37.

Hitler, ce 1er septembre 1944, va et vient, bras croisés, buste penché en avant.

Il ne veut pas écouter ses généraux ! Il a parcouru leurs rapports.

Et la colère et le mépris ne le quittent plus.


Ils écrivent que les armées allemandes du front de l'Ouest ont perdu 500 000 hommes, dont la moitié ont été faits prisonniers.

« Il n'y a plus d'armées de terre - ni de chars, de camions et de canons, - encore moins d'aviation », conclut l'un d'eux.

Et ces généraux, qui ne savent pas ce que signifie avoir une « volonté de fer », se demandent comment défendre le sol sacré de la mère patrie !

Ces défaitistes imaginent que la guerre est terminée. Ils le souhaitent !


Le visage et les épaules du Führer sont secoués par des tics, ses mains tremblent.

Hier, 31 août, il a harangué ces pleutres. À quoi cela a-t-il servi ?


Il va donner des ordres à Goebbels pour qu'il organise la mobilisation générale.

Il faut que Himmler, qu'il a nommé chef de l'Armée de l'Intérieur, lève 25 divisions de Volksgrenadiers.

Il suffira d'abaisser l'âge d'appel au service armé de 17 ans à 16 ans et demi et de faire une sélection rigoureuse du personnel indispensable pour recruter près de 700 000 hommes en trois mois !


Mais Himmler, Reichsführer SS, est aussi ministre de l'Intérieur, chef de la police civile, et Hitler ne veut pas confier trop de pouvoir au même homme !

Car il faut même se défier de Himmler.

Ce sera donc le Reichsleiter Martin Bormann qu'il chargera de créer - d'abord sur le front de l'Est - des unités territoriales, encadrées par des membres du Parti nazi. Et cette levée en masse, le Volkssturm, sera la digue contre laquelle viendront se briser les hordes slaves, ces Russes, ces bolcheviks, qui menacent la Prusse-Orientale.


Hitler s'est affalé dans l'un des fauteuils de ce wagon-salon, placé au centre du train qui sert de Grand Quartier Général au Führer. Tout autour du train immobile s'étend une forêt épaisse, dont les arbres sont éclairés par les lumières du train.

Des SS montent la garde tous les cent pas. Leur présence seule rappelle que l'Allemagne peut être envahie dans les jours qui viennent, que la Luftwaffe n'a plus la maîtrise du ciel.

Mais ce train illuminé est comme la preuve que le Führer a une confiance totale dans la victoire. Que la Providence veille sur lui.


Les ultras de la collaboration franco-allemande qui attendent d'être reçus ce 1er septembre 1944 par le Führer le ressentent ainsi.

Il y a là, impatients et intimidés, Déat, Darnand, Brinon. Des SS les ont fouillés minutieusement.

Doriot a refusé de laisser un SS ouvrir sa serviette. Finalement, devant les protestations et la détermination de Doriot, les Allemands cèdent et Ribbentrop reçoit longuement les Français.

Le ministre ne doute pas de la victoire finale du Reich, de la rupture de l'Alliance entre les Anglo-Américains et les communistes russes.


Laval a refusé de répondre à l'invitation de Hitler. Il a adopté la même attitude que le maréchal Pétain.

« Vous avez vous-même, a-t-il écrit à Pétain, renoncé à vos fonctions de chef de l'État, je fais de même comme chef du gouvernement. »

Ce n'est pas une démission, mais une abdication.


Le Führer, auprès de qui les Français sont enfin introduits, regrette l'absence de Laval, et son visage exprime le mépris.

Il félicite Doriot, ce « vrai soldat ». Il veut que les Français qui ont choisi de collaborer avec le Reich ne renoncent pas à l'action politique.

« Certains, dit-il, Laval, Pétain, imaginent peut-être l'Allemagne vaincue ? Messieurs, j'ai déjà eu l'armée anglaise sur le Rhin. Je dispose d'armes secrètes dont les V1 et les V2 ne vous donnent qu'une faible idée. Grâce à ces armes, je reprendrai l'offensive, je rejetterai les Saxons à la mer. »

Le Führer s'est levé, et il fixe longuement chacun de ses interlocuteurs.

« Ce sera terrible, reprend-il, parce que ça se passera sur le corps de votre pays. »

Il baisse la tête.

« Je vous en demande pardon à vous, messieurs, à la France et à Dieu. »


Les Français sont envoûtés.

