Et c’est ainsi qu’ils se retrouvèrent tous pour Noël. Shirley, Gary, Hortense, Zoé, Joséphine, dans une joyeuse ambiance de sapin qu’on dresse et qu’on décore, t’as pensé au sac à sapin ? Et les boules, on rajoute des rouges ou des blanches ?, de chants de Noël, de menus qu’on élabore, de chansons qu’on crie à tue-tête, de table qu’on dresse, de cadeaux officiels qu’on dépose au pied de l’arbre, d’autres, mystérieux, qu’on cache sous un lit, dans une armoire, derrière les parapluies, de bouchons de champagne qui sautent et s’écrasent au plafond pour célébrer une meringue réussie ou une devinette élucidée.


« Pourquoi l’éléphant du zoo de Central Park porte-t-il des chaussettes vertes ?

Parce que les bleues sont sales… »

« Comment on s’aperçoit qu’on a un hippopotame dans son lit ?

Parce qu’il a un H brodé sur son pyjama… »

« Quel est le pluriel d’un Coca ?

Des haltères… parce qu’un Coca désaltère ! »


Shirley avait apporté des crackers, des puddings, des chaussettes de Noël remplies de confiseries, des boîtes de thé, une bouteille de vieux whisky, Gary des CD de Glenn Gould qu’il fallut écouter dans le plus grand recueillement et des vieux cigares qui, affirmait-il, étaient les préférés de Winston Churchill. Shirley pouffait, Joséphine écarquillait les yeux, Zoé recopiait la recette du pudding anglais en tirant la langue, Hortense s’amusait de l’empressement de chacun à respecter les coutumes de ces fêtes qu’ils célébraient ensemble depuis si longtemps. Elle ne se déplaçait jamais sans son portable au cas où Miss Farland voudrait la joindre… et prenait un air mystérieux chaque fois que le téléphone sonnait.

Gary se moquait d’elle. L’appelait l’abominable femme d’affaires. Cachait le portable dans le frigo dans une botte de poireaux, sous des coussins ou les couvertures de Du Guesclin. Hortense hurlait et le sommait de cesser ces enfantillages. Gary s’éloignait en sautant comme un écureuil, les mains en crochet, les pieds écartés.

— C’est l’écureuil qui sait où se trouve le portable, il l’a caché pour l’hiver, quand il sera tout seul, sans amis, au fond des bois… L’écureuil est seul pendant les grands froids. L’écureuil est triste dans le grand parc… Surtout le lundi, quand tous les gens du week-end sont partis. Quand on ne lui lance plus de cacahuètes ni de noisettes, il se bat les flancs et il attend que le samedi revienne… Ou le printemps…

— Et il voudrait que je le prenne pour un Prince Charmant ! ironisait Hortense.

— Mais mon fils est un Prince Charmant ! protestait Shirley. Il n’y a que toi qui ne le sais pas…

— Dieu me garde des Princes Charmants et des écureuils d’appartement…

Et elle partait à la recherche de son téléphone en pestant.

