Le flic au teint pâle entra dans la cellule du Voyageur, referma la porte et resta immobile, le visage luisant de sueur. Le Voyageur était étendu sur son matelas, une main derrière la tête, l’autre sur le ventre. La peau de son poignet le démangeait sous le bandage.
« Vous savez qui je suis ? » demanda le policier.
Le Voyageur ne comprenait fichtre rien au badge accroché à la poche de sa veste. « Non. Pourquoi ? Je devrais le savoir ?
— Non. »
Le Voyageur renifla. « Bon. Alors, tout va bien. »
Le flic s’approcha. « Vous vous êtes très bien comporté, jusqu’à présent. Vous n’avez rien laissé filtrer. »
Le Voyageur voulut s’asseoir.
« Ne bougez pas, et écoutez-moi. »
Le Voyageur se rallongea.
« Nous avons un ami commun, reprit le flic. Il est extrêmement mécontent et a pensé organiser un accident dans votre cellule. La peur, la culpabilité, et pour finir, le fait de vous être fait prendre… On pourrait bien croire que tout ça vous a poussé au suicide. Personne ne vous surveille, personne ne s’y attendrait. Ce serait vite arrivé. »
Le Voyageur tripota les fils qui s’effrangeaient au bord du pansement. « Dites à notre ami commun de venir me menacer en personne, s’il en a les couilles. »
Le flic s’approcha plus près et se pencha en avant. « Ne jouez pas les caïds avec moi, petit merdeux, si vous ne voulez pas qu’on vous retrouve pendu avant minuit. »
Le Voyageur se dressa sur son séant. Le flic recula. De pâle qu’il était, il devint encore plus blanc. Il sortit une petite bombe aérosol de la poche de son pantalon et la secoua.
« Ne bougez pas, sinon je vous asperge. »
Le Voyageur sourit. « On vous demandera de vous expliquer. Vous n’avez pas le droit d’avoir du gaz lacrymogène sur vous, sauf si vous êtes en patrouille.
— Je suis dans une cellule avec un suspect qu’on sait violent. C’est une précaution qui peut s’avérer utile. »
Le Voyageur se leva. « Y a plus qu’un seul œil, alors vous avez intérêt à bien viser.
— Asseyez-vous », dit le flic en pointant l’aérosol.
Le Voyageur grimaça un sourire. « Allez vous faire foutre. Vos conneries du Nord, moi je… »
Le spray frappa son œil valide comme des aiguilles de feu. Il aspira l’air pour crier, mais la brûlure envahissait sa gorge et ses narines. Le cri sortit sous la forme d’un sifflement étranglé. Une main posée sur sa poitrine le poussa en arrière. Il tomba assis. Bien que ce ne fût pas le geste à faire, il eut recours à sa manche pour se frotter l’œil.
« Je ne vous le conseille pas, dit le flic. Ce sera pire. Laissez votre œil se rincer tout seul.
— Bordel de merde putain de sale connard. » Il aurait continué à déverser sur le flic tous les jurons de son répertoire, mais sa gorge enflammée ne répondait plus. Il toussa et cracha, mobilisant chaque parcelle de sa tête et de sa poitrine capable de produire un liquide.
« Taisez-vous et écoutez », dit le flic.
Le Voyageur gémissait entre ses dents en martelant le sol de ses semelles.
« Vous m’écoutez ? Après, je vous donnerai une serviette humide. Prêt ? »
Le Voyageur ne bougea plus. Il hocha la tête, les yeux hermétiquement fermés.
« Bien… » À travers le brasier de l’enfer, le Voyageur distingua à peine le flic qui s’accroupissait devant lui. « Notre ami commun est un homme très généreux. C’est pourquoi vous n’aurez pas d’accident dans votre cellule ce soir, du moment que vous suivez mes instructions. Il y a moyen de rattraper ça. De finaliser votre petit projet, tout en me tirant d’un mauvais pas. Alors ? Vous êtes intéressé ? »
Le Voyageur exhala bruyamment. Il sentit la morve s’échapper de son nez et lui goutter sur les lèvres. « Parlez », dit-il.