Hortense attrapa la bouteille de champagne au goulot et la renversa dans le seau à glace. La bouteille était pleine et cela fit un drôle de bruit. Le choc du verre contre la paroi de métal, le crissement des glaçons qu’on écrase puis un gargouillis suivi d’une pétarade de bulles qui éclatèrent à la surface en mousse translucide.

Le garçon en veste blanche et nœud papillon noir haussa un sourcil.

— Infect, ce champagne ! grogna Hortense en français en donnant une pichenette au cul de la bouteille. Quand on n’a pas les moyens de se payer une bonne marque, on n’en sert pas une qui tord les boyaux…

Elle s’empara d’une seconde bouteille et répéta son acte de sabotage.

La face du garçon s’empourpra. Il regardait, stupéfait, la bouteille se vider lentement et semblait se demander s’il devait donner l’alerte. Il jeta un regard circulaire, cherchant un témoin du vandalisme de cette fille qui culbutait les bouteilles en proférant des insultes. Il transpirait et la sueur soulignait le chapelet de furoncles qui lui ornait le front. Encore un plouc anglais qui bave devant le raisin gazeux, se dit Hortense en lissant une mèche rebelle qu’elle coinça derrière son oreille. Il ne la quittait pas des yeux, prêt à la ceinturer si elle recommençait.

— Tu veux ma photo ?

Ce soir, elle avait envie de parler français. Ce soir, elle avait envie de poser des bombes. Ce soir, il lui fallait massacrer un innocent et tout chez ce garçon réclamait le statut de victime. Il y a des gens comme ça, on a envie de les pincer au sang, de les humilier, de les torturer. Il n’était pas né du bon côté. Mauvaise pioche.

— On n’a pas idée d’être si laid ! Vous me faites mal aux yeux avec vos feux rouges qui clignotent sur le front !

Le garçon déglutit, s’éclaircit la voix et glapit :

— Dis donc, t’es toujours aussi punaise ou tu fais un effort spécialement pour moi ?

— Vous êtes français ?

— De Montélimar.

— Le nougat, c’est mauvais pour les dents… et pour la peau. Vous feriez mieux d’arrêter, vos bubons vont exploser…

— Pauvre conne ! T’as avalé quoi pour être aussi méchante ?


Un affront. J’ai avalé un affront et je m’en remets pas. Il a osé. Sous mon nez. Comme si j’étais transparente. Il m’avait dit, qu’est-ce qu’il m’avait dit déjà… et moi, je l’ai cru. J’ai troussé mon jupon et couru le cent mètres en moins de huit secondes. Je suis aussi conne que ce boutonneux pourpre à face de nougat.

— Parce que d’habitude quand les gens sont teigneux, c’est qu’ils sont malheureux…

— Ça va, Padre Pio, laisse tomber la soutane et sers-moi un Coca…

— J’espère qu’il te fera encore bien souffrir celui qui te met dans cet état !

— Fin psychologue, en plus ! T’es plutôt lacanien ou freudien ? Faut me dire parce que ta conversation va enfin devenir passionnante !


Elle prit le verre qu’il lui tendait, l’éleva vers lui pour trinquer et s’éloigna en tanguant dans la foule des invités. C’est bien ma chance ! Un Français ! Hideux et transpirant. Tenue obligatoire : pantalon noir, chemise blanche, pas de bijoux, les cheveux plaqués en arrière. Payé cinq livres de l’heure et traité en chien galeux. Un étudiant qui se fait de l’argent de poche ou un fauché qui a fui les trente-cinq heures pour gagner plein de blé. J’ai le choix. Le seul problème, c’est qu’il m’intéresse pas. Pas du tout. C’est pas pour lui que j’investirais dans une paire de pompes à trois cents euros ! Même pas que j’achète les lacets !

Elle faillit glisser, se rattrapa de justesse, retourna sa chaussure, constata qu’un chewing-gum rose couronnait le bout du talon en bakélite mauve de son escarpin en crocodile rouge.

— Manquait plus que ça ! s’exclama-t-elle. Mes Dior toutes neuves !

Elle avait jeûné cinq jours pour les acheter. Et dessiné une dizaine de boutonnières pour sa copine Laura.

J’ai compris, c’est pas ma soirée. Je vais rentrer me coucher avant que les mots « Reine des pommes » ne s’impriment sur mon front. Qu’est-ce qu’il avait dit déjà ? Tu vas chez Sybil Garson samedi soir ? Grosse, grosse fête. On pourrait se retrouver là-bas. Elle avait fait la moue, mais noté la date et l’expression. Se retrouver signifie repartir ensemble bras dessus bras dessous. Ça valait le coup d’y réfléchir. Elle avait failli dire et tu y vas seul ou avec la Peste ?, s’était reprise à temps – surtout ne pas reconnaître l’existence de Charlotte Bradsburry, l’ignorer, l’ignorer – et avait commencé à supputer les moyens de se faire inviter. Sybil Garson, icône des journaux people, Anglaise de haute lignée, naturellement élégante, naturellement arrogante, n’invitant chez elle aucune créature étrangère – encore moins française – à moins qu’elle ne s’appelle Charlotte Gainsbourg, Juliette Binoche ou ne traîne dans son sillage le somptueux Johnny Depp. Moi, Hortense Cortès, plébéienne, inconnue, pauvre et française, je n’ai aucune chance. Ou j’enfile le tablier blanc de l’extra et passe les saucisses. Plutôt périr !

