D’habitude, Martha refusait de se rendre aux déjeuners des retraités de l’Agence. D’abord, ces réunions lui donnaient le cafard pour plusieurs jours, et puis elle n’avait pas besoin de ces rendez-vous formels pour garder des liens avec les anciens du service qu’elle appréciait vraiment. Pourtant, cette fois, elle avait une bonne raison d’y assister. Elle était prête à affronter les hordes d’ex-collègues de plus en plus voûtés, ressassant le bon vieux temps où ils servaient à quelque chose. Martha supportait mal ces séances de mélancolie collective, peut-être parce qu’elle-même regrettait le passé, certaines personnes en tout cas. Les rares fois où elle y était allée, ceux qu’elle avait connus étaient de moins en moins nombreux, réunis dans la salle d’honneur du siège de l’Agence où le gouvernement leur offrait un excellent repas de plus en plus mou pour cause de dents déficientes. Les jeunes cadres de l’Agence leur tenaient compagnie, contraints et forcés.
Ces jours-là, le grand patron faisait un discours et distribuait quelques médailles en s’évertuant à faire croire que tous étaient irremplaçables, mais que le monde devait continuer de tourner. Aujourd’hui, Martha était curieuse de savoir ce que les services du protocole de l’Agence allaient raconter pour excuser l’absence du général Morton. Allaient-ils faire sobre ou inventer une de ces histoires tordues qui avaient fait la réputation de la NSA ?
Martha avait eu le plus grand mal à convaincre Peter de ne pas l’accompagner. Le jeune homme avait argumenté, insisté, mais il est vrai que même avec son faux uniforme et la carte magnétique confisquée à Morton, il n’aurait sans doute pas fait dix mètres dans le périmètre de l’Agence. Martha, elle, avait les meilleurs des laissez-passer : un visage connu et une réputation à toute épreuve.
Pendant le trajet en voiture, elle n’avait pas cessé de penser à l’étrange soirée qu’elle avait passée avec Peter. Elle s’était surprise à évoquer avec lui des souvenirs du temps de Frank. Beaucoup des sentiments qu’elle avait cru éteints si longtemps après sa disparition s’étaient en fait révélés encore bien vivants. Par moments, elle avait discuté avec Peter comme une lointaine tante l’aurait fait avec son neveu venu lui rendre visite d’un autre continent, mais le plus souvent, elle évoquait la période de sa vie où elle avait côtoyé Frank comme s’il était là et qu’ils s’étaient enfin retrouvés. Parfois, un instant de lucidité la ramenait au présent, et le surréalisme de la situation la perturbait. Elle parlait à un jeune homme de vingt ans comme à un amour perdu qui en aurait quarante de plus. Quoi qu’il en soit, au contact de ces émotions, elle se sentait revivre. Elle ne comprenait pas les théories que la présence du jeune Hollandais faisait naître, mais son instinct s’en fichait.
Arrivée à la grille de la base de la NSA, elle baissa la vitre de sa portière et tendit sa carte d’identification. Le jeune planton la salua de façon réglementaire, saisit le rectangle de plastique et pointa son nom sur la liste.
— Bienvenue, Mrs Robinson, dit-il en faisant signe à son binôme d’ouvrir la grille blindée. Vous suivez la route sur environ un kilomètre et vous arrivez au parking principal.
— Merci, jeune homme, je crois que je m’en souviens encore ! plaisanta Martha.
Alors que la lourde grille s’ouvrait, les herses métalliques qui hérissaient le sol se rétractèrent jusqu’à disparaître. Lorsque le chemin fut libre, Martha appuya sur la pédale d’accélérateur un peu trop violemment, ce qui fit hurler son moteur.
Elle n’était pas revenue depuis au moins cinq ans. Peu de choses avaient changé, du moins dans les aménagements extérieurs. Entre les grands arbres du parc, le siège de l’Agence apparut. À cet instant, pour la première fois, Martha prit conscience de ce qu’elle venait y faire et son estomac se noua. Avec Peter, elle avait préparé sa visite le plus soigneusement possible, mais maintenant qu’elle y était, c’était une autre affaire.
