24.

Sans pitié !

Qu'on les fasse souffrir !


Voilà le traitement que le Führer désire qu'on applique à ceux qui ont voulu le tuer, ou qui, avertis de la conspiration, ne l'ont pas dénoncée, attendant de savoir qui l'emporterait, avant de choisir leur camp !


« Les criminels seront vite expédiés ! hurle Hitler. Pas de tribunal militaire. Nous les traînerons devant le Tribunal du Peuple. Ils ne feront pas de longs discours. Le tribunal agira à la vitesse de l'éclair. Et la sentence sera exécutée deux heures après avoir été prononcée. Par pendaison, sans pitié. »

On utilise de la corde à piano pour que la strangulation soit lente, l'étouffement progressif.

Les condamnés sont pendus à des crocs de boucher.

« Ils devront tous être pendus comme du bétail », a ordonné le Führer. Et ils le sont.


Le président du Tribunal du Peuple, Roland Freisler, est un fanatique qui a été bolchevik avant de devenir, dès 1924, nazi. Mais il est resté un admirateur de la terreur et de la « justice » soviétiques.


Il faut humilier les coupables, qui sont brisés par la torture, avilis par ce qu'ils ont subi.

C'étaient des officiers pleins de morgue. Ils sont devant le Tribunal mal rasés, tenant à deux mains leur pantalon car on leur a ôté la ceinture et les bretelles. On a brisé leur dentier et ils ressemblent à des vagabonds.

« Espèce de vieux dégoûtant, crie Freisler au maréchal von Witzleben, pourquoi ne cessez-vous pas de tripoter votre pantalon ? »



Ambassadeurs du Reich, généraux, personnalités politiques qui avaient refusé depuis 1933 de collaborer avec les nazis : tous pendus !

Hitler se venge, se livre à un grand nettoyage du Reich. Sept mille personnes sont arrêtées, 4 980 exécutées.


Nombreux sont ceux qui choisissent le suicide.

Le général Henning von Tresckow confie à un proche : « Nous avons fait ce que nous devions. Non seulement Hitler est le pire ennemi de l'Allemagne, mais il est aussi le pire ennemi du monde. »

Puis le général dégoupille une grenade à main qui lui arrache la tête.


Le général Stuelpnagel, gouverneur militaire de la France, auquel on a donné l'ordre de rentrer en Allemagne, s'arrête à Verdun où, en 1916, il a commandé un bataillon. Il se tire une balle dans la tête, mais il n'est qu'affreusement blessé. Aveugle, impotent, il est traduit - sur ordre de Hitler - devant le Tribunal du Peuple, insulté par le président Freisler, et exécuté.


Est-ce Stuelpnagel qui, alors qu'il gît sur la table d'opération de l'hôpital de Verdun après sa tentative manquée de suicide, a prononcé le nom de Rommel ?

Le Feldmarschall, en convalescence chez lui à Herrlingen, est déjà suspect et la Gestapo rôde autour de lui.

Des SS surveillent sa maison.

Sous la torture, un lieutenant-colonel s'est effondré et a rapporté les paroles de Rommel : « Dites à ceux de Berlin qu'ils peuvent compter sur moi. »

Cet aveu suffit à condamner Rommel.


Il y a aussi la lettre du Feldmarschall von Kluge qui, limogé par le Führer, s'est suicidé, écrivant à Hitler :

« Quand vous recevrez ces lignes, je ne serai plus. La vie n'a plus aucun sens pour moi. Rommel et moi avons tous deux prévu la situation actuelle. On ne nous a pas écoutés... »

Déjà la Gestapo arrête le chef d'état-major de Rommel, le général Speidel, mais celui-ci nie toute complicité de Rommel avec les conjurés.

Son arrestation annonce celle de Rommel.

« Le Führer est un mythomane, s'écrie Rommel. Il est devenu complètement fou ! Il se libère de son sadisme sur les conspirateurs du 20 juillet et ce n'est pas fini ! »


Hitler hésite à frapper le maréchal Rommel, populaire, respecté, symbole aux yeux du peuple allemand de l'héroïsme, de la droiture.

Un jour d'octobre 1944, le Führer prend sa décision.

On donnera à Rommel le choix entre se tuer ou être traduit pour haute trahison devant le Tribunal du Peuple. S'il se suicide, on lui accordera les funérailles nationales et sa famille ne sera pas inquiétée. Sinon, sa femme et son fils iront « crever » dans un camp de concentration.