Il avait dit on se retrouve là-bas. Le « on » signifiait bien lui et moi, moi et lui, moi, Hortense Cortès et lui, Gary Ward. Le « on » supposait que miss Bradsburry n’était plus d’actualité. Miss Charlotte Bradsburry avait été renvoyée ou s’était fait la belle. Qu’importe ! Une chose paraissait certaine : la voie était libre. À elle de jouer. À Hortense Cortès, les soirées londoniennes, les boîtes et les musées, le salon de la Tate Modern, la table près de la fenêtre au restaurant du Design Museum avec vue plongeante sur la Tour de Londres, les week-ends dans des manoirs somptueux, les corgis de la reine qui lui lèchent les doigts au château de Windsor et le scone aux raisins accompagné de confiture de thé et de clotted cream, qu’elle grignoterait près du feu sous un Turner un peu passé en soulevant délicatement sa tasse de thé… Et on ne le mange pas n’importe comment le scone anglais ! Tranché en deux dans le sens de la largeur, tartiné de crème et tenu entre le pouce et l’index. Sinon, d’après Laura, on embrassait le statut de plouc.

Je pénètre chez Sybil Garson, je bats des cils, j’embarque Gary et je prends la place de Charlotte Bradsburry. Je deviens importante, glorieuse, internationale, on me parle avec respect, on me tend des bristols gravés, on m’habille de pied en cap, je repousse les paparazzi et choisis celle qui sera ma prochaine meilleure amie. Je ne suis plus une Française qui pagaie pour se faire un nom, je prends un raccourci et je deviens Arrogante Anglaise. Ça fait trop longtemps que je poireaute dans l’anonymat. Je ne supporte plus qu’on me considère comme une moitié d’humain, qu’on s’essuie les mains sur mes seins et qu’on me confonde avec une paroi de Plexiglas. Je veux du respect, de la considération, du relief, du pouvoir, du pouvoir.

Et du pouvoir.

Mais avant de devenir Arrogante Anglaise, il fallait trouver le tour de passe-passe qui la ferait entrer dans cette soirée privée, réservée aux happy few qui gigotent dans la presse trash des tabloïds anglais. C’est pas gagné, Hortense Cortès, c’est pas gagné. Et si je séduisais Pete Doherty ? C’est pas gagné non plus… Je vais plutôt essayer de pénétrer en clandestine chez Sybil Garson.


Elle avait réussi.

Devant le 3 Belgravia Square, elle avait emboîté le pas à deux Anglais qui parlaient cinéma en se frottant les narines. Elle les avait suivis, faisant semblant de gober leurs mots, s’était faufilée avec eux dans le vaste appartement au plafond aussi haut que la cathédrale de Canterbury et avait continué à boire les propos de Steven et Nick au sujet de Bright Stars de Jane Campion. Ils avaient vu ce film en avant-première au London Film Festival et se gargarisaient d’appartenir au club des happy few qui pouvaient en parler. To belong or not to belong semblait être la devise de tout Anglais chic. Il fallait « appartenir » à un ou plusieurs clubs, une famille, une école, un domaine familial, un beau quartier de Londres ou ne pas être.


Steven faisait des études de cinéma, parlait de Truffaut et de Kusturica. Il portait un jean noir moulant, de vieilles bottes en vinyle, un gilet noir à pois blancs sur un tee-shirt blanc à manches longues. Ses longs cheveux gras pendaient à chaque affirmation furieuse. Son copain, Nick, propre et rose, incarnait une version bucolique et jeune de Mick Jagger. Il hochait la tête en se grattant le menton. Il devait supposer que cela le vieillissait terriblement.

Elle les avait abandonnés après avoir posé son manteau dans une vaste pièce qui servait de vestiaire. Elle avait jeté le sien sur un grand lit jonché de fausses fourrures, de parkas kaki, d’impers noirs, avait tapoté ses cheveux devant la glace à trumeau de la cheminée et avait murmuré t’es parfaite, ma chérie, absolument parfaite. Il va tomber dans ton filet comme un joli poisson doré. Ses escarpins Dior et la petite robe noire Alaïa achetée dans une vintage-shop à Brick Lane la transformaient en bombe sexuelle réservée. Bombe sexuelle si je veux, réservée si je le décide, chuchota-t-elle au miroir en s’envoyant un baiser. Je n’ai pas encore décidé si je l’occis tout de suite ou si je fais traîner la mise à mort… On va bien voir.