Sur le parking, des petits groupes d’anciens aux cheveux blancs s’embrassaient sous le regard des plus jeunes en uniforme. Martha se gara, attrapa son grand sac à main mais n’eut pas le temps d’ouvrir sa portière. Une jeune femme, lieutenant, s’en chargea pour elle.
— Bonjour, madame, salua celle-ci. Je suis Bridget.
Martha s’extirpa de son véhicule. La jeune femme continua :
— Je vais vous demander une dernière fois votre carte pour vous remettre votre laissez-passer.
Martha sourit et sortit sa carte. En prenant appui sur le capot de la voiture, Bridget recopia le prénom en gros sur un badge aux armes de l’Agence.
— Nous avons une belle journée aujourd’hui, dit-elle pour meubler la conversation.
— Effectivement. Savez-vous si le général Morton sera des nôtres ?
— Malheureusement, il a été appelé à la Maison-Blanche. On ne devrait pas le dire, mais à vous, on le peut : il est en rendez-vous avec le président lui-même…
Comme les enfants en colonie, Martha se retrouva avec son nom épinglé sur son gilet. À peine eut-elle fait quelques pas que ce qu’elle redoutait le plus dans ce genre de circonstance se produisit.
— Martha chérie, s’exclama une vieille dame aux cheveux presque violets. Quel bonheur de te voir après toutes ces années !
Sans lui laisser le temps de réagir, la dame enlaça Martha et la serra jusqu’à l’étouffement. Sur le coup, Martha fut incapable de se souvenir du prénom de celle qui l’accueillait avec tant d’exubérance.
— Tu n’as pas changé ! ajouta celle-ci sans même la regarder. Viens, j’en connais qui vont être contents de te voir. Tu as fini par revenir, c’est bien. De toute façon, on finit toujours par revenir.
Soudain, Martha reconnut son interlocutrice : Melinda Fitzgerald, du secrétariat des officiers. Elle était toujours aussi coquette et n’avait pas perdu l’habitude de tripoter les gens quand elle leur parlait — surtout les hommes jeunes.
Le flot d’anciens fut dirigé vers la grande salle. Au-dessus de la porte, une banderole leur souhaitait la bienvenue. Les tables rondes étaient dressées dans un ordre impeccable, toutes décorées d’un bouquet posé en leur centre. En fond, de la musique classique passait. Une armée de serveurs en veste blanche attendait derrière un buffet couvert de petits-fours et de verres d’alcools légers.
Alors que l’assemblée s’égaillait entre les tables, Martha était assaillie de toutes parts. On lui serrait la main, on l’embrassait. Elle ne reconnaissait pas souvent les gens et se laissait faire en souriant autant qu’elle le pouvait. Mais elle n’était pas là pour faire la fête.
Au milieu du grouillement, un homme assez grand se planta devant elle.
— Martha, prononça-t-il avec un plaisir évident.
Elle plissa les yeux. L’homme avait de l’allure, mais elle ne le reconnut pas immédiatement. C’est le prénom sur le badge et sa fossette au menton qui la mirent sur la piste. Malcolm Forster, l’ancien aide de camp du général Morton. Ils avaient travaillé pour lui à la même époque. Lui aussi avait demandé sa mutation après l’affaire Gassner. Ils ne s’étaient presque jamais revus depuis.
— Comment allez-vous, Malcolm ?
— La vie suit son cours. Je suis heureux de vous revoir. Accepteriez-vous de vous asseoir à mon côté pour le déjeuner ?
Martha acquiesça d’un hochement de tête malicieux. La salle résonnait d’un brouhaha ponctué de petits rires. Les tables se remplissaient à vue d’œil. Martha et Malcolm s’installèrent là où il restait de la place. Face à eux, d’autres anciens étaient déjà en train de se montrer avec fierté les photos de leurs petits-enfants.
Malcolm Forster invita galamment Martha à s’asseoir.
— Vous n’étiez pas venue depuis des années, fit-il en prenant place à son tour. C’est une bonne surprise. Pourquoi maintenant ?
— Sans doute la maturité, plaisanta Martha. Et vous, pourquoi venez-vous ? Si je me souviens bien, vous n’étiez pas un acharné des pots et des fêtes du service.