Rentré à Belfort, Brinon organise une Commission gouvernementale, substitut dérisoire d'un gouvernement fantoche qui n'existe plus, Laval et Pétain ayant renoncé à toute activité politique.

Mais le pouvoir, fût-il la plus médiocre et grotesque des illusions, fascine.

Déat - chargé du Travail, de la Solidarité sociale - jalouse Brinon et Darnand, chef de la Milice, comme Doriot qui se tient à l'écart mais a l'oreille du Führer.


Le 7 septembre, les Allemands ordonnent le départ de Belfort, car on entend déjà le canon des armées alliées.

Pétain, Laval protestent.

« J'ai refusé de quitter la France en 1940, dit le Maréchal, je refuse de me plier à votre exigence. Je suis emmené en captivité en Allemagne. Je prends acte de cette nouvelle contrainte. »

Laval peine à parler. Il se compare à un capitaine de navire qui n'a pas le droit de dire à ses hommes : « Restez pendant que je vais partir. »

Dans l'émotion du départ, Laval oublie à Belfort sa pelisse. Il exige qu'on aille la chercher alors que le convoi est déjà parvenu à Fribourg-en-Brisgau.

Depuis novembre 1942 - au moment du débarquement américain en Afrique du Nord, - Laval a fait coudre dans cette ample et lourde pelisse une ampoule de poison.

On arrive à Sigmaringen, une petite cité des bords du Danube. Elle est dominée par le château des Hohenzollern-Sigmaringen, immense et romantique construction qui surplombe la cité et la contrée.

Les Allemands, malgré les protestations des proches de Pétain, feront hisser sur le château le drapeau français et accorderont à compter du 1er octobre 1944 le privilège de l'extraterritorialité à la citadelle.



Le Maréchal loge au septième étage.

Laval est conduit dans le Wurtemberg, à Wilflingen, où il habite une simple gentilhommière car Hitler ne lui pardonne pas d'avoir refusé de le rencontrer et de s'être retiré de toute activité politique.

Laval se morfond, morose, amer, déprimé.

Il pleure lorsqu'on lui annonce que sa fille et son gendre, le comte de Chambrun, ont été arrêtés. Il marmonne : « J'ai manqué ma vie. J'aurais dû élever des cochons. J'aurais gagné autant d'argent. »

« Pétain n'existe pas, ajoute-t-il, c'est moi qui ai créé le Pétain politique. »


À Sigmaringen, les Français - quelques milliers de miliciens avec leurs familles - suscitent l'hostilité d'une population qui n'a pas subi la guerre, mais dont les proches, mobilisés, la font encore ou ont déjà été tués.

Ces « Français », que veulent-ils ?

Ils choquent par leur comportement. C'est la lie d'une fausse armée qui est tout au plus une « bande » de spadassins.

Mais Darnand plastronne. Il a été reçu par le Führer, félicité pour le sacrifice des miliciens « morts pour une grande cause ».


Himmler, qui a besoin de combattants et de main-d'œuvre, exige de Darnand que 2 000 miliciens soient enrôlés dans la brigade Charlemagne qui combat sur le front russe. Deux mille autres travailleront dans les usines du Reich.

Darnand accepte l'ultimatum de Himmler alors que de nombreux miliciens voudraient se dérober à cet enrôlement forcé.

Darnand, en uniforme de commandant de la Waffen-SS, les passera en revue.

« Faites votre devoir ! »


Au « sommet », les « chefs » se disputent les apparences d'un pouvoir qui n'existe pas.


Jean Luchaire, homme politique et journaliste, rallié à la collaboration, a créé une radio, Ici la France, qui émet chaque jour de 19 h 30 à 21 heures.

Jacques Doriot a aussi « sa » radio : Radio-Patrie - que relaie Radio Stuttgart - diffuse des messages à des agents qui sont parachutés en France.

Doriot - fasciné par la réussite du gaullisme - crée même un Comité de Libération française.

Radio-Patrie serait l'équivalent de la radio de la France Libre, et Doriot l'anti-de Gaulle, menant le combat de la « vraie Résistance » depuis l'Allemagne !


« Je vous sais un soldat courageux, lui dit Hitler qui le reçoit à plusieurs reprises dans cet automne 1944. Vous êtes aussi, je pense, un homme politique véritablement révolutionnaire. Je veux croire en votre réussite. »

Le Führer se tourne vers Himmler.

« Vous donnerez à M. Doriot les pouvoirs et les moyens matériels qui lui sont nécessaires pour mener à bien sa tâche. »

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