Ce fut tout vu. En sortant de la pièce à manteaux, elle aperçut Gary au bras de la Bradsburry ; elle éclatait de rire en renversant sa gorge ivoire, plaçant délicatement sa main sur sa bouche pâle pour étouffer le bruit si vulgaire d’une gaieté subite. Gary la serrait contre lui, un bras passé autour de sa taille fine, si fine. Sa tête brune contre la tête de la Peste… Hortense crut trépasser.

Elle faillit retourner dans la chambre, injurier le miroir, attraper son manteau et repartir.

Puis elle pensa au mal qu’elle s’était donné pour pénétrer en ce lieu par effraction, serra les dents et se dirigea vers le buffet où elle passa sa colère sur le champagne bon marché et le garçon à boutons clignotants.

Et maintenant, se dit-elle, que faire ?

Harponner le premier homme comestible et roucouler à son bras ? Mille fois fait. Stratégie éculée, pathétique, pitoyable. Gary saura, si je m’affiche ainsi, que j’ai été « touchée » et me répondra, dans un sourire cruel, « coulée ».

Et je coulerai.

Non, non ! Arborer l’air satisfait de la célibataire qui ne trouve pas garçon à sa taille tant elle frôle les sommets… Pincer mes lèvres en un sourire dédaigneux, jouer la surprise si je tombe sur le couple maudit et tenter de repérer dans la foule une volaille ou deux à qui je puisse faire un semblant de conversation avant de rentrer chez moi… en métro.


Mary Dorsey ferait l’affaire. C’était une célibataire navrante, une de ces filles qui n’ont qu’un but dans la vie : trouver un homme. N’importe lequel pourvu qu’il reste avec elle plus de quarante-huit heures. Un week-end entier était le début de la félicité. La plupart des garçons que Mary Dorsey ramenait dans son appartement de la rive sud de la Tamise disparaissaient avant même qu’elle ait eu le temps de leur demander leur prénom. La dernière fois qu’Hortense l’avait rencontrée au Borough Market où l’avait traînée Nicholas, Mary lui avait murmuré il est trop mignon ! Quand tu en auras fini avec lui, tu me le passes ? T’as vu son torse ? Bien trop long ! avait protesté Hortense. Je m’en fiche. Torse long, appendice intéressant.

Mary Dorsey était un cas désespéré. Elle avait tout essayé : le speed dating, le slow dating, le blind, le jewish, le christian, le New Labour, le Tory, le dirty, le wikipedi, le kinky… Elle était prête à prendre tous les risques pour ne plus rester seule chez elle, le soir, à manger des Ben & Jerry en sanglotant devant la scène finale de An affair to remember[1] lorsque Cary Grant se rend enfin compte que Deborah Kerr lui cache quelque chose sous le grand plaid beige. Seule, en survêtement déteint, une houle de Kleenex froissés autour d’elle, Mary gémissait je veux un homme qui soulève mon plaid et m’emporte dans ses bras ! Et comme elle avait englouti, en plus des pots de crème glacée, une bouteille de Drambuie, elle ajoutait, poisseuse de larmes et de rimmel, « Il n’y a plus de Cary Grant sur terre, c’est fini, fini… l’homme viril est en voie de disparition » avant de rouler en sanglotant sur le parquet rejoindre les Kleenex froissés.

Elle aimait à raconter ces scènes pitoyables qui ne la mettaient pas vraiment en valeur. Elle affirmait qu’il fallait aller très bas dans le dégoût de soi afin de rebondir.

Le souvenir de cette conversation détourna la trajectoire d’Hortense qui allait poser la main sur l’épaule de Mary Dorsey. Elle bifurqua vers une silhouette blonde, ravissante, étonnante…


C’est alors qu’elle reconnut Agyness Deyn. Agyness Deyn, en personne. The it girl. The girl tout court. Celle qui allait bouter Kate Moss hors des podiums. L’égérie de Burberry, Giorgio Armani, Jean-Paul Gaultier, qui poussait la chansonnette au sein des Five O’clock Heroes et collectionnait les couvertures de Vogue, Elle, Grazia. Elle était là, très blonde, très mince, un foulard très bleu marine dans ses cheveux très blonds coupés très court, en collants très rouges et tennis très blanches, une petite robe à froufrous en dentelle et un blouson étriqué en vieux jean usé.

Divine !

Et avec qui parlait Agyness Deyn dans un grand sourire bienveillant, l’air visiblement intéressé même si ses yeux balayaient autour d’elle à la recherche d’autres poissons à ferrer ? Avec Steven et Nick, les deux cinéphiles qui lui avaient servi de carton d’invitation.

