Prologue

« Malgré toutes les actions diaboliques de nos adversaires, cette lutte se terminera en fin de compte par la plus grande victoire du Reich allemand. »

Discours du FÜHRER

pour célébrer le onzième anniversaire

de sa prise du pouvoir,

30 janvier 1944


Ce 1er janvier 1944, de Gaulle, d'une voix forte, répond aux vœux que vient de lui adresser le doyen du corps diplomatique présent à Alger auprès du Comité Français de Libération Nationale (CFLN), véritable Gouvernement Provisoire de la France Combattante.


De Gaulle paraît plus assuré que jamais, brandissant souvent les poings, bras repliés, corps altier.

Il a reçu la veille - dernier jour de cette année terrible que fut 1943 - une invitation à dîner de Winston Churchill qui est en convalescence à Marrakech.

Les temps changent.


Il y a juste six mois, le Premier ministre anglais adressait aux rédacteurs en chef des journaux britanniques une circulaire secrète dont de Gaulle avait eu connaissance.

Churchill écrivait :

« De Gaulle doit tout à l'aide britannique et au soutien britannique, mais ne peut être considéré comme un ami loyal de notre pays. Il a semé un courant d'anglophobie partout où il s'est rendu... Il a un penchant manifeste pour le fascisme et la dictature ! »

Ces accusations, ces critiques, Churchill, répétant les propos de Roosevelt, les a maintes fois reprises, s'interrogeant : « De Gaulle, un grand homme ? Il est arrogant, il est égoïste, il se prend pour le centre de l'univers. »


Mais ce 31 décembre 1943, Churchill invite le général à Marrakech.

« Nous aurions ainsi l'occasion d'avoir des entretiens dont le besoin se fait sentir depuis si longtemps. Ma femme est avec moi et si Mme de Gaulle voulait bien accepter de vous accompagner, nous en serions tous les deux ravis. »


De Gaulle regarde les diplomates qui se pressent autour de lui dans le grand salon de la présidence du CFLN.

Le bruit de l'invitation de Churchill doit déjà résonner dans tout Alger.

« L'année 1944, dit de Gaulle, cette année qui commence, trouve la plus grande partie du monde encore engagée dans les épreuves d'une guerre sans exemple, elle semble cependant apporter aux peuples une espérance de paix. »


Il s'interrompt.

Il a appris il y a quelques jours que des dignitaires nazis aussi proches de Hitler que Goebbels, Himmler, Goering, envisagent une paix de compromis avec Churchill ou même Staline.

Que des généraux - et même des maréchaux - de la Wehrmacht ont un objectif identique, persuadés qu'un renversement d'alliances peut se produire, si Hitler est écarté, tué.

Une coalition « occidentale » pourrait alors se constituer face à la menace bolchevique.

Et peut-être à Londres ou à Washington certains pensent de même.


Mais c'est le devoir - et l'intérêt - de la France d'empêcher ce « retournement ».


De Gaulle reprend la parole, évoque « la cruauté du conflit qui ravage la terre ». Puis, haussant le ton, martelant chaque mot, il dit qu'il faut supprimer les causes de ce conflit.

« C'est-à-dire en premier lieu les ambitions sans frein et les abus abominables de la force, imputables à ceux qui en Europe et en Asie en ont fait les règles de leurs actes, parce qu'ils sont les vices de leur nature. »

Telle est la position de la France : reddition inconditionnelle du IIIe Reich et de l'empire du Soleil Levant, ce Japon militarisé et conquérant.

« Dieu veuille que l'année 1944 apporte à l'univers le terme de ses souffrances par le triomphe de la justice ! »


Les Allemands souffrent.

Leurs villes brûlent, bombardées jour et nuit par les escadrilles de la Royal Air Force et de l'US Air Force.

Mille cinq cents tonnes de bombes larguées par mille avions de la RAF tombent en un seul jour du mois de janvier 1944 sur Berlin.