Parfois Gary se penchait sur elle comme pour l’embrasser et terminait son mouvement en déposant un trait de mousse au chocolat sur son front. Elle lui sautait à la gorge. Il s’enfuyait en criant elle-a-cru-que-je-l’em-bras-serais-toutes-les-mêmes-toutes-les-mêmes, et elle hurlait je le déteste, je le déteste. Ou il s’allongeait sur le canapé en écoutant Le Clavier bien tempéré, battait la mesure de ses longs pieds en chaussettes trouées, expliquait l’art de Glenn Gould, quand tu l’écoutes, ce n’est plus un piano que tu entends, mais un orchestre. Chaque thème se répond en canon, disparaît de la main droite pour réapparaître à la main gauche, se décline d’un ton à l’autre pour rebondir sur une nouvelle mélodie. Silences et soupirs alternent, donnent du relief à l’œuvre et te tiennent en haleine. Son touché n’est pas staccato, encore moins legato, mais dé-ta-ché. Chaque note jouée est distincte des autres, de sorte qu’aucune n’est liée à l’autre, aucune n’est laissée au hasard. C’est de l’art, Hortense, du grand art… pendant qu’Hortense, assise à ses pieds, dessinait un projet de vitrine sur un grand bloc blanc à spirale, des crayons de couleur éparpillés autour d’elle. C’étaient leurs moments de répit. Elle crayonnait, gommait, repassait un trait, parlait des décorations de Noël des vitrines d’Hermès rue du Faubourg-Saint-Honoré, tu aurais dû voir ça, Gary, des couleurs d’Orient, chaudes, très chaudes, très peu d’objets, du cuir et des épées, des lions, des tigres, des perroquets, de longs drapés, c’était beau et si… unique. Moi aussi, je veux faire du beau et de l’unique. Il étendait la main et lui caressait les cheveux, j’aime quand tu réfléchis, elle mordait son crayon et demandait, parle-moi, dis-moi n’importe quoi et je trouverai, je trouverai… Il lui récitait des vers de Byron et sa voix douce, les mots anglais délicatement posés composaient une autre partition, une musique qui accompagnait celle de Bach, s’entrecroisait avec les notes, emplissait un soupir, s’accolait à un accord. Il fermait les yeux, sa main s’attardait sur l’épaule d’Hortense, la mine du crayon d’Hortense cassait, elle s’énervait, jetait son bloc, disait, je ne trouve pas, je ne trouve pas et le temps passe… Tu trouveras, je te promets. On ne trouve que dans l’urgence. Tu trouveras la veille du coup de fil de l’abominable Miss Farland. Tu te coucheras ignorante et te réveilleras savante, aie confiance, aie confiance… Elle levait la tête vers lui, anxieuse et lasse.

— Tu crois, tu crois vraiment ? Oh ! Je ne sais plus, Gary… C’est affreux, j’ai un doute. Je déteste ce mot ! Je déteste être comme ça… et si j’y arrivais pas ?

— Ce serait contraire à ta devise…

— Et c’est quoi, ma devise ?

— « En moi seule, je crois. »

— Première nouvelle…

Elle suçait la mine de son crayon, reprenait son dessin. Elle passait la main dans ses cheveux emmêlés, gémissait. Il discourait sur l’art du piano, la façon de détacher chaque note et de l’isoler, de la déshabiller froidement…

— Voilà ce que tu devrais faire, déshabiller tes idées une par une ; tu en as trop qui te courent dans la tête alors, tu ne sais plus penser…

— Ça marche peut-être pour le piano, mais pas pour moi…

— Si, réfléchis bien : une note puis une note et une autre note et non un kilo de notes… Voilà la différence !

— Oh ! Je comprends rien à ce que tu dis ! Si tu crois que tu m’aides…

— Je t’aide, mais tu ne le sais pas. Viens m’embrasser et la lumière se fera…

— Je ne veux pas un homme, je veux une idée !

— Je suis ton homme et toutes tes idées. Tu sais quoi, Hortense chérie ? Sans moi, tu n’es rien qu’un pauvre débris…


Joséphine et Shirley les observaient sans rien dire et souriaient. Puis elles filaient dans la cuisine, refermaient la porte et se sautaient dans les bras.

— Ils s’aiment, ils s’aiment, mais ils ne le savent pas, assurait Joséphine.

— Ils sont comme deux bourricots amoureux et aveugles…

— Ça finira sous un grand voile blanc, chantonnait Joséphine.

— Ou dans un lit en bataille de polochons ! raillait Shirley.

— Et on sera deux belles grands-mères !

— Et je continuerai à m’envoyer en l’air ! protesta Shirley.

— Ils sont si beaux, nos petits.

— Ils ont le même caractère de cochon !

— J’étais si gourde à leur âge.

— Et moi, j’avais déjà un enfant…

— Tu crois qu’Hortense prend la pilule ? s’inquiétait Joséphine.

— C’est toi la mère…

— Je devrais peut-être lui demander…

— À mon avis, elle va t’envoyer bouler !

— T’as raison… Crois-moi, c’est plus reposant d’avoir un garçon que deux filles.

— On ouvre le foie gras pour ce soir ?

— Avec de la confiture de figues ?

— Oh oui !

— Et si on prenait un petit acompte maintenant ? Personne ne le saurait ! suggérait Shirley, l’œil écarquillé de gourmandise.