— C’est vrai. Mais ma vie n’a rien de bien excitant et j’ai passé ici beaucoup de bons moments. Alors je reviens comme un gamin qui retourne visiter son école. À chaque fois, je trouve qu’il y a trop de bruit, que les conversations sont puériles et vaines. On ne voit jamais ceux que l’on espère. En rentrant, je me dis toujours que je n’y mettrai plus les pieds et puis un an plus tard, quand l’invitation arrive, j’y retourne. Cette année, j’ai bien fait puisque je déjeune avec vous.
— Vous étiez marié, je crois ?
— Ma femme est morte il y a quatre ans. Un cancer.
— Je suis désolée.
— Nous n’allons pas faire comme les autres, égrener les malheurs, les maladies et les rhumatismes ! Et vous, que devenez-vous ?
— Ma foi, je m’occupe, répondit Martha. Je voyage un peu, je vis un peu avec quelqu’un, je vois un peu les enfants et les petits-enfants, mais ils sont loin. Je m’investis aussi un peu dans les associations de mon quartier.
— « Un peu » de tout.
— C’est ça.
— Et rien ne vous occupe « beaucoup » ?
Aussitôt, Martha songea à Peter et Frank. Son expression courtoise se ternit un peu. Malcolm le remarqua et, poliment, changea de sujet.
— J’ai entendu dire que le général ne serait pas là. Il est avec le président.
— Oui, mais c’est un secret d’État, ironisa Martha. Je ne sais pas si c’est bien malin de le confier à une bande de retraités qui n’ont pas grand-chose d’autre à faire que de colporter des ragots.
— Toujours aussi incisive, Mrs Robinson, s’amusa Malcolm.
— On ne se refait pas.
Sur un ton plus sérieux, elle ajouta :
— Excusez-moi, mais avant que nous prenions trois kilos, j’aurais voulu saluer celle qui m’a succédé et qui est toujours en poste là-haut…
— Voulez-vous que je vous accompagne ?
— Ne vous donnez pas cette peine. Nous n’avons que des histoires de bonnes femmes à nous raconter. Attendez-moi là, je reviens vite.
En retraversant le hall d’entrée en direction des ascenseurs, Martha sentit le stress l’envahir. Elle se répétait en boucle l’instruction essentielle de Peter : être naturelle.
Alors qu’elle s’apprêtait à appeler la cabine, un sous-officier l’interpella :
— Madame, je suis désolé, les étages sont réservés au personnel en activité.
— Je sais. Je voulais juste rendre visite à quelqu’un que j’ai formé et qui travaille encore ici. J’étais la collaboratrice directe du général Morton et elle a pris ma suite. Pour une fois que je peux la voir…
Attendri par cette gentille vieille dame et impressionné par la mention du grand patron, le gradé pivota vers un téléphone et déclara :
— Je vais voir ce que je peux faire.
Quelques instants plus tard, Martha était conduite au cinquième étage. Le sous-officier l’escorta jusqu’au sas du service du commandement central.
— Les mesures de sécurité ont été terriblement renforcées depuis les attentats. Maintenant, il faut des codes et des cartes pour tout. Aujourd’hui, c’est un peu particulier, le boss n’est pas là et les services sont à moitié vides. Nous sommes réquisitionnés en bas.
L’homme sonna au poste de contrôle. Une voix métallique lui répondit.
— J’accompagne Martha Robinson, une ancienne du service qui vient rendre visite à Mrs Montgomery.
Le sas se déverrouilla.
— Je vous laisse ici, fit le gradé. Nous nous reverrons tout à l’heure, lorsque vous redescendrez.
Martha le remercia d’un sourire. En pénétrant dans le secteur de commandement, elle se crispa. Elle avait l’impression de s’engager dans un piège, une nasse dont elle ne ressortirait jamais si elle échouait.
Elle ne reconnaissait rien des lieux où elle avait autrefois travaillé. Le verre et l’acier avaient remplacé la moquette murale bordeaux — question d’époque. Le service était désert. Alors qu’elle allait s’engager dans le couloir principal, Susan Montgomery apparut devant elle.
— Mrs Robinson ! Alors ça, c’est une bonne surprise !
— J’étais au repas et j’ai eu envie de vous saluer, et puis de venir respirer l’air du bureau.
