25.

De l'attentat du 20 juillet 1944 contre le Führer, le général Karl Pflaum ne veut connaître que la conclusion, telle que le Führer l'a résumée dans son discours du 21 juillet à 1 heure du matin à ses « Camarades allemands ».

« Je suis moi-même totalement indemne... Les usurpateurs ne forment qu'un très petit groupe qui n'a rien de commun avec l'esprit de la Wehrmacht et surtout avec le peuple allemand. Il s'agit d'une bande de criminels qui seront tous exterminés impitoyablement. »


Pour le général Karl Pflaum, le problème est donc résolu.

Ce 21 juillet 1944, il a décidé de lancer l'assaut contre ce quadrilatère de 150 kilomètres de périmètre, une véritable forteresse naturelle que les « maquisards français » appellent la « République du Vercors ».


Le général Karl Pflaum a reçu l'ordre de la détruire.

Comment tolérer que se renforce sur les arrières de la Wehrmacht cette « forteresse » où se sont regroupés près de 4 000 hommes commandés par les officiers, et ayant reçu, le 14 juillet, des centaines de containers d'armes !

Ce jour-là, Pflaum a donné l'ordre à la Luftwaffe de mitrailler et de bombarder le terrain de parachutage, ce plateau du Vercors où les maquisards sont en train d'aménager une piste d'atterrissage pouvant recevoir des avions gros-porteurs.


Si un débarquement a lieu sur les côtes méditerranéennes, le Vercors peut bloquer la vallée du Rhône. Il faut donc le briser.

Pflaum chaque jour envoie des avions d'observation, des Fieseler-Storch, et ces « mouchards » lui confirment le renforcement de la « République du Vercors ».

Les « terroristes », ces francs-tireurs, organisent chaque jour des défilés, des parades, avec une assurance aveugle.


Ils devraient pourtant savoir que le général Karl Pflaum commande la 157e division d'infanterie, renforcée de panzers, de deux compagnies de volontaires russes engagés dans la Waffen-SS, de régiments de chasseurs alpins (Gebirgsjäger) capables de gravir toutes les cimes.

Pflaum dispose d'artillerie, de mortiers et peut compter sur la maîtrise de l'air. La Luftwaffe a concentré de grands moyens - chasseurs, bombardiers, planeurs - sur tous les aérodromes de la région.

En tout, Pflaum commande plus de 15 000 hommes, bien entraînés - ils viennent d'opérer contre les maquis de l'Ardèche, - appuyés par des SS, des « Mongols », des détachements de la IXe Panzerdivisionen.

Ce 21 juillet 1944, le général Karl Pflaum, sûr de lui, donne le signal de l'attaque.



L'état-major des maquisards possède tous les renseignements qui auraient dû lui permettre de prévoir l'attaque allemande. D'abord, la population signale au maquis l'arrivée de nombreux renforts allemands.

La Luftwaffe a bombardé tous les villages, mitraillé le plateau, dispersé des tracts invitant la population civile à quitter la zone du Vercors, menaçant d'exécution tous ceux qui aident les « terroristes », les « partisans », les bandits.


Mais les maquisards comptent sur l'aide alliée.

« Les Américains vont bombarder les aérodromes », répète-t-on.

Des troupes vont être parachutées sur le plateau. Un débarquement sur les côtes de Provence va avoir lieu. Et les nouvelles de Normandie sont excellentes : Saint-Lô est tombée le 18 juillet.

Et puis la « grande muraille » naturelle - ces falaises calcaires - est infranchissable.


Le 21 juillet, les chasseurs alpins allemands la franchissent en plusieurs points et, surplombant le plateau depuis les cimes, commencent à bombarder les positions des maquisards.

Des éléments motorisés allemands progressent le long des routes et réalisent le « bouclage » du plateau. Ils tiennent, après des combats rudes, tous les cols. Ils abattent systématiquement les maquisards blessés.


À 9 h 30, c'est le « donjon » même de la forteresse qui est atteint.

Le village de Vassieux est bombardé, puis des planeurs se posent sur la piste préparée par les maquisards pour recevoir les avions alliés.

Deux planeurs allemands s'écrasent. Mais de nombreux autres jaillissent, les Waffen-SS russes, les « Mongols », qui en quelques rafales tuent une centaine de maquisards.

Ils s'emparent des villages et des hameaux, et tuent les habitants qui n'ont pas été évacués. Hommes, femmes, enfants : pas d'exception.

Les Waffen-SS s'installent ainsi au cœur de la « forteresse ».

Le lendemain, 22 juillet, les Allemands font atterrir de nouveaux planeurs et des Junkers qui transportent des armes lourdes, des munitions, du ravitaillement.

Les jeux sont faits.


Le 23 juillet, la bataille du Vercors est perdue. Même si les combattants du Vercors ont gagné la gloire, il ne leur reste plus qu'à tenter de se « disperser », de franchir le « bouclage » allemand. Des dizaines d'entre eux sont repérés, arrêtés, torturés, abattus.

