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Peter soutenait Valeria. Les vertiges de la jeune femme étaient de plus en plus longs mais de moindre intensité. Son cerveau bouillonnait, elle entrevoyait désormais beaucoup de souvenirs liés à la maison. À la différence de Peter, elle n’avait pas besoin de dormir pour recevoir les implants psychiques venus de Cathy Destrel.

L’oreille collée à la porte, Stefan écoutait. Il tenait la bouteille vide par le goulot, prêt à s’en servir. Ils n’auraient droit qu’à une seule chance. Il avait aussi arraché la gaine métallique protégeant les fils électriques du plafonnier en panne et s’en était fait une sorte de fouet.

— Ça va ? demanda-t-il à voix basse.

— On est prêts.

— Tu les entends venir ? interrogea Valeria.

Avant même que Stefan réponde, ils entendirent les pas dans l’escalier. Une seule personne. La lenteur de la démarche et le très léger tintement de vaisselle indiquaient que l’homme était chargé. Il posa le plateau devant la porte et retira la barre, sortit le trousseau de clés de sa poche et déverrouilla. Calant la porte avec le pied, il l’entrebâilla. À la vue des trois jeunes gens effondrés sur le sol, il ouvrit en grand et glissa le plateau à l’intérieur.

D’un mouvement sec, Stefan fit siffler son fouet, qui atteignit l’homme au visage. Le grand type poussa un cri rauque et porta ses mains à son œil. Stefan bondit et se jeta sur lui. Il le frappa violemment à la tête avec sa bouteille. Au même moment, Peter assena un puissant crochet à l’estomac de leur geôlier. L’homme s’affala sur lui-même contre le mur du couloir.

D’une main, Peter attrapa le pain posé sur le plateau et de l’autre, aida Valeria à sortir. Après de longues heures dans l’obscurité, même la faible lumière du couloir était aveuglante.

— Il faut remonter, indiqua Stefan. L’autre type doit être dans une chambre située juste à gauche en haut de l’escalier. On y va avec Peter et on se le fait par surprise.

— Non, trancha Valeria. On passe par là.

Elle désigna un étroit couloir qui partait dans l’autre direction et s’enfonçait dans la cave.

— Il y a une trappe de service qui donne directement dehors.

— Tu en es sûre ?

— Je vous l’ai dit, je connais cet endroit.

Peter retira les chaussures et la veste du garde et les tendit à la jeune femme.

— Je sais que ce n’est pas ta pointure, mais ça ou courir dehors pieds nus…

Il confisqua également son revolver.

Les trois jeunes gens se faufilèrent à travers le dédale humide. Par moments, Valeria hésitait une ou deux secondes, mais elle finissait toujours par s’y retrouver.

— Eh, Mike ! Qu’est-ce que tu fous ?

L’autre garde venait d’interpeller son complice qui tardait à remonter.

— Dépêchons-nous, fit Peter.

La voix du garde résonna de nouveau.

— Mike, réponds !

Les trois fuyards l’entendirent dévaler l’escalier. L’homme jura en découvrant son complice sur le sol et le cachot grand ouvert. Il se mit à hurler :

— Professeur, professeur ! Ils se sont enfuis !

Essayant de rester concentrée malgré la peur qui montait en elle, Valeria pénétra dans une salle et, sans hésiter, escalada le tas de vieux charbon empilé au fond. Elle fut soulagée de découvrir deux battants métalliques en haut de la paroi.

— C’est là. Ça donne dehors.

Peter grimpa pour la rejoindre. Les battants étaient fermés par une serrure. Le jeune homme tira, sans succès.

— C’est fermé à clé ! On est bloqués.

Ils entendaient déjà leurs poursuivants dans le couloir. Le garde et Jenson étaient sur leurs talons.

— Attendez ! s’exclama Valeria.

Avec frénésie, elle se mit à inspecter le pourtour des tuyaux de chauffage et d’écoulement qui parcouraient les murs de la pièce.

— Ils arrivent, s’inquiéta Stefan. Qu’est-ce qu’on fait ?

Peter descendit du charbon et vérifia que le revolver du garde était bien chargé. Six balles. Il se plaça en embuscade à l’entrée de la pièce, prêt à faire feu sur ce qui se présenterait dans le couloir.

La voix de Jenson monta :

— Vous ne pourrez pas sortir, vous le savez bien. Rendez-vous !

Valeria poursuivait sa fouille. Pour l’instant, elle n’avait déniché que des toiles d’araignée et des excréments de rongeurs.