— Et on boit du champagne en se racontant des bêtises ?

Le bouchon sautait, la mousse débordait, Shirley réclamait un verre vite, vite et Joséphine ramassait la mousse d’un doigt qu’elle léchait ensuite.

— Tu sais ce que j’ai trouvé en faisant les poubelles, l’autre soir ? Un cahier noir, un journal intime…

— Mmmm…, ronronnait Shirley en goûtant le champagne, que c’est bon ! Et il appartient à qui ?

— Je sais pas justement…

— Tu crois qu’il a été jeté exprès ?

— J’en ai l’impression… Ce doit être quelqu’un de l’immeuble. Le cahier est vieux. Il porte une date : novembre 1962… L’inconnu écrit qu’il a dix-sept ans et que sa vie va commencer.

— Ce qui ferait qu’il aurait… attends un peu… dans les soixante-cinq ans ! Pas un petit jeune, notre mystérieux écrivain… Tu l’as lu ?

— J’ai commencé… Mais je vais m’y plonger dès que je serai seule…

— Il y a beaucoup d’individus de soixante-cinq ans dans l’immeuble ?

— Doit y en avoir cinq ou six… Plus M. Sandoz, le soupirant d’Iphigénie qui, d’après elle, triche sur son âge et a dans les soixante-cinq ans… Je vais faire une enquête. Immeuble A et immeuble B confondus parce que les poubelles sont communes.

— C’est drôle, railla Shirley, c’est le seul endroit où les gens se mélangent chez vous : dans les poubelles !


Zoé attendait le 26 décembre avec impatience. Elle avait entouré les jours sur son calendrier et sautait du lit chaque matin pour en barrer un. Je suis stressée comme une vache sans herbe ! Encore deux jours ! Une éternité ! Je tiendrai jamais ! Je vais mourir avant… Est-ce qu’on peut perdre deux kilos et demi en deux jours ? Est-ce qu’on peut éradiquer un bouton ? Bloquer la transpiration ? Apprendre à embrasser savamment ? Et mes cheveux ? Je les aplatis avec du gel ou pas ? Je les attache ou pas ? Y a tant de choses dont je voudrais être sûre.

Et puis d’abord comment je vais m’habiller pour son arrivée ? Ça se prépare à l’avance, ces choses-là… Je pourrais demander à Hortense, mais Hortense n’a pas la tête à ça.


Hortense avait accepté de jouer le chaperon nocturne. Et je ne veux pas être réveillée par des bruits de copulation ! T’as compris, Zoé ? Je dois être en forme pour le 2 janvier. Fraîche et rose. Et ça veut dire : dormir tranquille. Pas faire le garde-chiourme ! Alors pas de jeux de mains ni de chevauchage sauvage sinon je frappe !

Zoé rougissait. Elle mourait d’envie de demander à Hortense comment on chevauchait sauvagement et si ça faisait mal.

Le 26 décembre vers dix-sept heures, Gaétan sonnerait à la porte. Seize heures dix-huit à la gare Saint-Lazare, dix-sept heures à la maison. Personne d’autre qu’elle n’aurait le droit de l’accueillir et personne d’autre qu’elle ne devrait se montrer quand il arriverait. Tous dans vos chambres ou tous dehors, en attendant que je vous donne le signal de revenir ! Ce serait trop intimidant, tous ces regards braqués sur lui.

Ils avaient longuement parlé pour savoir si cela le gênait de revenir dans l’immeuble où il avait habité. Gaétan avait dit que non, ça ne le gênait pas. Il avait bien réfléchi et il avait pardonné à son père. Il le plaignait sincèrement. Il disait cela d’une voix si grave que Zoé avait l’impression d’être face à un étranger. Tu comprends, Zoé, quand tu sais ce qu’il a vécu enfant, comment il a été abandonné, maltraité, utilisé, torturé, il fallait pas s’attendre à ce qu’il soit normal… Il a essayé d’être normal, mais il pouvait pas. C’est comme s’il était né avec un pied-bot et qu’on lui demandait de courir le cent mètres en neuf secondes ! Il avait tout mélangé en lui : l’amour, la rage, la revanche, la colère, la pureté. Il voulait tuer et il voulait aimer, mais il ne savait pas comment s’y prendre. Je suis triste pour ta tante, c’est sûr, mais je ne suis pas triste pour lui. Je ne sais pas pourquoi… À sa manière, il nous a aimés. J’arrive pas à lui en vouloir. Il était fou, c’est tout. Et moi, je ne serai pas fou, je le sais.