Le ciel et le sol semblent ne plus être qu'un seul et immense brasier dans lequel s'enflamment et se consument en quelques secondes des milliers de corps et, parmi eux, tant de corps d'enfants. Ces incendies, ces destructions, cette tuerie de civils sont les emblèmes noir et rouge de ce mois de janvier 1944.


Et d'autres Allemands, juifs, débarquent des wagons à bestiaux à Auschwitz.

Ces déportés arrivent du ghetto-camp de concentration de Theresienstadt. Ils passent en longues files apeurées, stupéfaites, devant un SS, et parfois le docteur Mengele - médecin du camp qui recherche des cobayes pour ses expériences criminelles et folles - participe à la sélection des détenus.

La « secrétaire » des SS, une détenue d'une vingtaine d'années, murmure à une fillette de 13 ans, Ruth, qui piétine dans la file : « Dis que tu as 15 ans. »

Au SS qui la questionne :

« Toi ! Quel âge as-tu ? »

Elle répond :

« J'ai 15 ans. »

Le SS hésite.

« Elle est encore bien petite », dit-il.

Il est le maître de la vie et de la mort.

L'une des files de déportés conduit aux chambres à gaz, l'autre vers le camp de travail.

La secrétaire du SS examine la fillette.

« Mais elle est solidement bâtie, dit-elle. Elle a des jambes musclées, elle peut travailler, regardez ça ! »

C'est un marché aux esclaves, une foire où l'on évalue la qualité du bétail.

Le SS cède et la secrétaire relève le numéro de Ruth.

« Je viens d'obtenir un sursis », murmure Ruth.


Pour des centaines de milliers d'autres - plusieurs millions - il n'y a pas de sursis.

L'écrivain journaliste Vassili Grossman recueille les témoignages de quelques-uns des survivants de la communauté juive de Berditchev, sa ville natale.

Sa main tremble quand il évoque les Ukrainiens qui ont été complices des soldats allemands. Ils se sont partagé les biens de ceux qu'on allait exterminer. Ils ont dénoncé, ils ont livré leurs voisins aux tueurs nazis.


Il y a les Juifs que les soldats forcent à sauter dans d'énormes fosses pleines d'un produit à tanner, très corrosif.

Les Allemands qui prennent part à cette « exécution » la considèrent comme un « divertissement ». Ils tannent de la peau juive !

D'autres obligent les vieux à se couvrir de leur tallith - châle de prière - et à célébrer le service religieux dans la vieille synagogue, en priant Dieu de pardonner les fautes commises contre les Allemands.

Puis les soldats ferment les portes de la synagogue et mettent le feu à l'édifice.

C'est aussi un massacre « divertissant ».

Et l'est aussi celui qui consiste à ordonner aux femmes juives de se dévêtir, de traverser une large rivière, et à les contraindre de nager en leur promettant la vie sauve. Puis les soldats les forcent à aller d'une rive à l'autre jusqu'à ce qu'elles meurent noyées d'épuisement.

Divertissant !

Comme l'est l'exigence d'un officier allemand qui veut que le vieux boucher rituel montre comment « le Juif travaille ». On lui tend son coutelas et on pousse devant lui les trois petits enfants de la voisine.


Telle est la réalité de la guerre voulue et conduite par Hitler.


Le Führer, ce 1er janvier 1944, lance un appel au peuple allemand.

Il pourrait reprendre mot à mot le discours qu'il avait prononcé le 1er septembre 1939, le jour de l'agression contre la Pologne allumant ainsi l'incendie de la Deuxième Guerre mondiale.

« Je n'exige d'aucun homme allemand autre chose que ce que j'ai été prêt à faire moi-même de 1914 à 1918, disait-il. Dès maintenant je ne veux plus être autre chose que le premier soldat du Reich allemand. J'ai ainsi repris la tenue qui m'était la plus chère et la plus sacrée. Je ne la quitterai qu'après la victoire ou bien je ne verrai pas cette fin. »

Il a donc dit en 1939 qu'il ne pourra ni affronter ni accepter une défaite.