Deux généraux du Grand Quartier Général du Führer proposent ce marché à Rommel, le 14 décembre 1944.

Rommel, après quelques minutes, prévient sa femme puis son fils du choix qu'il vient de faire.

« Je serai mort dans un quart d'heure, dit Rommel à Manfred Rommel. Les deux généraux m'ont apporté du poison. Il agit en trois secondes... Tout a été préparé dans les moindres détails. Dans un quart d'heure, vous recevrez un appel de l'hôpital d'Ulm vous annonçant que j'ai eu une attaque d'apoplexie en me rendant à une conférence. »

Rommel revêt son vieux manteau de cuir de l'Afrikakorps, prend son bâton de maréchal, et suit les deux généraux.


Ils déposeront son corps à l'hôpital d'Ulm, interdisant toute autopsie.

« Ne touchez pas au corps, a dit brutalement l'un des généraux. Tout est déjà arrangé avec Berlin. »


Hitler, Goering, le général Model - qui a succédé à von Kluge - présentent leurs « sincères condoléances » à Frau Rommel.

Le Feldmarschall von Rundstedt préside la cérémonie des funérailles nationales, en tant que plus ancien officier de l'armée allemande.

« Le vieux soldat, raconte le général Speidel, apparaît à tous les assistants comme un homme brisé et désorienté. Le destin lui a donné une dernière chance de jouer le rôle de Marc Antoine. Il garde son apathie morale. »

Et, debout près du cercueil de Rommel sur lequel repose le drapeau à croix gammée, von Rundstedt prononce l'oraison funèbre, concluant : « Son cœur appartenait au Führer. »


Von Rundstedt comme le général Guderian - le chef de l'état-major général, - comme tous les officiers, font acte d'allégeance au Führer.

Le salut militaire est remplacé par le salut nazi, ponctué d'un « Heil Hitler ! »

Dès le 23 juillet 1944, Guderian accuse les conspirateurs d'être « un petit nombre d'officiers, dont certains de réserve, qui avaient perdu tout courage et qui, par lâcheté et faiblesse, avaient préféré s'engager sur le chemin de la honte plutôt que sur le seul chemin ouvert à un soldat digne de ce nom, celui du devoir et de l'honneur ».

Une semaine plus tard, dans un nouvel ordre du jour, Guderian ajoute :

« Chaque officier de l'état-major général doit être un officier national-socialiste... Il doit coopérer activement à l'endoctrinement politique des officiers plus jeunes, conformément aux principes du Führer. »


Le corps des officiers est domestiqué.

L'échec de la conspiration du 20 juillet a étouffé toute velléité de résistance au Führer.

Les officiers sont persuadés, comme l'écrit Guderian, que « la plus grande partie du peuple allemand croit encore en Adolf Hitler et est convaincue qu'en le tuant son assassin aurait supprimé le seul homme capable d'amener encore la guerre à une conclusion favorable ».


Le peuple est désemparé. Les Russes sont aux portes de la Prusse-Orientale.

Les premiers flots de réfugiés allemands se mettent en branle.

À l'ouest, le front a cédé. La route du Rhin est ouverte aux Alliés.

Qui peut empêcher ces catastrophes ?

Peut-être ce Führer, auquel on a tant cru, qui a apporté en 1940-1941 une victoire miraculeuse, et dont on dit qu'il possède des « armes secrètes ».

C'est le combat avec lui, ou l'asservissement, la fin de l'Allemagne. Il n'y a pas d'autre choix !


Mais ceux qui côtoient Hitler sont sans illusions.

L'homme qui a survécu à l'attentat du 20 juillet est désormais sans masque. Le général Guderian écrit :

« Ce qui avait été chez lui dureté devint cruauté, tandis que sa tendance au bluff devenait simple malhonnêteté. Il mentait souvent, sans la moindre hésitation, et supposait que les autres lui mentaient.

« Il ne croyait plus personne. Il était déjà difficile autrefois d'avoir affaire à lui, maintenant cela devenait une torture qui ne faisait qu'empirer de mois en mois. Il perdait fréquemment tout contrôle de lui-même et son langage se faisait de plus en plus violent. Parmi ses intimes, il ne trouvait plus aucune influence apaisante. »

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