Les blessés mis à l'abri dans la grotte de la Luire, signalée par un large drapeau de la Croix-Rouge, sont massacrés avec leurs médecins et l'aumônier. On trouvera sur tout le plateau des corps calcinés, profanés, mutilés, yeux crevés, langue arrachée.

Sept cents maquisards sont tués, et des dizaines massacrés.

Les « Allemands » - réservistes bavarois et autrichiens de la 157e division d'infanterie, SS, Waffen-SS, Mongols et Tatars, etc. - sont tous emportés par une folie criminelle.

La population de La Chapelle-en-Vercors est arrêtée, puis les Allemands ne gardent que 16 otages. Mais leurs gardiens s'enivrent et les fusillent[2].


Dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944, un télégramme est envoyé par l'état-major des maquisards du Vercors à Alger, au Gouvernement Provisoire de la République française présidé par le général de Gaulle.

On y lit :

« La Chapelle, Vassieux, Saint-Martin, bombardés par l'aviation allemande. Troupes ennemies parachutées sur Vassieux. Demandons bombardement immédiat.

« Avions promis de tenir trois semaines ; temps écoulé depuis la mise en place de notre organisation : six semaines.

« Demandons ravitaillement en hommes, vivres et matériel.

« Moral de la population excellent, mais se retournera rapidement contre vous si vous ne prenez pas dispositions immédiates.

« Et nous serons d'accord avec eux pour dire que ceux qui sont à Londres et à Alger n'ont rien compris à la situation dans laquelle nous nous trouvons et sont considérés comme des criminels et des lâches.

« Nous disons bien criminels et lâches. »


L'ordre de dispersion de la République du Vercors a été donné le 23 juillet par le commandement des maquisards.

Le 24 juillet, Chabeuil - base allemande - est bombardée.

Le 25 juillet, 46 hommes, 11 mitrailleuses lourdes et 2 mortiers sont largués sur la Drôme.


À Alger, le commissaire à l'Air - équivalent d'un ministre - est le communiste Fernand Grenier.

Il accuse.

« Comme tous les communistes, dit-il, je me désolidarise de l'attentisme considéré par nous comme un crime contre la patrie...

« Je n'entends pas, pour ma part, être associé à la politique criminelle qui consiste à disposer de moyens d'action et à ne pas les employer quand nos frères de France appellent à l'aide. »


Le 28 juillet, de Gaulle, qui préside le Conseil des ministres, déclare :

« Je vais vous donner lecture d'une lettre reçue ce matin. »

Il lit la lettre de Grenier et, tourné vers lui, il dit :

« Vous désavouerez la lettre écrite par vous, sinon vous sortirez d'ici n'étant plus commissaire. »

La colère a saisi de Gaulle. Le parti du déserteur Thorez, des démarches en 1940 auprès de l'occupant allemand pour faire reparaître le journal L'Humanité, donne maintenant des leçons de patriotisme ! Voilà l'instant de la première épreuve de force. Il faut soumettre les communistes à la règle de l'intérêt national. C'est le moment.

Grenier a écrit : « L'heure est venue de fixer les responsabilités d'où qu'elles viennent. »

De Gaulle interrompt Grenier qui veut expliquer ses mobiles.

« Vous savez exploiter les cadavres ! » lui lance-t-il.

Quelques minutes après, il suspend la séance. Il voit Grenier dialoguer avec François Billoux, l'autre commissaire communiste, puis rédiger sa lettre. Grenier la lit devant le Conseil d'une voix altérée.

« Bien, dit de Gaulle. L'incident est clos. Il n'en restera rien. »


Les communistes ont plié. Ils plieront en France aussi, même s'ils contrôlent nombre des organisations militaires de la Résistance. Le chef régional des FFI pour l'Île-de-France est le colonel Rol-Tanguy, un ancien des Brigades internationales. Le COMAC, le bras armé du CNR (Conseil National de la Résistance), a à sa tête deux communistes, Kriegel-Valrimont et Pierre Villon.

Il s'agit là de deux patriotes courageux, mais Paris est une tentation pour des hommes de parti. Qui le contrôle donne le ton à toute la France.

De Gaulle nomme Charles Luizet préfet de police de Paris, le général Chaban-Delmas délégué du général Koenig dans la capitale, où se trouve déjà Alexandre Parodi, désormais commissaire du gouvernement parce qu'il lui faut une autorité incontestée pour faire face aux éventuelles manœuvres communistes, ou à la volonté d'autonomie de la Résistance.

« Je vous recommande, lui dit de Gaulle, de parler toujours très haut et très net, au nom de l'État. »


En cette fin du mois de juillet 1944, en Normandie, les Américains sont passés le 25 juillet à l'offensive. C'est bien la bataille de la France qui est engagée. La libération du territoire national et d'abord de Paris est proche. Si le sacrifice héroïque des combattants du Vercors a servi aussi à affirmer l'autorité de l'État contre les factions, alors ils ont donné à la nation plus que leur vie.

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