En janvier 1944, il a la même détermination.

« Je dis en confiance au peuple allemand : où que les Alliés débarquent, ils recevront l'accueil qu'ils méritent !

« L'année 1944 imposera aux Allemands de durs et pénibles efforts. Pendant cette année, cette gigantesque guerre approchera de son moment critique. Nous avons pleine confiance de le surmonter victorieusement. »

La voix du Führer est sourde, voilée, mais ferme. Il conclut : « La Providence donnera la victoire à celui qui en sera le plus digne. »


La victoire de l'Allemagne, Pierre Laval, le chef du gouvernement « français », l'a souhaitée, le 22 juin 1942, et cette déclaration lui colle à la peau comme un signe d'infamie.

Il a misé sur le Führer, et c'est sa vie qui est en jeu.

Le 2 janvier 1944, il réunit 120 présidents de Chambres de métiers. Il a le visage couleur de cendre. Il parle avec une lassitude tranquille, une nonchalance que démentent ce regard mort, ces cernes noirs sous les yeux, cette façon qu'il a de mordiller sa moustache en parlant.

« Je vous dis avec cette tranquillité que j'ai toujours quand j'exprime six mois trop tôt une vérité que les Français acceptent facilement six mois plus tard, que l'armée allemande ne sera pas battue. »

Il n'a pas osé redire : « Je souhaite la victoire de l'Allemagne. »


Laval change de ton, le 5 janvier, quand il s'adresse aux chefs régionaux et départementaux de la Milice dont le Waffen-SS Joseph Darnand est le chef.

Darnand est assis au premier rang, bras croisés. Il fait partie depuis le 31 décembre 1943 du gouvernement Laval avec les fonctions de Secrétaire général au Maintien de l'ordre.

« La démocratie, commence Laval, c'est l'antichambre du bolchevisme... En 1940, il n'y avait pas d'autre politique à faire que celle qu'a faite le Maréchal, conseillé passionnément par moi... »

Laval tend le bras vers Darnand.

« Je marche en plein accord, dit-il, en total accord avec Darnand. »

Darnand, dans son uniforme noir, se pavane.


Il est le « grand exécuteur du terrorisme d'État » que Pierre Laval met en place pour tenter de briser l'élan de la Résistance.

Darnand est autorisé à créer, en ce mois de janvier 1944, des cours martiales composées de trois membres, habilitées à prononcer des condamnations à mort, immédiatement exécutées.

Laval convoque les intendants de police et leur intime l'ordre d'« obéir en tout à Darnand qui a sa pleine confiance ».

La Milice combat le « terrorisme judéo-bolchevique », elle juge, fusille, opère sur tout le territoire français.

Les miliciens bénéficient de l'impunité.

Bras armé de Laval, ils sont les assassins en uniforme, couverts par leur chef Darnand, secrétaire général, membre du gouvernement et Waffen-SS.


Ils tuent.

Le 10 janvier 1944, des miliciens venus de Lyon, dirigés par leur chef régional - Joseph Lécussan, - accompagnés de policiers allemands, se présentent au domicile « clandestin » de l'ancien président de la Ligue des Droits de l'Homme, Victor Basch, âgé de 80 ans. Les Allemands le jugeant trop vieux pour être arrêté, les miliciens l'abattent ainsi que sa femme âgée de 79 ans !

Lécussan revendique ce double assassinat et le justifie, révélant les obsessions des « ultras » collaborateurs, et la haine qui les habite.

« Pourquoi ai-je tué Victor Basch ?

« Cet échappé des ghettos de l'Europe centrale était l'une des puissances occultes qui donnaient des ordres au gouvernement français. Il symbolisait la mafia judéo-maçonnique ayant asservi la France. Il fut le créateur du Front Populaire qui devait conduire le pays à la catastrophe.