Hortense lança une hanche en avant et fendit la foule. Elle arriva à hauteur du petit groupe et se jeta dans la conversation.

Le plus comestible des deux, Nick, racontait comment il avait défilé à la Fashion Week à Paris pour Hedi Slimane. Agyness Deyn lui demanda ce qu’il pensait de la collection de Hedi. Nick répondit qu’il se souvenait à peine du défilé, mais bien mieux de la fille qu’il avait culbutée sous l’escalier d’une boîte parisienne.

Ils éclatèrent de rire. Hortense se força à les imiter. Puis Agyness sortit un feutre de son minuscule sac rouge et nota le nom de la boîte sur ses tennis blanches. Hortense l’observait, fascinée. Elle se demanda si, de loin, on voyait bien qu’elle faisait partie du groupe et se rapprocha afin qu’il n’y ait aucun doute.

Une autre fille s’avança et, attrapant le verre de Nick, le vida d’un coup. Puis elle s’appuya sur l’épaule d’Agyness et dégoisa :

I’m so pissed off ! Cette soirée pue ! C’est vraiment un truc de pauvre de rester à Londres le week-end ! J’aurais mieux fait de filer à la campagne ! C’est qui celle-là ? demanda-t-elle en tendant une griffe rouge vers Hortense.

Hortense se présenta en essayant de gommer son accent français.

French ? dégueula la nouvelle arrivée dans une moue de gorgone.

— Vous connaissez Hedi Slimane alors ? demanda Nick en ouvrant grand un œil charbonneux.

Hortense se souvint alors qu’elle avait vu sa photo dans Metro, il sortait d’une boîte au bras d’Amy Winehouse, un sac de vomi sur la tête.

— Euh… non ! bégaya Hortense, impressionnée par l’imberbe Nick.

— Oh, laissa-t-il tomber, déçu.

— À quoi ça sert alors d’être française ? dit la fille à griffes rouges en haussant les épaules. Anyway, dans la vie rien ne sert à rien, il faut juste attendre que le temps passe et que mort s’ensuive… Tu comptes rester longtemps ici ou on va se saouler ailleurs, darling ? demanda-t-elle à la somptueuse Agyness en tétant le goulot d’une bouteille de bière.

Hortense ne trouva pas de répartie et, furieuse contre elle-même, décida de quitter cet endroit qui puait vraiment. Je rentre chez moi, j’en ai assez supporté comme ça, je hais les îles, je hais les Anglais, je hais l’Angleterre, je hais les scones, je hais Turner, les corgis et la fucking queen, je hais le statut de Hortense Nobody, je veux être riche, célèbre, chic, que tout le monde me craigne et me déteste.


Elle pénétra dans la pièce à manteaux, chercha le sien. Elle en souleva un puis un autre puis un troisième, se demanda un instant si elle n’allait pas voler un Michael Kors à col de fourrure blonde, hésita puis le reposa. Trop risqué… Avec leur manie de mettre des caméras partout, elle se ferait pincer à la sortie. On était filmé jour et nuit dans cette ville. Elle perdit patience, enfonça la main dans le tas de défroques abandonnées et poussa un cri. Elle avait touché une chair tiède. Un corps animé qui se mit à bouger en grognant. Un homme gisait sous les vêtements. Il devait cuver un tonneau de Guinness ou avait avalé une cartouche d’herbe. Le samedi soir était le soir des cuites et des ivresses infinies. Les filles titubaient dans des ruisseaux de bière, le string à l’air, pendant que des garçons sans lâcher leur verre tentaient de les coincer contre un mur avant de vomir à l’unisson. Pathétique ! So crass ! Elle pinça une manche noire et l’homme rugit. Elle s’arrêta, surprise : elle connaissait cette voix. Creusa plus profondément et arriva jusqu’à Gary Ward.


Il était allongé sous plusieurs couches de manteaux, des écouteurs sur les oreilles et savourait la musique, les yeux clos.

— Gary ! hurla-t-elle. Qu’est-ce que tu fous ici ?

Il ôta ses écouteurs et la considéra, hébété.

— J’écoute l’immense Glenn Gould… C’est si beau, Hortense, si beau. La façon dont il fait sonner ses notes comme si c’étaient des perles animées et…

— Mais tu n’es pas au concert ! T’es dans une soirée !

— J’ai horreur des soirées.

— Ben c’est toi qui m’as…

— Je croyais que t’allais venir…

— Et là devant toi, c’est qui ? Mon fantôme ?

— Je t’ai cherchée, je t’ai pas vue…

— Et moi je t’ai vu avec miss que-je-veux-pas-nommer. Collé contre elle, enlacé, protecteur. Une horreur…

— Elle avait bu, je la tenais debout…

— Depuis quand tu bosses pour la Croix-Rouge ?

