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La mort est là, aux aguets, à quelques pas, ce dimanche 29 avril 1945.


Pour ces soldats russes survivants de Stalingrad et de cent attaques et qu'une rafale tirée par un adolescent de 15 ans, membre du bataillon des Jeunesses hitlériennes, va faucher, à Berlin, à une centaine de mètres du bunker où le Führer se prépare à mourir.


Hier, le Führer a fait empoisonner son chien-loup préféré, Biondi, pour s'assurer que les capsules d'acide prussique sont efficaces.

Chacun des habitants du bunker en a reçu quelques-unes, afin de ne pas tomber vivant aux mains des Russes.

On sait ce qu'ils sont capables de faire, leur volonté de se venger.

Et Hitler, en regardant le cadavre raidi de l'animal, est saisi par l'inquiétude.

Et si la capsule d'acide prussique n'agissait pas ? S'il était fait prisonnier par les Russes ? Voilà ce qu'il doit éviter à tout prix.


Précisément, dans cet après-midi du dimanche 29 avril 1945, Hitler apprend que Mussolini et sa maîtresse Clara Petacci ont été abattus le 27 avril par des partisans italiens sur une route des bords du lac de Côme par laquelle le Duce, une poignée de fascistes et de soldats allemands tentaient de passer en Suisse.


Mussolini et sa maîtresse ont été tués d'une rafale, puis le chef des partisans proches des communistes, le colonel Valerio, a donné l'ordre d'exécuter quinze autres prisonniers dans la petite ville de Dongo.

Les corps ont été jetés dans un camion et transportés à Milan, là où au printemps 1919, à la fin mars, l'ancien socialiste Benito Mussolini a créé le premier Fascio, « Faisceau de Combat », inventé le fascisme ! Et Adolf Hitler avait pris Mussolini pour modèle.


Et maintenant, on jette les corps piazza Loreto.



La foule se rassemble, crie, crache, pisse, profanant ces corps, les pend par les pieds aux poutrelles d'un garage, là même où les nazis ont fusillé le 14 août 1944 quinze otages.

Des écriteaux insultants sont accrochés aux corps de Mussolini et de Clara Petacci, un sceptre dérisoire est placé dans les mains de celui qui fut le Duce flamboyant et tonitruant.

Pauvre dépouille de celui qui se voulait César et avait lancé son pays dans la guerre en juin 1940.

« Il a mérité de mourir comme un chien galeux », hurle quelqu'un, et l'on crache, et l'on pisse, et l'on dénude, et on donne des coups de pied dans la tête sanguinolente de Clara Petacci.


Ces deux pantins sanglants n'ont eu ni assez de fidèles ni assez de courage personnel pour choisir leur mort.

Éviter ce lynchage posthume.


Hitler ne commente pas la mort de celui qu'il a considéré longtemps comme son mentor.

Il dicte son dernier message au grand amiral Doenitz.

« Les efforts et les sacrifices du peuple allemand dans cette guerre, dit-il, ont été incommensurables, je ne peux croire qu'ils aient été vains. Le but demeure : conquérir des terres à l'est pour le peuple allemand. »

Ainsi, il répète ce qu'il avait déjà écrit dans Mein Kampf, il y a vingt ans, comme si la guerre n'avait pas démontré que cette obsession était vaine et folle, ce but, au regard des millions de morts, dérisoire et sénile.


C'est la dernière nuit qui commence.

À 2 h 30, il sort avec Eva Braun de ses appartements privés et se rend à la salle à manger.

Là sont rassemblées une vingtaine de personnes, pour la plupart des femmes. Elles pleurent. Il leur murmure des mots inaudibles. Ses yeux sont remplis de larmes.

Frau Gertrude Junge l'observe.

« Il semblait regarder au loin, au-delà des murs du bunker », dit-elle.


Voûté, tramant les pieds, s'appuyant de la main gauche à l'épaule d'Eva Braun, Hitler se retire dans son bureau. Il est un peu plus de 15 heures, ce lundi 30 avril 1945.


Dans la salle à manger, les femmes tout à coup - celles-là mêmes qui pleuraient - commencent à danser. C'est une sarabande endiablée, sensuelle, comme si chacun des danseurs perdait la raison, ou affirmait son désir de vivre.

Et quelques-uns déjà quittent la pièce, se dirigeant vers les galeries qui débouchent dans le métro.