« Professeur à la Sorbonne, il pourrissait la jeunesse française. Prototype du Juif étranger venu faire de la politique en France, en se poussant dans la franc-maçonnerie, Victor Basch ne méritait pas de vivre en paix alors que tant d'innocents étaient morts par sa faute... »


Le corps de Victor Basch et de sa femme, tués de plusieurs coups de feu, sont découverts le lendemain matin, au bord d'une petite route de campagne.

Et presque chaque jour désormais, la Milice de Darnand et de Laval assassine.

Ils veulent, appuyés par les polices allemandes - la Gestapo, les SS, - exterminer les « terroristes ».

Cette logique de guerre civile qu'ils déploient, ils savent que c'est leur dernier sursaut : puisque nous allons mourir, tuons ceux qui vont vaincre !


Face à eux, il faut que la Résistance se renforce, obtienne des armes, juge les collaborateurs, se prépare à conduire, après le Débarquement et la Libération, une rigoureuse politique d'épuration.


De Gaulle veut en convaincre Churchill qu'il rencontre à Marrakech où le Premier ministre anglais, en convalescence, l'a invité.

C'est le 12 janvier 1944.

Il fait beau ce jour-là.

Churchill est joufflu, rose, potelé. De Gaulle se souvient que souvent les proches du Premier ministre parlent de lui avec tendresse comme d'un « vieux bébé ».

Churchill porte un chapeau texan. Il semble hésiter entre la mauvaise et la bonne humeur.

De Gaulle choisit de parler anglais. Il entend Churchill au moment où, après le déjeuner, on passe au jardin, dire à Duff Cooper :

« Maintenant que le général parle si bien l'anglais, il comprend parfaitement mon français. »


De Gaulle l'écoute calmement.

Le rapport de force entre eux n'est plus le même. La France Combattante existe pour des dizaines de pays.

De Gaulle peut laisser Churchill récriminer, conseiller :

« Il est déraisonnable de s'aliéner les sympathies du président Roosevelt. »

Churchill regrette que le Comité français d'Alger ait décidé de faire arrêter Boisson, Peyrouton, Flandin, et qu'un tribunal militaire s'apprête à juger Pucheu, ces gouverneurs ou anciens ministres de Pétain et Laval.

« Le peuple veut châtier les artisans de la capitulation, explique de Gaulle. Et si l'on veut éviter des troubles d'un caractère révolutionnaire, il ne faut pas donner à l'opinion publique le sentiment d'une impunité possible pour les coupables. »


Il a parlé avec détachement.

Il ne se sent plus agressé par les propos de Churchill. Il le regarde même avec une sorte de tendresse, Churchill paraît d'ailleurs ému. Il évoque le passé. Il dit :

« Dès notre première rencontre à Tours, en juin 1940, je vous ai reconnu comme "l'homme du destin". »

Parfois, Churchill dodeline de la tête.

« Il faut que l'amitié entre les deux peuples survive à cette guerre et se prolonge dans l'après-guerre. »

De Gaulle approuve. Les gestes de Churchill lui paraissent comme empruntés, sa voix un peu pâteuse. La fatigue sans doute, à moins que ce ne soit le déclin ? Déjà ?!

C'est le moment du départ.

« Aimeriez-vous passer les troupes françaises en revue ? demande de Gaulle.

- J'aimerais. Je ne l'ai pas fait depuis 1939, répond Churchill.

- Eh bien, nous passerons ensemble les troupes en revue ! »

La foule de Marrakech crie : « Vive de Gaulle ! Vive Churchill ! » pendant que défilent les unités françaises. Les contingents sénégalais, marocains, algériens forment avec leurs chéchias, leurs turbans, leurs boubous, des groupes colorés.

De Gaulle répond d'un geste aux acclamations.

Churchill est en uniforme d'Air Marshal de la Royal Air Force.



Qui dans cette foule peut imaginer l'envers du décor ?

Ces oppositions brutales, ces pièges, ces questions encore pendantes qui séparent les deux hommes ?