— Crois ce que tu veux mais je la tenais d’un bras et je te cherchais des yeux…

— Ben, tu vas pouvoir t’acheter une canne blanche !

— Même que tu parlais avec deux crétins… Alors, j’ai laissé tomber. T’adores les crétins.

Il avait remis ses écouteurs et tirait les manteaux sur lui, essayant de disparaître à nouveau sous cette épaisseur lourde et molle qui l’isolait du monde.

— Gary ! ordonna Hortense. Écoute-moi…

Il lança une main et l’attira vers lui. Elle plongea dans une immensité de lainages rugueux et doux, renifla plusieurs odeurs de parfum, reconnut un Hermès, un Chanel, un Armani, tout se mélangea, elle traversa des doublures de soie et des manches rêches, tenta de résister, de se déprendre du bras qui l’emmenait mais il la bloqua contre lui et l’arrima fermement en ramenant les manteaux sur eux.

— Chut ! Faut pas qu’on nous voie !

Elle se retrouva le nez dans son cou. Puis sentit un embout en plastique dans son oreille et entendit de la musique.

— Écoute, écoute comme c’est beau ! Le Clavier bien tempéré

Il recula légèrement et la dévisagea. Il souriait.

— Tu connais plus belle chose ?

— Gary ! Pourquoi…

— Chut ! Écoute… Les touches, Glenn Gould ne les frappe pas, il les détache, il les imagine, il les recrée, il les sculpte, il les invente pour que le piano produise un son exceptionnel. Il n’a même pas besoin de jouer pour faire de la musique ! C’est à la fois terriblement charnel, matériel et immatériel…

— Gary !

— Sensuel, retenu, aérien… C’est comme si… je ne sais pas moi…

— Quand tu m’as dit de venir ici…

— Le mieux, c’est encore d’écouter…

— Je voudrais savoir…

— Tu peux donc jamais te taire !

La porte de la chambre s’ouvrit violemment et ils entendirent le fracas d’une voix de femme. La voix rauque, lourde, traînante d’une femme qui avait trop bu. Elle avançait en titubant dans la chambre, heurtait la cheminée, jurait, repartait à la recherche de son manteau…

— Je l’ai pas posé sur le lit, je l’ai mis là, sur le portant. C’est un Balenciaga tout de même…

Elle n’était pas seule. Elle parlait à un homme.

— Vous êtes sûre ? disait l’homme.

— Si je suis sûre ! Un Balenciaga ! Vous savez ce que c’est, j’espère !

— C’est Charlotte, murmura Gary. Je reconnais sa voix. Mon Dieu ! Qu’est-ce qu’elle tient ! Elle qui ne boit jamais !

Elle demandait vous n’avez pas vu Gary Ward ? Il devait me ramener… Tout à coup il a disparu. Parti. De la fumée ! I’m so fucked up. Can’t even walk !

Elle se laissa tomber de tout son poids sur le grand lit et Gary ramena précipitamment ses jambes, les mêlant à celles d’Hortense. Il lui fit signe de se taire, de ne pas bouger. Elle entendait le bruit sourd du cœur de Gary et le bruit sourd de son cœur à elle. Elle essaya de les faire battre à l’unisson et sourit.

Gary devina qu’elle souriait et chuchota pourquoi tu ris ? Je ris pas, je souris… Il la serra contre lui et elle se laissa faire. Tu es ma prisonnière, tu ne peux plus bouger… Je suis ta prisonnière parce que je ne peux plus bouger mais attends un peu que… Il la bâillonna et elle sourit encore dans la paume de sa main.

— Vous avez fini de vous regarder dans la glace ? criait Charlotte Bradsburry d’une voix qui dégringolait les octaves. Je crois qu’il y a quelqu’un dans le lit… Ça vient de bouger…

— Et moi, je crois que vous avez trop bu. Vous devriez aller vous coucher… Vous avez l’air mal en point, répondit l’homme comme on parle à une enfant malade.

— Non ! Je vous assure, le lit bouge !

— C’est ce que disent tous les gens qui ont trop bu… Allez, rentrez chez vous !

— Mais je vais rentrer comment ? gémit Charlotte Bradsburry. Oh ! Mon Dieu ! Je n’ai jamais été dans un état aussi… Que s’est-il passé ? Vous avez une idée ? Et puis arrêtez de vous regarder dans cette glace ! Vous êtes fatigant à la fin !

— Je ne me regarde pas, je me dis qu’il me manque quelque chose… Quelque chose que j’avais quand je suis arrivé…

— Ne cherchez pas ! Il vous manque quelque chose que vous n’aurez jamais…

— Ah bon ?