Les deux femmes s’embrassèrent.
— Le général n’est pas là aujourd’hui, c’est dommage. Je suis certain qu’il aurait été heureux de vous revoir.
— Ce sera pour une autre fois…
Martha et sa guide remontèrent vers le bureau de Susan. Le fait que tout ait été réagencé empêchait les souvenirs de remonter à sa mémoire. Martha passa devant la porte du bureau du général. Susan invita son aînée à s’asseoir dans le sien. Il était assez éloigné de celui de Morton.
— Je crois qu’à votre époque, les bureaux étaient plus grands. Aujourd’hui, ils rognent sur tout… Les budgets et la surface de nos cagibis !
Martha participait tant bien que mal à la conversation mais son esprit était accaparé par ce qu’elle avait à accomplir. Chez elle, Peter l’attendait. Elle devait absolument lui rapporter le dossier sur le centre.
Lorsque le téléphone de Susan sonna, Martha saisit l’occasion pour prendre congé rapidement et s’éclipser sans être raccompagnée. Elle sortit dans le couloir, tourna deux fois à gauche. Elle n’était plus qu’à quelques mètres de la porte du général. Elle ne devait surtout pas hésiter. Elle s’assura que le couloir était désert, sortit de son sac la carte magnétique de Morton que lui avait remise Peter et d’une main tremblante, l’introduisit dans le lecteur sur le côté de la porte. L’ouverture se déclencha aussitôt. Martha poussa le battant et referma derrière elle. Elle soupira. Son cœur battait la chamade.
En plus de trente ans de service, elle n’avait jamais rien fait d’illégal. Il lui avait fallu attendre d’être à la retraite pour venir fouiller le bureau de son ex-supérieur. Elle n’était pas mécontente de lui jouer ce sale tour.
La pièce était spacieuse, habillée de bois sombre. Tout y dégageait un parfum de luxe cossu et de pouvoir. Le large bureau se dressait face à elle, encadré par de grandes bibliothèques remplies de livres anciens qui couvraient trois murs entiers. Martha contourna le bureau et étudia les photos exposées entre les ouvrages sur l’art de la guerre ou l’histoire du monde. « Il n’a pas rajeuni », songea-t-elle en reconnaissant Morton sur un cliché avec le dernier président des États-Unis.
Martha se détourna des photos et s’intéressa au bureau. Au pied de la lampe, elle reconnut le très beau coupe-papier, une antiquité française napoléonienne que le service avait offerte au général pour ses trente ans de service. Elle se souvint qu’à l’époque, c’est Frank qui avait donné le plus… Martha n’avait pas le temps de traîner, elle devait en finir au plus vite.
Dans l’angle de la pièce, entre deux fauteuils Chesterfield, se trouvait le bar. Elle avait toujours vu ce meuble mais ne s’était jamais doutée de rien. Il est vrai que le général était spécialiste des cachotteries, Martha était bien placée pour le savoir. Elle passa la main derrière le rebord supérieur. Son doigt accrocha un ergot métallique qu’elle actionna. Le meuble pivota et laissa apparaître la porte noire d’un coffre-fort.
D’un regard, elle balaya la pièce et porta son attention sur une maquette reproduisant un assaut de la bataille de Green Wald. Au milieu d’une végétation miniature, des figurines de plomb peintes avec un luxe de détails rejouaient l’ultime charge des Nordistes contre une poche de résistance sudiste retranchée dans un fossé avec ses otages. Morton avait avoué à Peter que la clé se trouvait là. Martha étudia les personnages attentivement et finit par repérer la figurine d’un capitaine qui courait sabre au clair. Elle tira délicatement dessus. Dans le prolongement de sa jambe, dissimulée dans le socle, apparut la tige d’une clé de sûreté.
Elle retourna au coffre et introduisit la clé dans la serrure. Elle lui fit faire deux tours, actionna ensuite les deux cadrans crantés du code mécanique et abaissa la poignée. La petite porte s’ouvrit. Avec méthode, elle sortit les dossiers et les quelques boîtes qu’il contenait.