Car Churchill s'est dérobé à propos de l'avenir des territoires français qui seront libérés. Il a plaidé contre l'épuration. Il ne s'est guère engagé sur la fourniture d'armes aux maquis.


Le lendemain 13 janvier 1944, c'est le commissaire à l'Intérieur - équivalent de ministre - du Comité Français de Libération Nationale (CFLN), Emmanuel d'Astier de La Vigerie, qui rencontre Churchill et reçoit ses confidences.

« C'est un grand animal, un grand personnage, votre de Gaulle, dit Churchill. Je l'ai toujours soutenu. Mais comment peut-on s'entendre ? Il déteste l'Angleterre. »

Quand de Gaulle et d'Astier évoquent l'épuration qui frapperait des personnalités vichystes, qui ont aidé les Américains lors du débarquement en Afrique du Nord, Churchill s'exclame :

« Eh bien, si vous le faites, Roosevelt rompra les relations avec vous, et je le suivrai. »

Il lance à de Gaulle d'une voix rageuse :

« Regardez-moi ! Je suis le chef d'une nation forte et invaincue. Et pourtant, tous les matins, au réveil, je commence par me demander comment plaire au président Roosevelt et ensuite me concilier le maréchal Staline. »


Churchill est un réaliste qui sait que, dans cette guerre, les États-Unis et l'URSS sont les deux Grands dont dépendent l'issue du conflit et l'avenir du monde.

Mais le Premier ministre britannique est aussi un passionné qui noue avec Roosevelt et Staline des relations affectives.


« Je suis le loyal second du président Roosevelt, dit-il. Si quelque chose arrivait à cet homme, je ne pourrais le supporter. C'est le plus fidèle des amis ; c'est le plus clairvoyant, c'est le plus grand homme que j'aie jamais connu. » Il est blessé quand Roosevelt établit une relation privilégiée avec Staline, tenant Churchill à l'écart.

« Cela ne lui ressemble pas », murmure le Britannique.

Or il doit constater que Roosevelt veut en finir avec les empires coloniaux, anglais et français, et qu'il l'a dit à Staline. Et Churchill, patriote anglais, est déçu à la mesure de son « affection » pour Roosevelt.

« Le seul fait d'entendre le président crier joyeusement "hello", c'est comme boire une bouteille de champagne », dit-il.

Mais Roosevelt, sans se soucier des intérêts de l'Angleterre et de son ami Churchill, confie à Staline qu'il veut que l'Inde se débarrasse de la tutelle britannique et devienne une grande nation indépendante.

Et ce, au moment même où des nationalistes indiens - Subhas Bose - réclament l'indépendance immédiate de l'Inde, créent, à la fin de l'année 1943, un Gouvernement Provisoire de l'Inde, qui siège à Singapour, sous la tutelle japonaise !


Or les troupes britanniques sont aux côtés des divisions américaines en Birmanie, aux Philippines - dont les Japonais viennent de proclamer l'indépendance.

Et Churchill admire ces Marines américains qui débarquent sous le feu japonais, reprenant une île après l'autre, se rendant maîtres après d'âpres combats des îles Gilbert, Makin et Tarawa.


Churchill, à chaque victoire américaine, félicite Roosevelt, mesure combien les Américains maîtrisent l'art du débarquement, coordonnant l'action de l'aviation embarquée sur les porte-avions et les bombardements par les canons lourds des cuirassés, puis jetant leurs Marines sur les plages ou parachutant des hommes sur les arrières de l'ennemi. Tout cela les prépare à la grande opération Overlord sur les côtes françaises. Et Churchill rencontre souvent le général Eisenhower qui a installé son quartier général en Angleterre.

Churchill se rassure : il est dans le secret des Américains, il imagine peser sur leurs choix.

« J'ai noué avec Roosevelt des relations personnelles étroites, dit-il. Avec lui, je procède par suggestions, afin de diriger les choses dans le sens voulu. »


Mais il faut laisser de Gaulle en dehors des secrets concernant le D-Day, ce « Jour J » dont, en ce mois de janvier 1944, on commence à élaborer les plans détaillés. Certains sont des leurres, conçus pour tromper les Allemands et... de Gaulle.