Qu’est-ce qu’elle va lui sortir ? soupira Hortense. Elle ferait mieux de se casser et de nous laisser la voie libre… Je suis très bien, moi, dit Gary… On devrait faire ça dans toutes les soirées, se cacher sous des manteaux et… Il passa un doigt sur les lèvres d’Hortense et les caressa. J’ai très envie de t’embrasser… et d’ailleurs, je crois bien que je vais t’embrasser, Hortense Cortès. Hortense sentait son souffle comme une buée sur ses lèvres et répondit en effleurant sa bouche c’est trop facile, trop facile, Gary Ward, vous l’emporterez pas au paradis. Il parcourait l’ourlet de sa bouche de son index délicat. On fera plus compliqué après, j’ai plein d’idées…

— Je ne vous demanderai pas ce que c’est car je crains que ce ne soit désobligeant, répondit l’homme.

— Je vais rentrer. Demain je dois me lever tôt…

— Ah ! C’est cela, j’avais une écharpe rouge !

— Quelle vulgarité !

— Je vous en prie…

Quelle crétine ! pesta Hortense. Il ne va jamais vouloir la raccompagner ! Chut ! ordonna Gary et ses doigts continuèrent à dessiner les lèvres d’Hortense. Tu sais que tes lèvres n’ont pas le même renflement de chaque côté ? Hortense recula, tu veux dire que je suis pas normale ? Non au contraire… tu es terriblement banale, on a tous la bouche asymétrique. Moi pas. Moi, je suis parfaite.

— Je peux vous déposer si vous voulez. Vous habitez où ? demanda l’homme.

— Ah ! C’est la première phrase intéressante que vous prononcez…

Charlotte Bradsburry tenta de se relever et n’y parvint pas. À chaque essai, elle retombait lourdement sur le lit et finit par se laisser choir de tout son poids.

— Je vous dis qu’il y a quelqu’un là-dessous… J’entends des voix…

— Allez, donnez-moi le bras que je vous tire de là et que j’aille vous jeter chez vous !

Charlotte Bradsburry bougonna quelque chose que ni Hortense ni Gary ne comprirent et ils les entendirent partir, l’une trébuchant, l’autre la soutenant.


Puis Gary se pencha vers Hortense et la contempla sans rien dire. Ses yeux bruns semblaient habités par un rêve primitif, ombrés d’une lueur sauvage. Ce serait si plaisant de vivre cachés sous des manteaux, à l’abri, on mangerait des cookies et on boirait des cafés avec une longue paille, on ne serait plus jamais obligés de se mettre debout et de courir partout comme le lapin d’Alice au pays des merveilles. Jamais pu l’encadrer, ce Rabbit à la montre en perpétuelle érection. Je voudrais passer ma vie à écouter Glenn Gould en embrassant Hortense Cortès, en caressant les cheveux d’Hortense Cortès, en respirant chaque fleur de la peau d’Hortense Cortès, en inventant pour elle des accords, mi-fa-sol-la-si-do et en les lui chantant dans l’ourlet de l’oreille.

Je voudrais, je voudrais…

Il ferma les yeux et embrassa Hortense Cortès.


C’est donc cela un baiser ! s’étonna Hortense Cortès. Cette brûlure suave qui donne envie de se jeter sur l’autre, de l’aspirer, de le lécher, de le renverser, de s’enfoncer en lui, de disparaître…

De se dissoudre dans un lac profond, de laisser flotter sa bouche, ses lèvres, ses cheveux, sa nuque…

Perdre la mémoire.

Devenir boule de caramel, se laisser goûter du bout de la langue.

Et goûter l’autre en inventant le sel et les épices, l’ambre et le cumin, le cuir et le santal.

C’est donc cela…

Jusqu’à maintenant, elle n’avait embrassé que des garçons qui l’indifféraient. Elle embrassait utile, elle embrassait mondain, elle embrassait en repoussant une boucle de cheveux élastique et en regardant par-dessus l’épaule de son prochain. Elle embrassait en toute lucidité, s’indignant d’une meurtrissure des dents, d’une langue cannibale, d’une salive baveuse. Il lui était arrivé aussi d’embrasser par désœuvrement, par jeu, parce qu’il pleuvait dehors ou que les fenêtres avaient des petits carreaux qu’elle n’avait pas fini de compter. Ou, souvenir qui l’embarrassait, pour obtenir d’un homme un sac Prada ou un petit haut Chloé. Elle préférait oublier. C’était il y a longtemps. Elle n’était qu’une enfant, il s’appelait Chaval[2]. Quel homme grossier et brutal !

Elle revint à la bouche de Gary et soupira.

Ainsi il arrive qu’un baiser procure du plaisir…

Un plaisir qui se faufile dans le corps, jette des petites flammes, allume mille frissons dans des endroits qu’elle n’aurait jamais soupçonnés être inflammables.

Jusque sous les dents…

Le plaisir… Quel délice !

Et aussitôt, elle nota qu’il fallait se méfier du plaisir.


Plus tard, ils marchèrent dans le noir.

Dans les rues blanches des beaux quartiers en allant vers Hyde Park. Des rues où les perrons blancs s’ordonnent en ronde sage.

