Il leur avait fallu marcher près de deux heures dans la nuit avant de trouver une voiture à voler. À plusieurs reprises, ils avaient cru que Jenson et ses hommes étaient sur le point de les rattraper.
Pour remplacer la chaussure trop grande restée coincée dans le fourré de ronces, Peter avait enroulé son sweat-shirt autour du pied de Valeria.
Arrivés au premier hameau, Stefan avait jeté son dévolu sur une petite Mazda. Avant d’être sûrs d’aller demander la protection de la police, tous trois avaient décidé d’aller se réfugier dans l’ancienne cache de Stefan située derrière les bungalows pour pêcheurs. Ils comptaient aussi sur les quelques boîtes de conserve et les vêtements qui y étaient restés. Tous savaient que le répit ne serait que de courte durée.
Valeria jouait avec les bouclettes du tissu éponge de son peignoir que les ronces avaient effiloché. Peter conduisait et Stefan, qui semblait se repérer dans les parages, le guidait. Le faisceau des phares accrochait des arbres, des murs de pierre. Une fois, un renard traversa juste devant eux.
Cette fois, ils se garèrent à l’extérieur de la zone de chalets et gagnèrent la cachette par la forêt. En tirant la plaque dissimulée sous les feuilles, Stefan eut l’impression de revenir chez lui. Il se laissa glisser dans le trou.
À tâtons, il chercha la lampe de camping et la boîte d’allumettes. Elles étaient un peu humides mais il finit par réussir à allumer. La lampe baignait l’endroit d’une chaude lueur.
— Les vêtements sont sous le lit de camp, indiqua-t-il à Valeria.
La jeune femme passa le bras sous la literie et tira la pile soigneusement pliée. Les tissus étaient eux aussi un peu humides mais cela n’avait pas d’importance. Elle était impatiente de se promener autrement qu’à moitié nue.
— Les garçons, pourriez-vous vous retourner pendant que je me change ?
Côte à côte, Peter et Stefan s’assirent sur la table basse. La lampe projetait leurs ombres vacillantes sur les parois. Stefan attrapa trois boîtes de boulettes de viande et vérifia la date de péremption.
— Si on s’était échappés deux semaines plus tard, on n’aurait rien eu à manger ! plaisanta-t-il.
— On va les faire réchauffer sur la lampe, proposa Peter.
— Vous pouvez vous retourner, annonça Valeria. Je suis prête !
Elle avait enfilé un pantalon de chasseur, une chemise et un pull bien trop grands pour elle. D’un geste, elle arrangea ses longs cheveux. Dans la lumière orangée, ses yeux semblaient encore plus veloutés.
Peter disposa la première boîte en équilibre sur le sommet chromé de la lampe. Valeria s’assit sur le lit de camp. Elle frissonna.
— Il faut aller voir les flics le plus tôt possible, dit-elle, sinon Jenson aura le temps de disparaître.
— Pour gagner du temps, on pourrait se séparer, proposa Stefan. L’un de nous va à la police et les deux autres vont planquer la mallette…
En chœur, Valeria et Peter secouèrent vigoureusement la tête.
— Non, fit Peter. On reste ensemble.
Stefan n’insista pas.
La sauce commençait doucement à bouillir. De petites bulles apparaissaient à la surface de l’épais jus rougeâtre. Stefan essuya un vieux verre puis son assiette et dit :
— Le service n’est pas génial. Je n’ai que ces deux récipients, mais ce n’est pas grave, je vais manger dans la boîte.
— J’ai tellement les crocs que je pourrais manger par terre, déclara Peter.
Stefan fit le service. Valeria s’approcha de la table, prit place sur la caisse et se jeta littéralement sur les boules de viande hachée.
Seul Stefan ne mangeait pas. Il observait ses deux compagnons.
— On s’en est sortis, fit-il remarquer.
— On a quand même eu chaud, une fois de plus… plaisanta Peter.
Valeria se contenta d’approuver d’un mouvement de la tête.
— Il va falloir dormir, reprit Stefan. Une grosse journée nous attend demain. Nous devons récupérer la mallette et la placer dans un endroit plus sûr. Elle y attendra peut-être longtemps.
— Quelqu’un sait où la mettre ? interrogea Peter.
— Ce ne sont pas les endroits qui manquent dans cette région, commenta Valeria.
— Tu as raison, réfléchissons-y chacun de notre côté. La nuit porte conseil, fit Stefan, qui se mit enfin à manger.
Valeria bâilla.
— On lève le camp à quelle heure ? demanda-t-elle en s’allongeant.
— Disons dans trois ou quatre heures, le temps de récupérer un peu, déclara Stefan.
— D’accord.
Peter rassembla les couverts et repoussa la table sous l’entrée pour dégager un peu de place.
— On a juste assez d’espace pour nous trois, dit-il.
— À la guerre comme à la guerre, observa Stefan avec un sourire.
Sur le lit de camp, Valeria était déjà en train de s’assoupir, épuisée. Peter déchira son peignoir sale pour en faire deux oreillers qu’il proposa à ses complices.
Stefan attendit que Peter soit étendu à même le sol pour éteindre la lampe. Dans l’obscurité de leur cachette, il resta les yeux grands ouverts.
— Bonne nuit, lança-t-il.
— Dors bien, répondit Peter.
Valeria marmonna, déjà à demi endormie.
Le silence s’installa. Peter sentait le sommeil le gagner.
— Peter ? lança Stefan.
— Qu’y a-t-il ?
— Je sais que ce n’est pas le moment, mais je voulais te dire un truc important.
Peter se redressa sur le coude et se tourna vers son ami.
— Vas-y.
— Vous êtes les deux personnes que je suis le plus heureux d’avoir rencontrées dans ma vie.
— Cool. Ça me touche vraiment, Stefan. Mais maintenant, tu dois dormir. On aura tout le temps d’en reparler quand on se sera débarrassés de Jenson.
— Tu as raison. À demain.