« N'oubliez pas que cet individu n'a pas pour deux sous de magnanimité, répète Churchill, et que dans cette opération il cherche uniquement à se faire passer pour le sauveur de la France, sans avoir un seul soldat français derrière lui. »

Churchill aime le trait vengeur, même s'il est aussi faux qu'une injuste caricature.


Staline, lui, a des millions de soldats derrière lui, et Churchill ne l'oublie pas.

Il a, pense-t-il, percé à jour le tyran.

Il sait que ce sont les Russes qui ont massacré à Katyn, en 1940-1941, des milliers d'officiers polonais, et non les Allemands.

« Staline, dit-il, est un homme anormal, qui a la chance de pouvoir faire fusiller tous ceux qui sont en désaccord avec lui, et il a déjà utilisé beaucoup de munitions à cet effet. »

Mais les soldats de l'armée Rouge sont sur le Dniepr, ils vont pénétrer en Pologne et dominer les Balkans et l'Europe centrale.

« Tout cela ne manque pas de m'influencer », avoue Churchill à son ministre des Affaires étrangères, Anthony Eden.

« Tout pourrait s'arranger, si je parvenais à gagner l'amitié de Staline, ajoute Churchill. Après tout, le président - Roosevelt - est stupide de penser qu'il est le seul à pouvoir traiter avec Staline. J'ai découvert que je peux parler avec Staline d'homme à homme, et, j'en suis sûr, qu'il se montrera raisonnable. »


Mais en ce mois de janvier 1944, les illusions s'effritent. La Pravda affirme en page une de ce quotidien « officiel » que des entretiens pour une paix séparée se sont déroulés dans une ville de la côte ibérique, entre Ribbentrop et des personnalités anglaises.

Quelques jours plus tard, la Pravda publie des déclarations de soldats allemands faits prisonniers par les Russes et qui assurent qu'ils ont été capturés en Afrique du Nord par des Britanniques et relâchés en échange de prisonniers anglais, à la condition qu'ils ne combattraient plus contre l'Angleterre mais qu'ils seraient libres de reprendre la lutte contre... les Russes.

Et la presse russe critique presque chaque jour les lenteurs mises à l'ouverture du second front.

« Quel dommage que Staline se révèle être un tel salaud ! » dira Churchill.


Churchill est d'autant plus blessé que, depuis les années 1935-1940, il est l'adversaire déterminé de Hitler. Il veut le vaincre :

« J'entends par là l'anéantir, le pulvériser, le réduire en cendres, lui et ses pouvoirs maléfiques. »

Entre les deux hommes, c'est un affrontement où chacun défie l'autre, et veut le terrasser.


Ainsi Churchill, le 2 janvier 1944, dans un télégramme aux chefs d'état-major, exige que l'on proscrive du vocabulaire les expressions du genre « invasion de l'Europe », « assaut contre la forteresse Europe ».

« Notre but est de libérer l'Europe et non de l'envahir. »

Et Churchill conclut :

« Inutile de faire cadeau à Hitler de l'idée qu'il puisse être le défenseur d'une Europe que nous chercherions à envahir. »


Hitler répond à Churchill en célébrant le onzième anniversaire de la prise du pouvoir par le national-socialisme.

Le Führer s'exprime sur un ton résolu, mais monocorde.

« Dans cette lutte, il ne peut y avoir qu'un seul vainqueur : ou bien l'Allemagne, ou bien l'URSS, dit-il.

« La sauvegarde de l'Europe est une question qui ne peut être tranchée que par le peuple allemand national-socialiste, par son armée, et par les États qui lui sont alliés.

« Malgré toutes les actions diaboliques de nos adversaires, cette lutte se terminera en fin de compte par la plus grande victoire du Reich allemand. »


C'est dit le 30 janvier 1944.

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