Lorsqu’elle découvrit une chemise à rabat vert sombre marquée d’un « D », elle en écarta les élastiques et feuilleta rapidement les pages. Sans ordre apparent, s’accumulaient là des plans, des rapports d’expériences et des notes de service sur un centre expérimental. Plusieurs documents étaient annotés de la main même du général. Martha tenait ce qu’elle était venue chercher. Elle glissa le dossier dans son grand sac à main.
— Eh bien, fit Malcolm en la voyant enfin revenir, vous aviez beaucoup de choses à vous dire.
Martha sourit sans répondre et s’assit. Devant elle, son assiette de salade d’écrevisses était superbe, mais elle était trop nouée pour avaler quoi que ce soit. Chaque fois que quelqu’un la regardait, elle avait l’impression d’être soupçonnée, comme si ce qu’elle venait d’accomplir se lisait sur son visage.
— Je ne me sens pas bien, dit-elle. Je crois que je vais rentrer.
Malcolm se pencha vers elle, attentionné.
— Vous avez parlé du général avec votre remplaçante, et cela réveille beaucoup de choses que l’on voudrait tous oublier.
— Oublier est impossible, répondit Martha. Je voudrais que cela n’ait jamais eu lieu.
Malcolm secoua la tête d’un air triste et entendu.
— Je vous raccompagne à votre voiture.
Moins d’une heure plus tard, Martha arrivait chez elle, où Peter l’attendait dans un état de fébrilité rare. Il l’accueillit avec soulagement.
— Je suis heureux de vous voir revenir… Tout s’est bien passé, vous n’avez pas eu de problème ?
— Mission accomplie.
Elle lui tendit le dossier. Son regard brillait de fierté. Peter le saisit et l’ouvrit. Martha jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.
— C’est ce que vous vouliez ? demanda-t-elle.
— C’est mieux que ça, c’est une véritable bombe ! Je comprends que Morton ait gardé tout ça pour lui. Je ne sais pas comment vous remercier. Vous avez pris des risques insensés.
— Ce n’est rien. J’espère que vous allez pouvoir sauver votre amie.
— Moi aussi.
— En tout cas, vous avez l’air de tenir beaucoup à elle.
— C’est quelqu’un de bien.
— Seulement ? le taquina Martha. Vous faites tout ça parce qu’elle est « quelqu’un de bien » ?
Peter parut surpris de l’allusion.
— Elle est innocente, elle n’avait aucune raison d’être enlevée, expliqua-t-il. Je trouve normal d’essayer de la sauver. Je ferais la même chose pour n’importe qui.
— Vous ne parleriez pas de n’importe qui comme vous avez parlé d’elle hier soir. Vous étiez émouvant.
Peter rougit et baissa les yeux.
— Il vaudrait mieux que j’y aille, dit-il. J’aimerais pouvoir rester, mais j’ai encore de la route et Stefan doit m’attendre.
— Oui, bien sûr. C’est plus raisonnable…
Martha parut soudain bien fragile.
— Je ne sais pas si nous nous reverrons… dit-elle.
— Quand nous en serons tous sortis, je vous promets de revenir.
Même sans se faire d’illusion, Martha fut heureuse de l’entendre.
— Alors filez, dit-elle. Je vais vous faire une bise comme une dame bien élevée.
Elle saisit Peter par l’épaule et l’attira vers elle.
— Bonne chance, mon garçon. Vous êtes la rencontre la plus incroyable de ma vie, un peu comme Frank. Je crois que vous êtes un type bien. Que Dieu vous garde.
Peter la serra dans ses bras et lui souffla :
— Si peu de temps ensemble, et j’ai pourtant l’impression de vous connaître par cœur. Merci pour tout, Martha. Merci d’avoir pris tous ces risques. Frank avait raison. Vous êtes indispensable…
Il l’embrassa puis ajouta :
— Et n’oubliez pas, si on vous fait des problèmes, dites que je vous ai obligée. Inventez n’importe quoi, que je vous ai menacée. N’hésitez pas à me charger.
Peter saisit sa main avec chaleur et sourit presque tristement. Ses doigts se lièrent un moment à ceux de Martha, puis il se dirigea vers la sortie.
— Dites à Frank qu’il me manque, lança-t-elle, émue aux larmes.
— Vous venez de le lui dire, répondit Peter.
Il lui fit un dernier signe et disparut.