23.

La mort, en ces jours de la mi-juillet 1944, hésite à choisir ses proies.


Frappera-t-elle le Führer ?

Ou bien emportera-t-elle ces officiers de la Wehrmacht, généraux, maréchaux qui, depuis des mois, pensent à tuer le Führer et, s'ils le peuvent, Goebbels, Himmler, Goering ?


À la mi-juillet 1944, face à la défaite du Reich qui s'annonce, les conjurés hésitent. Le peuple allemand, s'ils agissent, ne risque-t-il pas de les accuser d'avoir provoqué la défaite du Reich ?

Le général Henning von Tresckow, chef d'état-major de la IIe armée, qui sur le front de l'Est subit l'offensive russe et se désagrège, déclare au colonel von Stauffenberg, le plus déterminé des conjurés :

« Il faut tenter à tout prix l'assassinat du Führer. Même s'il échoue, il faut essayer de s'emparer du pouvoir à Berlin. Nous devons montrer au monde et aux générations futures que les hommes de la Résistance allemande ont osé franchir le pas décisif et risquer leur vie. À côté de cet objectif, rien d'autre ne compte. »

Il faut tuer Hitler et, profitant du désarroi, arrêter les SS et les membres du SD, le Service de Renseignements et de Police SS.

Ce sera l'opération Walkyrie, qui sera conduite par les officiers de la Wehrmacht, à Berlin, et dans toute l'Europe occupée.


Mais le Feldmarschall Rommel, décidé à agir, est grièvement blessé. La mort ne le saisit pas, mais il est affaibli, retiré chez lui à Herrlingen, près de la ville d'Ulm.

« Le coup qui frappe Rommel sur la route normande de Livarot, le 17 juillet, note Ernst Jünger - l'écrivain qui s'est joint au complot à Paris, - prive notre projet du seul homme assez fort pour faire face simultanément à la guerre et à la guerre civile. »


Les conjurés découvrent aussi que la Gestapo est sur leurs traces. Les civils qui, dans la conjuration des officiers, représentent les milieux « socialistes » ont voulu prendre contact avec les résistants communistes. Ils sont désormais livrés par un mouchard de la Gestapo qui a infiltré les milieux communistes. Ces derniers sont en fait un réseau d'espionnage soviétique. Cette « Rote Kapelle » a déjà été démantelée en 1942.

Le Führer a ordonné qu'on pende les « traîtres ».

Il n'y a pas de gibet à Berlin où le mode d'exécution traditionnel est la décapitation à la hache.

Le Führer s'obstine pour montrer qu'une mort cruelle attend ceux qui osent le défier. On les pend à l'aide d'une corde attachée à un crochet de boucherie provenant d'un abattoir.


Il faut donc agir vite car la Gestapo s'approche du nœud central de la conjuration.

Le colonel von Stauffenberg, chef d'état-major du général Fromm, commandant en chef de l'Armée de l'Intérieur, est le seul membre du complot à pouvoir franchir les barrages qui interdisent l'accès aux quartiers généraux du Führer.

Il est donc l'homme clé de la conspiration. Il dispose de « bombes anglaises », fabriquées par l'Abwehr.

Le 11 juillet, il est au Grand Quartier Général de l'Obersalzberg. Il hésite à agir car il voudrait abattre en même temps Goering et Himmler.


Le 15 juillet, convoqué au second Grand Quartier Général du Führer, la Wolfsschanze - la Tanière du Loup - à Rastenburg, il ne peut agir, Hitler ayant quitté la salle de conférences.

Situation d'autant plus périlleuse qu'à Berlin, le général Olbricht, l'un des conjurés - avec le général Beck, - a déclenché l'opération Walkyrie, et des troupes sûres avancent vers le centre de Berlin afin d'occuper le quartier de la Wilhelmstrasse.

Il faut arrêter leur mouvement et les faire rentrer dans leurs casernements.


Mais le 19 juillet, le colonel comte Klaus von Stauffenberg est convoqué pour le lendemain à Rastenburg, à 13 heures.

Il en avise le général Beck, et le vieux maréchal von Witzleben.

Stauffenberg rentre chez lui à Wannsee. En chemin, il s'arrête dans une église pour prier.

