35

Debbie tendit la main vers Valeria et d’un geste précis du pouce, releva la paupière de la jeune femme. Elles étaient seules dans la salle d’examen. L’assistante de Jenson éclaira l’œil avec une lampe électrique. La pupille était fixe. Debbie laissa l’œil se refermer et glissa la lampe dans la poche de sa blouse.

— Je vais à présent énoncer une série de mots, déclara-t-elle. Dites-moi simplement ce qu’ils évoquent pour vous.

Valeria était sous hypnose, étendue dans un large fauteuil qui soutenait aussi ses jambes. Sa tête était calée par un coussin plastifié. Sur une chaise, toute proche, Debbie ordonnait ses feuilles.

— Nous commençons, dit-elle. Si je vous dis « Marc » ?

Valeria resta impassible, le visage dénué de toute expression.

— Un proche, finit-elle par répondre d’une voix atone.

Hormis ses lèvres, elle était demeurée parfaitement immobile. Debbie compara sa réponse à celle enregistrée quelques jours plus tôt dans les mêmes conditions. Valeria avait alors répondu « Apôtre ». C’était avant la tentative de réactivation de sa mémoire antérieure. Debbie consigna la nouvelle réponse et reprit :

— Si je vous dis « compagnon » ?

Valeria fronça les sourcils, comme si elle faisait un effort. Après une hésitation, elle répondit :

— Diego.

Debbie remarqua le trouble mais la réponse était finalement identique. Elle enchaîna :

— Si je vous dis « Écosse » ?

— Chapelle, dit aussitôt Valeria.

Réponse inchangée.

— Si je vous dis « réveil de la mémoire antérieure » ?

Valeria resta sans réaction. Debbie répéta la question en articulant davantage :

— Si je vous dis « réveil de la mémoire antérieure » ?

— Cathy, répondit la jeune femme après un temps.

L’assistante de Jenson sursauta. Elle sentit l’excitation l’envahir. Cette réponse-là était le premier signe tangible que l’opération de stimulation du cortex avait fonctionné. Elle nota le prénom sur sa feuille et le souligna trois fois. À cet instant, le panneau d’entrée de la pièce s’ouvrit. Elle se leva d’un bond, prête à éconduire l’importun, et tomba nez à nez avec le professeur Jenson.

— Je suis en pleine séance, dit-elle à voix basse. C’est très prometteur mais le moment est délicat…

— Désolé de faire irruption, mais ces messieurs ne m’ont pas laissé le choix. Ils voulaient voir le sujet…

Jenson se décala et Debbie découvrit les trois militaires. Sa mine s’assombrit.

— Je déteste travailler devant des inconnus, siffla-t-elle.

Jenson lui fit discrètement signe de se taire.

— Ce ne sont pas des inconnus, rétorqua-t-il entre ses dents serrées. Ce sont nos patrons. Alors nous les accueillons poliment, ils regardent, ils sont contents et ils repartent vite…

Le professeur fit signe aux trois hommes d’entrer. Encadrant le général, Peter et Stefan pénétrèrent dans la pièce. Aussitôt, ils cherchèrent Valeria des yeux, sans la repérer tout de suite. Jenson leur désigna le fond de la salle d’examen où deux fauteuils étaient alignés contre le mur. Debbie siffla, agacée par leur intrusion.

Peter accompagna le général jusqu’à l’un des sièges. En se retournant, il aperçut enfin le visage de Valeria. Son cœur s’emballa. Il était incapable de détacher son regard d’elle. Elle lui paraissait fatiguée, plus âgée aussi.

— Eh bien, lui fit Jenson à voix basse, vous n’avez jamais vu un sujet sous hypnose ?

Peter n’entendit pas et s’approcha de la jeune femme. Stefan aussi la regardait. Il en avait les larmes aux yeux. Debbie contourna le fauteuil de sa prisonnière pour tenter d’empêcher Peter d’approcher davantage, mais le jeune homme, sans quitter Valeria des yeux, l’écarta d’un geste aussi doux que ferme.

Morton, inerte, suivait la scène sans rien dire. Seul un petit rire étouffé lui échappa. Peter et Stefan étaient aux pieds de la jeune femme. Malgré les regards assassins et les grognements de Debbie, les deux garçons s’approchèrent encore.

— Qu’est-ce qui se passe ici ?… maugréa Jenson.

— Ils la connaissent, déclara Debbie d’une voix haineuse. C’est certain. Ils sont venus nous la retirer…

Sans prêter attention à la remarque, Peter tendit sa main et la glissa sous celle de Valeria.

— Ne la touchez pas, capitaine, protesta Jenson. C’est très dangereux. Elle est sous hypnose.

Valeria ouvrit les yeux. Elle reprit conscience sans en avoir reçu l’ordre. Debbie porta les mains à sa bouche, soudain alarmée.

— C’est impossible ! s’exclama-t-elle.

À son tour, Stefan s’approcha. Il s’agenouilla auprès de Valeria et la prit dans ses bras. Il tremblait.

— Mais bon sang, s’énerva Jenson. Qu’est-ce qui vous prend ? Debbie, appelez la sécurité.

Peter dégaina son arme et le mit en joue :

— Ne tentez rien, professeur, sinon vous allez vraiment savoir ce qu’est la vie après la mort.

Загрузка...