Vers l’appartement de Gary.

Ils marchaient en silence en se tenant la main. Ou plutôt en balançant leurs bras et leurs jambes dans le même élan, la même cadence, en avançant un pied gauche avec le pied gauche de l’autre, un pied droit avec le pied droit de l’autre. Avec le sérieux et la concentration d’un horse guard à bonnet fourré de Sa Gracieuse Majesté. Hortense se souvenait de ce jeu-là : ne pas changer de pied, ne pas perdre la cadence. Elle avait cinq ans et donnait la main à sa mère en revenant de l’école Denis-Papin. Ils habitaient Courbevoie ; elle n’aimait pas les réverbères de la grande avenue. Elle n’aimait pas la grande avenue. Elle n’aimait pas l’immeuble. Elle n’aimait pas ses habitants. Elle détestait Courbevoie. Elle repoussa le souvenir et rattrapa le présent.

Serra la main de Gary pour s’ancrer solidement dans ce qui allait être, elle en était sûre, son lendemain. Ne plus le lâcher. L’homme aux boucles brunes, aux yeux changeants, verts ou bruns, bruns ou verts, aux dents de carnassier élégant, aux lèvres qui allument des incendies.

Ainsi c’est cela un baiser…


— C’est donc cela, un baiser, dit-elle à voix presque chuchotée.

Les mots s’évaporèrent dans la nuit noire.

Il lui rendit sa pression d’une main légère et douce. Et prononça des vers qui habillèrent l’instant de beauté solennelle.


Away with your fictions of flimsy romance,

Those tissues of falsehood which Folly has wove ;

Give me the mild beam of the soul-breathing glance

Or the rapture which dwells on the first kiss of love[3].


— Lord Byron… The first kiss of love.

Le mot love tomba dans la nuit comme un pavé enrubanné. Hortense faillit le ramasser et le glisser dans sa poche. Qu’est-ce qu’il lui arrivait ? Elle était en train de devenir terriblement sentimentale.

— Tu n’aurais pas pu te cacher sous des manteaux si on avait été en juillet…, gronda-t-elle pour se défaire de ce gluant rose bonbon dans lequel elle s’enfonçait.

— En juillet, je ne sors jamais. En juillet, je me retire…

— Comme Cendrillon après minuit ? Pas très viril comme posture !

Il la poussa contre un arbre, encastra ses hanches dans les siennes et reprit la course de son baiser sans lui laisser le temps de répondre. Elle reçut sa bouche, entrouvrit les lèvres pour que le baiser se déploie, passa la main dans sa nuque, alla caresser le rectangle de chair tendre juste derrière l’oreille, s’y attarda du bout des doigts, sentit les mille foyers d’incendie se rallumer sous le souffle chaud de Gary…

— Souviens-toi, Hortense, de ne pas me provoquer, murmura-t-il en déposant chaque mot sur les lèvres douces et fermes. Je peux perdre self-control et patience !

— Ce qui pour un gentleman anglais…

— … serait regrettable.

Elle mourait d’envie de lui demander comment s’était terminée son idylle avec Charlotte Bradsburry. Et si elle était vraiment terminée. Finie, finie comme un grand trait tiré ? Ou finie avec promesse de retour, de retrouvailles, de baisers qui mordent les entrailles ? Mais Byron et le gentleman anglais la rappelèrent à l’ordre, la corsetant dans un dédain méprisant envers l’étrangère. Tiens-toi bien, ma fille, ignore la gourgandine. Classe l’affaire. C’est du passé. Il est là, à tes côtés et vous marchez tous les deux dans la nuit anglaise. Pourquoi troubler cette douceur exquise ?


— Je me demande toujours ce que font les écureuils la nuit ? soupira Gary. Dorment-ils debout, allongés, lovés en boule dans un nid ?

— Réponse numéro 3. L’écureuil dort dans un nid, la queue en éventail au-dessus de la tête. Le nid est fait de brindilles, de feuilles et de mousse, posé dans l’arbre, pas plus haut que neuf mètres de peur d’être culbuté par le vent…

— Tu viens d’inventer ?

— Non. Je l’ai lu dans un Spirou… Et j’ai pensé à toi…

— Ah ! Ah ! tu penses à moi ! s’exclama-t-il en levant un bras en signe de victoire.

— Ça m’arrive.

— Et tu fais semblant de m’ignorer ! Tu joues les belles indifférentes.

Strategy of love, my dear !

— Tu es imbattable en stratégie, Hortense Cortès, n’est-ce pas ?

— Juste lucide…

— Je te plains, tu t’imposes des limites, tu te ligotes, tu te rétrécis… Tu refuses le risque. Le risque qui seul fait naître la chair de poule…

— Je me protège, c’est différent… Je ne suis pas de ceux qui pensent que la souffrance est la première marche du bonheur !