Peut-être s'est-il déjà confié à l'évêque de Berlin, le cardinal comte de Preysing, qui se serait montré « compréhensif », mais l'aurait dissuadé d'agir.


À Rastenburg, le 20 juillet 1944, Stauffenberg, qui a franchi les trois barrages gardés par des SS, entre dans la salle de conférences, située dans la lagebaracke, un bâtiment bétonné.

Il pose sa serviette contenant la bombe contre le pied de la table, après avoir amorcé le détonateur, puis il quitte la salle.

À 12 h 42, la bombe explose.

Le bâtiment est ravagé comme s'il était frappé de plein fouet par un obus. Des corps jaillissent des fenêtres, des débris volent.

Stauffenberg ne doute pas que tous ceux qui se trouvent dans la salle sont morts ou mourants.

Le général Fellgiebel, chargé au Grand Quartier Général des communications, doit avertir les conjurés de Berlin d'agir en mettant en œuvre l'opération Walkyrie.

Quant à Stauffenberg, après avoir réussi à franchir les trois barrages, il décolle pour Berlin à 13 heures.


Mais la mort n'a pas voulu du Führer.

Un officier avait déplacé la serviette de Stauffenberg, l'éloignant de Hitler.

Le Führer est commotionné.

Il chancelle, mais ses blessures ne sont pas graves. Il souffre d'une lésion aux tympans, son bras droit meurtri est paralysé. Une poutre a lacéré son dos. Ses cheveux sont roussis, ses jambes brûlées. La plupart de ceux qui se tenaient près de lui sont morts ou grièvement blessés.

Himmler, alerté, arrive à Rastenburg avec une équipe d'enquêteurs, et après des heures de recherche d'indices s'étonne du comportement de ce colonel von Stauffenberg, qui, entré dans la salle de conférences, puis, l'ayant quittée quelques minutes avant l'explosion, s'est envolé pour Berlin.

On imagine qu'il a agi seul, et ordre est donné de l'arrêter. Personne ne soupçonne qu'il est la clé de voûte d'une conjuration qui entraîne des dizaines d'officiers supérieurs.

On ne sait pas encore que les SS sont partout arrêtés par des soldats de la Wehrmacht.


Hitler lance quelques ordres, puis se rend à la gare de Goerlitz pour accueillir Mussolini dont la visite est prévue depuis plusieurs semaines.

Sur les quais, sur les voies, des SS, encore des SS. Hitler est là, dans son manteau de cuir noir, le bras droit agité d'un tremblement nerveux.

Hitler s'avance :

« Duce, dit-il, il y a un instant une machine infernale a été lancée contre moi. »


Suivis par Himmler, Bormann, Ribbentrop, entourés d'officiers SS, le Führer et le Duce se rendent sur les débris encore fumants de la lagebaracke.



Le Führer tend son bras gauche, montre les socles sur lesquels reposait le plateau de la grande table.

« J'étais debout ici, près de cette table, dit Hitler. La charge a explosé juste devant mes pieds... Il est évident que rien ne peut m'arriver, mon destin est de poursuivre mon chemin et d'achever ma tâche. Ce qui s'est passé ici aujourd'hui est un signe du destin ! Ayant maintenant échappé à la mort, je suis plus que jamais convaincu que la grande cause que je sers l'emportera malgré tous les périls actuels et que tout se terminera bien ! »

Mussolini, amaigri, pâle, les yeux mobiles révélant son anxiété, son effroi, approuve Hitler et, au fur et à mesure que le Führer parle, le Duce se redresse, sa voix s'affermit.

« Nous nous trouvons dans une situation dramatique, dit-il, on pourrait presque dire désespérée, mais ce qui est arrivé ici aujourd'hui me donne un nouveau courage ! Après ce miracle, il est impensable que notre cause puisse connaître l'échec... »


Il est 17 heures, ce 20 juillet 1944.


Les communications rétablies avec Berlin permettent aux dirigeants nazis rassemblés autour de Hitler - qui reste silencieux, assis aux côtés de Mussolini, tous deux buvant du thé - de découvrir que Stauffenberg est à la tête d'un complot de grande ampleur.

L'amiral Doenitz, Ribbentrop, Goering s'accusent d'incapacité. Le général Keitel se tait. Himmler est déjà reparti pour Berlin, pour reprendre la situation en main.

