— L’un des médiums prétend qu’il perçoit une troisième personne.
— C’est impossible, cela ne correspond à rien.
— Si je peux me permettre, nous sommes depuis longtemps assez loin du possible, monsieur.
— Eh bien, essayez d’identifier cet individu et trouvez-le.
— Les médiums parlent d’une entité.
— Je me fiche de la façon dont ils l’appellent, dites à nos agents de me le ramener et je lui demanderai moi-même ce qu’il est !
Stefan avait étalé quelques pages extraites des disquettes et les désignait du doigt avec exaltation.
— Ces deux savants devraient être aussi célèbres qu’Einstein ou Newton ! Si j’ai bien compris, il y a plus de vingt ans, ce couple de chercheurs aurait découvert comment fonctionne la mémoire. Leur théorie est fascinante. Pour eux, le cerveau serait en fait un émetteur-récepteur dont seule une infime partie serait dédiée à notre fonctionnement physique et à l’apprentissage pratique de notre vie. Tout le reste, l’affectif, le spirituel, ne serait pas traité directement dans notre cerveau, mais au sein d’une sorte de conscience collective, une entité psychique commune à tous les êtres et à laquelle nous serions tous connectés. Chacun pourrait, suivant des affinités qui lui sont propres et qui conditionnent son type de connexion, y puiser et y placer ses sentiments et ses pensées…
— « Le repaire des âmes », commenta Valeria, songeuse.
— Le quoi ? s’exclama Peter.
— Le repaire des âmes. C’est ainsi que les Égyptiens désignaient cette conscience collective. C’est une notion que l’on retrouve depuis les temps les plus reculés dans presque toutes les religions.
— C’est même la définition que certains donnent de Dieu, renchérit Stefan.
— Une conscience commune à tous… Cela expliquerait que l’esprit d’une personne puisse lui survivre.
— En fin de compte, c’est quelque chose que nous sentons tous intuitivement, réfléchit Valeria. Combien de gens vivent encore en nous et nous guident bien après leur mort !
— Mais d’habitude, c’est un sentiment diffus, intervint Stefan. On se souvient d’une œuvre, d’une pensée, d’un principe de vie. Dans notre cas, les Destrel ont réussi à nous connecter avec une partie très précise de cette mémoire collective : la leur. Cette conscience universelle ne serait pas le mélange de toutes les âmes, mais le sanctuaire de chacune…
— Cela confirmerait ce qu’affirment des médiums lorsqu’ils prétendent pouvoir atteindre l’esprit des disparus, dit Valeria.
Elle porta la main à son front.
— Eh bien, on n’a pas fini de se torturer les méninges !
— Là où les Destrel ont fait fort, c’est sur la transmission de leur savoir, fit observer Stefan. Ils avaient tout prévu. Ils se doutaient que ceux qui serviraient de réceptacle à leur mémoire ne seraient pas forcément des spécialistes. Ils ont pris soin de rédiger leurs notes dans un langage très accessible. Il me faudra quand même des jours pour tout lire…
— Et à coup sûr plusieurs vies pour tout comprendre, lança Peter.
Puis, sur un ton abattu, il ajouta :
— Pourquoi a-t-il fallu que cette histoire tombe sur nous ? Nous voilà médiums malgré nous. J’aimerais bien savoir comment on s’en sort.
— D’autant qu’il y a autre chose, révéla Stefan.
Le jeune homme regarda ses deux compagnons dans les yeux, prit une profonde inspiration et se lança :
— Apparemment, il serait possible d’amplifier notre lien avec eux. Dans leur rapport d’expérimentation, les deux chercheurs présentent un second volet de leur théorie. Ils parlent du réveil de la mémoire antérieure. Il semble que le casque qui se trouve avec les documents leur ait servi à graver l’emplacement de la cachette dans cette mémoire dont nous avons hérité. Ils proposent un moyen de réveiller leurs souvenirs en nous…
— Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée, objecta Valeria.
— Que risque-t-on ? demanda Peter.
— Ils n’en disent rien. Ils ne font qu’émettre des hypothèses, sans aucun argument scientifique. Ils n’ont visiblement pas eu le temps de mener d’étude, ils étaient déjà pourchassés.
— Pourtant nous sommes là, nota Peter. C’est la preuve que leurs théories ne sont pas totalement farfelues.
— Le fait de mettre en pratique leur expérience peut être dangereux, fit observer Stefan. Personne n’en connaît la fiabilité, eux-mêmes avouent dans leur carnet avoir tenté le procédé de marquage à l’aveuglette. Ils ont tout risqué parce qu’ils n’avaient plus d’autre alternative. Qui sait ce que provoquerait le fait d’enfiler ce casque ? Il s’agit quand même de bidouiller notre cerveau ! Essayer de réveiller la totalité de leur mémoire pourrait très bien ne pas marcher ou avoir des effets désastreux.
— Le seul moyen d’en savoir plus, c’est effectivement de faire l’essai, déclara Peter. Mais ça ne me plaît pas plus qu’à toi.
— Je ne suis pas du tout certaine d’avoir envie de vous suivre là-dessus… fit Valeria.
— Il faut pourtant le tenter, trancha Peter. Si on veut trouver toutes les réponses, on ne peut pas se permettre de manquer une occasion pareille.
— Tu n’as pas tort, renchérit Stefan. De toute façon, personne d’autre que nous ne pourra mener l’expérience.
— Je sais, soupira Valeria. Et bien que cela m’effraie, j’arrive à la même conclusion que vous. C’est insensé, mais nous n’avons pas le choix !
— Nous ne pourrons faire appel à aucun scientifique pour nous aider, fit remarquer Stefan. On ne doit faire confiance à personne. Nous n’avons que les notes des Destrel comme mode d’emploi.
— Et où allons-nous trouver tout le matériel ? s’inquiéta Valeria.
— J’ai peut-être une idée… répondit Peter, pensif.