Jenson lança :

— Si vous revenez maintenant, je promets qu’aucun mal ne vous sera fait.

La main de Valeria rencontra enfin ce qu’elle cherchait : une clé. Elle se précipita vers les battants métalliques, l’introduisit dans la serrure, mais ne réussit pas à l’actionner. Stefan vint lui prêter main-forte et, ensemble, ils parvinrent à forcer le mécanisme grippé.

Une silhouette se profila dans le couloir. Peter fit feu. L’ombre recula. Il entendit des chuchotements, puis un silence inquiétant s’installa.

En forçant, Stefan et Valeria réussirent à entrouvrir le premier battant. Stefan glissa ses doigts dans l’interstice et tira. Le passage s’ouvrit en grinçant. Il donnait au pied d’un foisonnant buisson de ronces dans lequel une souris n’aurait pas pu se faufiler. Stefan jura. Valeria, qui avait repéré quelques vieilles lattes de parquet dans un recoin, sauta du tas de charbon pour aller les chercher.

— On va se frayer un chemin, dit-elle, décidée. On en sortira tailladés mais je préfère ça plutôt que de retomber entre les mains de l’autre malade…

Dans le couloir retentit un choc sourd et violent. Peter crut d’abord qu’il s’agissait d’une grenade fumigène, mais il ne vit rien apparaître. Il entendit d’autres chuchotements, puis soudain une ombre se dessina. Il fit feu. Cette fois, la forme ne recula pas. Peter écarquilla les yeux. À l’autre bout du couloir, le garde avançait dans sa direction, protégé par la porte de leur cachot qu’il avait dégondée et tenait devant lui tel un bouclier. Bien que ralenti par le poids du battant, il progressait assez rapidement. Peter ouvrit le feu en visant les bords pour essayer de toucher les mains. Les balles ricochèrent. Le jeune homme tenta alors de viser les pieds, sans plus de succès.

— Dernier avertissement ! gronda Jenson, ne me mettez pas en colère…

Dans l’inextricable buisson, à plat ventre sur les planches, Stefan avait progressé d’un bon mètre. Debout sur le tas de charbon dans son peignoir maculé de terre et de charbon, Valeria lui passait les planches au fur et à mesure. Les morceaux noirs irréguliers roulaient sous ses pieds. Elle se retourna vers Peter.

— Il faut y aller, lui souffla-t-elle.

Le jeune homme répondit sans détourner le regard de sa cible.

— Filez, je vais les bloquer.

Il cherchait désespérément où faire feu pour stopper l’avance du garde derrière son bouclier improvisé.

Toujours allongé, Stefan fit remonter une planche le long de son corps et la poussa devant lui. En utilisant cet appui et son poids, il parvint à coucher les tiges de ronces qui se dressaient comme autant de barreaux. Il donna un dernier coup de reins et déboucha enfin. Valeria le suivit, ses bras et ses jambes nues lacérés par les épines.

Peter ne disposait plus que d’une seule balle. Il commença à reculer sur la pointe des pieds. Lorsque le garde ne fut plus qu’à quelques mètres de l’entrée de la réserve, le jeune homme tira en direction de l’ampoule électrique située juste au-dessus de son assaillant. Le globe explosa, projetant des éclats de verre sur le garde et plongeant le couloir dans la pénombre. Peter en profita pour battre en retraite. D’un bond, il sauta pour agripper le bord de la trappe de service. Une fois à l’extérieur, il attira les battants à lui, et les bloqua comme il le pouvait, sans se soucier des ronces qui l’entaillaient à chacun de ses mouvements. Trois coups de feu claquèrent. Le dernier percuta la plaque d’acier de la porte qu’il venait de refermer.

— Peter ! s’écria Valeria.

— Ça va ! répondit-il. J’arrive.

— Fais vite, par pitié !

À l’angle de la maison, une ombre apparut dans la nuit. Debbie fixait Valeria et Stefan de son regard inhumain, un couteau à la main.

— Jusqu’au bout, vous nous compliquerez la vie, cracha-t-elle.

Peter sortit du buisson tel un diable en brandissant une planche. L’assistante de Jenson, surprise, n’eut pas le temps de réagir. De toutes ses forces, Peter lui balança la planche au visage. La jeune femme la prit en pleine figure, tourna sur elle-même et s’effondra. Peter se pencha au-dessus d’elle :

— C’est pas extrasensoriel, ça, comme raclée ?

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