« Sale petit trafiquant de champagne, lance Goering à Ribbentrop qui vient de souligner l'impuissance de la Luftwaffe.

- Je suis encore ministre des Affaires étrangères, et mon nom est von Ribbentrop », crie Ribbentrop.

Hitler hurle tout à coup qu'il donne l'ordre aux SS de tuer le moindre suspect, quel que soit son grade.

Il brandit son poing gauche. Il poursuivra, il traquera les traîtres, dit-il.

« Je ferai mettre leurs femmes et leurs enfants dans des camps de concentration. Je serai impitoyable. »

Épuisé, le Führer s'interrompt et indique d'un geste qu'il va reconduire Mussolini à son train.


Pendant le trajet, il parle d'une voix sourde des armes secrètes qui vont changer la situation militaire. Il accorde au Duce le retour en Italie des deux divisions italiennes qui achèvent leur entraînement.

« Je sais, dit-il au Duce en lui prenant le bras, que je peux compter sur vous et je vous prie de me croire quand je dis que je vous considère comme mon meilleur ami et peut-être l'unique au monde. »

Quand Mussolini monte dans le train, Hitler s'approche de l'ambassadeur du Reich auprès du Duce, Rahn :

« Soyez très prudent », lui dit-il à voix basse.

Il ne veut faire confiance à personne, même pas à ce « meilleur ami », le Duce.

Surtout alors que les troupes alliées - dont les divisions françaises - entrent à Sienne, à Arezzo, à Livourne, à Pise et que s'engage la bataille pour Florence.

Quant à Mussolini, il murmure à ses proches, ne cachant pas sa satisfaction :

« Le Führer aussi a ses traîtres. »


Mais la mort s'approche des « traîtres ».

Keitel a réussi à joindre au téléphone le général Fromm, et lui annonce que le Führer est vivant.

À 18 h 30, un bref communiqué transmis par l'émetteur radio le plus puissant d'Allemagne, entendu dans toute l'Europe, confirme que le Führer vient d'échapper à un attentat, qu'il est vivant, et qu'il va s'adresser dans les prochaines heures au pays.

« Comte Stauffenberg, dit le général Fromm à son chef d'état-major, l'attentat a échoué, vous n'avez plus qu'à vous tuer. »


Déjà les officiers de la Wehrmacht, les généraux acquis au complot, s'apprêtent à changer de camp.

À 20 h 20, Keitel adresse à tous les commandants en chef un message en provenance du Grand Quartier Général du Führer annonçant que Himmler a été nommé commandant en chef de l'armée de l'Intérieur.

Les SS, dont Otto Skorzeny a pris le commandement, interviennent, s'assurent de la loyauté des officiers de la Wehrmacht.

Le général Fromm, pour faire oublier qu'il a toléré dans un premier temps la mise en œuvre du complot, fait exécuter dans la cour, à la lumière des phares obscurcis d'un véhicule militaire, quatre « conjurés », dont le comte Stauffenberg et le général Olbricht.

Le général Beck a tenté en vain de se suicider.

« Aidez ce vieux monsieur », dit Fromm.

Un sergent achève le général.


Ce 20 juillet 1944, à minuit, la conjuration est réprimée. Juste avant 1 heure du matin, les Allemands, qui dans cette nuit d'été attendent devant leur poste de radio, reconnaissent tout à coup la voix rauque du Führer, énergique, exaltée.


« Camarades allemands,

« Si je m'adresse aujourd'hui à vous, c'est afin que vous entendiez ma voix et sachiez que je n'ai pas été blessé ! C'est aussi pour que vous appreniez qu'un crime sans précédent dans l'Histoire vient d'être commis.

« Une petite clique d'officiers à la fois ambitieux, irréfléchis, stupides et insensés... »

Le Führer martèle chaque mot.

« Ces usurpateurs, cette bande de criminels seront tous exterminés impitoyablement...

« Je suis moi-même totalement indemne... C'est pour moi la confirmation de la mission que m'a dévolue la Providence.

« Nous traiterons ces imposteurs de la façon dont nous autres, nationaux-socialistes, avons toujours traité nos ennemis. »

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