Ceux-là espèrent franchir les lignes russes, qui sont à proximité de la Chancellerie.


Devant la porte du bureau de Hitler, Goebbels, Bormann et quelques autres attendent.

Ce lundi 30 avril, à 15 h 30, un coup de feu.

Puis le silence.

On ouvre la porte.

Sur le sofa gît le Führer, le visage fracassé. Il s'est tiré une balle dans la bouche ou dans la tempe. Il n'a pas eu confiance dans le poison. Eva Braun près de lui, exhalant une odeur d'amande amère, le visage apaisé, un revolver près d'elle, tombé à terre. Elle a utilisé le poison.


On porte les cadavres dans un cratère d'obus au jardin de la Chancellerie. Erich Kempka, le chauffeur de Hitler, a rassemblé 180 litres d'essence. On les verse sur les corps.

Les flammes s'élèvent. Par la porte entrebâillée du bunker, Goebbels, Bormann et quelques autres regardent les corps se consumer. Ils saluent, bras levé, et se retirent précipitamment alors qu'une salve d'artillerie russe tombe sur le jardin.


Les Russes ne sont plus qu'à quelques dizaines de mètres, le mardi 1er mai 1945.

Des messagers ont quitté le bunker pour apporter au grand amiral Doenitz copie du Testament politique de Hitler et lui annoncent la mort du Führer.

Bormann et la centaine d'hommes et de femmes présents dans le bunker fuient par les galeries vers les tunnels du métro.

Certains - comme les généraux Krebs et Burgdorf - se suicident.

En Allemagne, ils seront des milliers à les imiter.


Pour Goebbels et son épouse Magda, ce début de soirée du mardi 1er mai 1945 est le moment de la rencontre avec la mort.

Magda Goebbels a fait part de ses inquiétudes « au sujet des enfants ». Elle dit : « Ils appartiennent au IIIe Reich et au Führer et, si tous deux disparaissent, il n'y a plus de place pour eux au monde. Ma plus grande crainte est de faiblir au dernier moment. »

Elle explique à son fils, né d'un premier lit, sa résolution.

« Le monde qui viendra après le Führer et le national-socialisme ne vaudra pas la peine d'être vécu. Et j'ai donc décidé d'en retirer mes enfants. Ils me sont trop chers pour subir ce qui va se produire ensuite, et un Dieu miséricordieux comprendra mes intentions de les en délivrer.

« Nous n'avons maintenant qu'un seul but : fidélité au Führer jusque dans la mort.

« Pouvoir finir nos vies avec lui est une grâce du destin que nous n'aurions jamais osé espérer. »


On arrête en riant, en les embrassant, les jeux des enfants.

Une piqûre les endort. Une capsule de poison qu'on écrase dans leur bouche les tue. Joseph et Magda Goebbels demandent à un SS de les accompagner dans le jardin de la Chancellerie. Ils mordent leurs capsules de poison. Et le SS tire deux coups de feu dans chaque corps.

On verse sur les cadavres ce qui reste d'essence après l'incinération de Hitler et d'Eva Braun.


Rien sinon peut-être une prothèse dentaire n'était resté d'Adolf et Eva Hitler. Les Russes identifient les corps à demi calcinés de Joseph et Magda Goebbels.

Ce mardi 1er mai 1945, dans une pièce du bunker du Führer incendié gisent les corps de six enfants.

Hela, 12 ans, Hilda, 11 ans, Helmut, 9 ans, Holde, 7 ans, Hedda, 5 ans, Heide, 3 ans.

Six enfants parmi des centaines de milliers d'autres, assassinés par la guerre voulue par Hitler.

« Total Krieg », avait martelé Goebbels.

Il est l'assassin de ces six enfants-là - les siens !, - victimes du fanatisme, symboles de la folie d'un système politique : le nazisme.


Dans son carnet, Vassili Grossman, qui avance avec les soldats de l'armée Rouge, note :

« Dans le bourg de Landsberg, près de Berlin, des enfants jouent à la guerre sur un toit plat.

« À Berlin, au même instant, on porte les derniers coups à l'impérialisme allemand, tandis qu'ici, avec des épées et des lances en bois, des gamins aux longues jambes, nuques rasées, franges blondes, poussent des cris perçants et se transpercent les uns les autres, sautant et bondissant comme des sauvages.

« Ici, une nouvelle guerre est en train de naître.

« C'est éternel, indéracinable. »

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