Le pied gauche passa son tour et le pied droit hésita, resta en l’air, boita. La main d’Hortense s’échappa de celle de Gary. Hortense s’arrêta et leva la tête, le menton fier d’un petit soldat qui part en guerre, l’air sérieux, grave, presque tragique de celle qui a pris une résolution importante et veut être entendue.

— Personne ne me fera souffrir. Jamais un homme ne me verra pleurer. Je refuse le chagrin, la douleur, le doute, la jalousie, l’attente qui ronge, les yeux bouffis, le teint jaune de l’amoureuse dévorée par le soupçon, l’abandon…

— Tu refuses ?

— Je n’en veux pas. Et je me porte très bien comme ça.

— Tu en es sûre ?

— N’ai-je pas l’air parfaitement heureuse ?

— Surtout ce soir…

Il essaya de rire et tendit la main pour lui ébouriffer les cheveux et ôter un peu de gravité à la scène. Elle le repoussa comme si avant qu’un autre baiser ne l’emporte, avant qu’elle ne perde pour quelques instants ses esprits, il fallait qu’ils signent tous les deux une charte de respect mutuel et de bonne conduite.

L’heure n’était pas à la plaisanterie.

— J’ai décrété une bonne fois pour toutes que je suis rare, unique, magnifique, exceptionnelle, belle à tomber, futée, cultivée, originale, douée, hyperdouée… et quoi d’autre ?

— Je crois que tu n’as rien oublié.

— Merci. Envoie-moi une note si j’ai omis une perfection…

— Je n’y manquerai pas…


Ils reprirent leur marche dans la nuit, mais le pied droit et le pied gauche s’étaient désunis et leurs mains s’effleuraient sans se joindre. Au loin, Hortense apercevait les grilles du parc et les grands arbres qui penchaient doucement sous le vent. Elle voulait bien se laisser ébranler par un baiser, mais elle ne voulait pas se mettre en danger. Il fallait que Gary le sache. Après tout, ce n’était que pure honnêteté de le prévenir. Je ne veux pas souffrir, je ne veux pas souffrir, reprit-elle en adjurant la cime des grands arbres de lui épargner les tourments ordinaires de l’amour.

— Dis-moi une chose, Hortense Cortès : tu le mets où le cœur dans tout ça ? Tu sais cet organe qui palpite, déclenche des guerres, des attentats…

Elle s’arrêta et pointa un doigt triomphant sur son crâne.

— Je le mets à la seule place qu’il devrait occuper, c’est-à-dire là… dans mon cerveau… comme ça j’ai une maîtrise totale sur lui… Pas bête, non ?

— Surprenant… Je n’y avais jamais pensé…, dit Gary en se voûtant un peu.

Ils marchaient maintenant écartés l’un de l’autre, se tenant à distance pour mieux se mesurer.

— Le seul truc que je me demande… devant une telle maestria qui force l’admiration… c’est si…

Le regard d’Hortense Cortès lâcha la cime des grands arbres pour venir se poser sur Gary Ward.

— Si je vais être à la hauteur de tant de perfection…

Hortense lui sourit avec indulgence.

— Ce n’est qu’une histoire d’entraînement, tu sais… J’ai commencé très tôt.

— Et comme je n’en suis pas sûr, qu’il faut que je peaufine encore quelques détails qui pourraient faire tache et me couler à tes yeux, je crois que je vais te laisser rentrer toute seule, Hortense ma belle… et regagner mon logis pour me perfectionner dans l’art de la guerre !

Elle s’arrêta, posa une main sur son bras, lui sourit d’un petit sourire qui disait tu plaisantes, là ? t’es pas sérieux…, appuya plus fort sur le bras… Elle sentit alors se creuser un gouffre dans son corps qui se vidait, se vidait d’un seul coup, se vidait de toute la chaleur délicieuse, de toutes les petites flammes, les petites fourmis, les mille allégresses qui lui faisaient mettre un pied droit dans son pied droit, un pied gauche dans son pied gauche et avancer, gaillarde et légère, dans la nuit…

Elle retomba sur le macadam gris et noir, un grand froid glacial lui coupa le souffle.

Il ne répondit pas et poussa la porte de son immeuble.

Se retourna et lui demanda si elle avait de quoi prendre un taxi ou si elle voulait qu’il en hèle un.

— Car je suis un gentleman et je ne l’oublie pas !

— Je… Je… J’ai pas besoin ni de ton bras ni de…

Et, ne trouvant plus ses mots qu’elle essayait de choisir les plus blessants, les plus humiliants, les plus assassins, elle serra les poings, remplit ses poumons d’une rage froide, fit monter une tornade du plus profond de son ventre et hurla, hurla dans la nuit noire de Londres :

— Va rôtir en enfer, Gary Ward, et que je ne te revoie plus jamais ! Jamais !

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