Il répétait souvent et moi je ne serai pas fou…

Elle attendait dans sa chambre en préparant des cadeaux qu’elle fabriquait elle-même avec du fil de fer, du carton, de la laine, de la colle, des paillettes, de la peinture. Le temps passait vite quand son esprit et ses mains étaient occupés. Elle se concentrait sur la couleur à choisir, le dessin à découper, le bout de laine à coller. Elle goûtait la colle qui séchait sur son index, mordait sa lèvre inférieure comme si elle dégustait une sucrerie. Elle entendait le piano dans le salon et elle comprenait pourquoi Gary aimait tant cette musique. Elle écoutait les notes, elles entraient dans sa tête, elle les sentait éclore dans son estomac et elles lui chatouillaient le fond de la gorge. La musique la happait, c’était magique. Elle demanderait à Gary de lui copier les CD pour qu’elle les écoute quand Gaétan serait parti. Avec la musique, elle serait moins triste…

Parce qu’elle pensait déjà au jour où il partirait.

C’était plus fort qu’elle. Elle se préparait au chagrin qui l’envahirait. Elle trouvait qu’il fallait davantage se préparer au chagrin qu’au grand bonheur. Le grand bonheur, c’est facile, il suffit de se laisser glisser. C’est comme descendre sur la pente d’un toboggan. Le chagrin, c’est remonter à pied un très long toboggan.

Elle se demanda pourquoi elle était comme ça et elle sortit son cahier pour écrire ses pensées. Elle lut le dernier texte qu’elle avait écrit en suçant le capuchon de son Bic.


« Suis allée voir une expo d’art moderne avec la classe et j’ai rien compris. Ça m’agace. Une piscine gonflable rouge avec des fourchettes au fond de l’eau et des gants de vaisselle à moitié gonflés, ça m’inspire rien du tout… Le prof était là, à s’ébahir et moi, j’ai trouvé ça carrément moche.

En sortant, on est tombés sur un groupe de SDF qui buvaient des canettes de bière et il y en a un qui a voulu se battre avec le prof… Mais le prof n’a pas bronché vu que le SDF était tout gringalet et que le prof, il est plutôt balèze. Et moi, j’ai été triste pour le SDF, même s’il était vraiment pas cool. Et ça m’a déprimée. Et le prof a dit qu’on ne pouvait pas sauver le monde, mais je m’en fiche. J’ai déjà acheté deux bagues et de l’encens pour le tiers-monde au bahut. Et je continue à sourire et à donner des petits pains aux SDF dans la rue. Révoltée, je suis.

Et alors le prof a dit qu’il fallait que j’arrête de rêver et qu’un monde parfait, ça n’existait pas. Et là, j’ai eu une grosse envie de pleurer. Oh ! Je sais, c’est mégabidon, mais je sentais le feu me monter aux joues. Alors j’en ai parlé à Emma et elle a dit mais arrête, Zoé, il a raison, le prof, grandis un peu…

Je ne veux pas grandir si c’est pour devenir comme le prof qui trouve belles des piscines avec des fourchettes au fond et qui refuse de sauver le monde. C’est n’importe quoi ! Je veux qu’on me comprenne. Je me sens pleine et tous les autres, ils sont vides alors je me sens mégaseule. C’est ça la vie, alors ? C’est avoir mal ? C’est ça grandir ? Avoir à la fois envie d’avancer et de déguster et aussi de tout vomir et de recommencer. Bah non… je ne veux pas être comme ça, moi. Il faudra que j’en parle à Gaétan. »


Suivait une recette de sardines à l’huile avec de la pomme verte râpée que lui avait donnée une fille qui pensait comme elle que la piscine avec des fourchettes et des gants en caoutchouc, c’était nul. Elle s’appelait Gertrude et elle n’avait pas d’amie parce que tout le monde trouvait ça atroce de s’appeler Gertrude. Elle aimait bien parler avec Gertrude. Elle trouvait ça injuste d’être mise à l’écart à cause d’un prénom qui sent la naphtaline.

