Portable à l’oreille, Fegan arpentait la chambre de la guesthouse en écoutant la sonnerie à laquelle personne ne répondait. Sa peur se nourrissait d’elle-même, chaque fois renouvelée et grandissant toujours davantage. Il avait essayé de dormir, mais la vision de l’incendie, l’odeur de la chair et des cheveux qui brûlaient, les hurlements d’un enfant, venaient de le réveiller. Les vêtements trempés de sueur, il s’était rué sur le téléphone.
La sonnerie s’arrêta, remplacée par une respiration régulière.
« Marie ? demanda-t-il, la voix aiguisée par la peur.
— Elle ne peut pas répondre pour l’instant. »
Une voix d’homme. Le genre de voix que Fegan ne connaissait que trop bien. La tête lui tourna. Il s’assit sur le bord du lit.
« Où est-elle ?
— Juste là, répondit la voix. Avec la petite.
— Qui es-tu ? »
Il y eut un silence. « Et toi ? Tu serais pas le célèbre Gerry Fegan ?
— Ne les touche pas.
— J’ai beaucoup entendu parler de toi, continua la voix. Je meurs d’envie de te rencontrer en chair et en os. Quelque chose me dit qu’on serait comme les deux doigts de la main. »
Fegan se pencha en avant, pris de crampes d’estomac. « Si tu les touches, je te tuerai.
— Trop tard. Faut que je sois honnête avec toi, Gerry. Marie n’a pas l’air trop en forme.
— Je te tuerai, répéta Fegan. Je te ferai souffrir.
— C’est le flic que tu devrais menacer. Le père de la môme. Tu sais ce qu’il a fait, ce salopard ?
— Je te tuerai.
— Il les a laissées dans un bordel à Carrickfergus. Il s’est barré et elles sont là, toutes seules. Bon sang. On ferait pas ça à un chien.
— Je te…
— Oui, tu me tueras. J’ai entendu. L’heure tourne, Gerry. Faut que j’y aille. »
Le téléphone fut raccroché.
« Je te tuerai », dit encore Fegan à l’appareil sans vie.
Il se leva et alla à la fenêtre. Sa chambre occupait la moitié du premier étage d’une maison aussi banale que ses voisines. Dans la rue régnait un silence angoissant, avec la lumière des lampadaires qui semait des flaques d’ombre entre les voitures stationnées et les murs des courettes. De temps à autre, on entendait le roulement de la circulation sur Botanic Avenue, à une centaine de mètres. Une heure s’était écoulée, peut-être plus, depuis que le dernier train était passé sur les rails, derrière la rangée de maisons. Fegan avait toujours apprécié le silence, mais à présent il le percevait comme une couverture froide et humide qui pesait sur ses épaules.
Carrickfergus, avait dit l’homme en se moquant. Où, à Carrickfergus ?
Un hurlement perçant déchira le silence. Fegan le reçut comme une langue de glace qui prenait possession de son cœur. Il retint son souffle. Le cri s’éleva à nouveau. Une plainte animale, une souffrance. Fegan scruta les maisons pour en découvrir l’origine.
Puis il le vit. L’animal avança lentement entre deux voitures, le museau à ras de terre. Il agita ses grosses oreilles pointues et leva la tête. Ouvrant tout grand la gueule, il lança encore une fois son cri qui roula le long de la rue et sur les toits.
Le renard trotta ensuite sur la chaussée, attiré par une piste. Là, il se figea, tendu, ramassant son corps souple et mince sous la fourrure. Le regard tourné vers la fenêtre, il se mit à trembler.
Fegan posa une main sur la vitre. Le renard hurla encore une fois au ciel de la nuit. Il retroussa les babines dans un grognement. Soudain, sa fourrure s’embrasa, prise dans les phares d’une voiture qui approchait. Il regarda en direction de Fegan en pleine lumière, puis disparut dans l’obscurité.
La voiture passa. Le conducteur n’avait rien remarqué.
Quelque part au loin, de l’autre côté de la ville, des sirènes retentirent. Tapi entre les ombres qui vacillaient au pied de la fenêtre, le renard répondit.
Carrickfergus. Un bordel, avait-il dit.
Fegan se représenta le bureau situé derrière l’accueil, au rez-de-chaussée de la maison d’hôtes. Par la porte ouverte, il avait aperçu des clés suspendues à des crochets. L’une était une clé de voiture… Il quitta la pièce, silencieux comme l’air.