs politiques qu'ils estimaient nécessaires, j'adapterais instantanément et loyalement mes plans en conséquence. Mais j'insistai sur le fait qu'aussi longtemps qu'il discuterait cette question pour des raisons militaires, je ne pourrais considérer ses arguments comme valables. »


Cependant, Churchill s'obstine à n'envisager que les questions militaires. Il n'est appuyé que par le général Juin, alors que de Gaulle soutient avec force Eisenhower qui juge nécessaire d'ouvrir « une seconde porte en Europe ».

Les troupes débarquées en Provence remonteront la vallée du Rhône et attaqueront ainsi le flanc de l'armée allemande aux prises déjà avec les forces alliées débarquées en Normandie.

« Comme d'habitude, constate Eisenhower, le Premier ministre poursuit la discussion jusqu'au moment même de l'exécution. »

Et la décision confirmée, il lui apporte tout son soutien. Il embarque à bord d'un contre-torpilleur pour assister au débarquement et au bombardement que les navires de guerre infligent sans discontinuer aux positions allemandes.



Les Allemands sont écrasés, débordés, incapables de faire face à cette « deuxième invasion ».

Ils fuient, ils se rendent.

Toutes les prévisions les plus optimistes sont dépassées : Grenoble est libérée 7 jours après le Jour J, au lieu de l'être à J + 60 ! Toulon à J + 11 au lieu de J + 20 ; Marseille à J + 13 au lieu de J + 40.

Les patriotes de toutes ces villes se sont attaqués aux points de résistance ennemis.

La grève générale insurrectionnelle a été décrétée. Et les combats, le soulèvement national ont les apparences d'une révolution.


Annecy, Aix-les-Bains, Chambéry, Albertville sont libérées dans la dernière semaine d'août.

La France brise les chaînes qui l'étranglent depuis quatre ans.

Partout, les représentants du Gouvernement Provisoire de la République française - les commissaires de la République, ainsi à Marseille Raymond Aubrac, - les préfets s'installent.

L'État républicain dans cette atmosphère insurrectionnelle se met en place sans désordre majeur.

C'est un tour de force, presque un miracle.

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