Gertrude avait tout le loisir de réfléchir et, parfois, elle sortait des phrases belles comme la rosée. Par exemple, en quittant le musée, elle avait dit, tu sais, Zoé, la vie est belle, mais le monde, non…

Et ça l’avait enchantée, la vie est belle, mais le monde, non, parce que ça lui donnait de l’espoir et elle avait cruellement besoin d’espoir.


— Quand on boit du champagne, on se fait des confidences, déclara Joséphine. Tu me dois au moins deux confidences… Parce qu’on a bu deux coupes chacune !

— Et ce n’est pas fini…

— Alors ? La première confidence ?

— Je crois bien que je suis amoureuse…

— Un nom ! Un nom !

— Le nom, tu le connais : il s’appelle Oliver. Oliver Boone…

— C’est l’homme de l’étang ?

— L’homme de l’étang et un grand pianiste… Il commence à être sacrément connu, il donne des concerts dans le monde entier. Entre deux concerts, il vit à Londres, tout près de mon étang… Il nage dans les algues brunes et fait du vélo…

— Et tu le vois souvent ?

— Tsst ! Tsst ! Ça ne fait que commencer ! On est allés au pub un soir, on a bu et… et… il m’a embrassée et… Mon Dieu ! Joséphine ! Qu’est-ce que j’aime quand il m’embrasse ! J’étais comme une gamine. Il est si… je ne sais pas comment te le décrire, mais je sais, sûre et certaine que je n’ai qu’une envie, être avec lui… et faire plein de choses idiotes comme donner du pain aux canards, rigoler de l’air hautain des cygnes, répéter son nom en boucle en le regardant au fond des yeux… Avec lui, j’ai le sentiment étrange que je ne me trompe pas…

— Je suis si heureuse pour toi !

— … que je suis à ma place… Je crois bien que c’est ça le vrai amour : avoir l’impression d’être dans sa vie, pas à côté. Au bon endroit. Ne pas avoir besoin de se forcer, de se tortiller pour plaire à l’autre, rester comme on est.

Joséphine pensa à Philippe. Elle aussi, avec lui, elle avait cette impression-là.

— Quand on s’est vus au pub, poursuivit Shirley, je lui ai dit que je partais pour Paris et il m’a regardée avec son bon regard chaud qui enveloppe et soulève, qui me donne envie de me précipiter contre lui, il m’a dit, j’attendrai, c’est encore meilleur quand on attend… et j’ai failli ne pas attendre du tout ! Tu sais quoi ? J’ai l’impression que je vais être heureuse partout. Dans la tête, dans le cœur, dans le corps et même dans les doigts de pieds !

Joséphine se dit qu’elle n’avait jamais vu son amie aussi rayonnante et, pour la première fois, douce, douce. Ses cheveux blonds et courts faisaient des virgules et elle avait le bout du nez tout rouge d’émotion.

— Et Philippe ? Tu crois qu’il fait quoi ce soir ? chuchota Joséphine.

Elle avait fini sa coupe et ses joues rosissaient.

— Tu l’as pas appelé ? demanda Shirley en la resservant.

— Depuis la dernière fois à Londres ? Non… C’est comme si cela devait rester clandestin, que personne ne le sache…

— La soirée ne fait que commencer… Il va peut-être sonner à la porte avec du champagne. Comme l’année dernière. Tu te rappelles ? Vous vous étiez enfermés dans la cuisine et la dinde avait brûlé[12]…

— Ça me paraît si loin… et si j’étais en train de tout gâcher ?

— Il a choisi de s’effacer. Il ne veut pas te forcer. Il sait qu’on ne règle pas le deuil comme on calcule une addition. Il n’y a que le temps, les jours et les semaines qui passent qui effacent la douleur…

— Je ne sais pas où est ma place. Dis, Shirley, comment on sait ? Ma place entre Iris et lui… Comment je peux parler de l’aimer si je reste à côté d’Iris ? Et quand je suis à côté de lui, comment je peux rester sans bouger, sans me jeter sur lui… C’est si facile quand il est à portée de main… Et si compliqué quand il est loin…

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