En se retournant, Peter se cogna la tête contre le mur de pierre. Le choc résonna dans son crâne. Il essayait de se réinstaller le plus confortablement possible lorsqu’une pensée le tira de sa léthargie : normalement, il aurait dû se cogner contre Stefan.
Le jeune homme ouvrit les yeux. Par la trappe à peine entrouverte, la lumière du jour pénétrait dans la cache. Il se redressa. Valeria dormait toujours, mais Stefan n’était plus là.
Sans bruit, Peter se leva et se dirigea vers l’ouverture. Il monta sur la table installée juste en dessous et souleva la trappe. La tête au milieu des herbes, il inspecta les abords. Aucune trace, aucun bruit.
— Il fait déjà jour ? fit Valeria en se réveillant. Il doit être tard. On ne devait pas se lever avant l’aube ?
Peter rabaissa le panneau. Le peu de lumière du jour qui filtrait suffisait à éclairer la cavité d’une clarté beaucoup plus crue que celle de la lampe. Le relief des pierres, la terre des joints, tout se découpait plus précisément.
— Où est Stefan ? demanda la jeune femme.
Peter écarta les mains en signe d’ignorance.
Valeria se redressa et, en s’étirant, promena son regard autour d’elle. Elle fixa brusquement la table.
— Qu’est-ce que ça fait là ?
Elle se leva avec vivacité et attrapa le petit carnet vert. Peter s’approcha.
— Mais… tiqua le jeune homme. J’aurais juré qu’il n’y était pas hier soir. Il devrait être dans la…
Les deux jeunes gens se regardèrent. Peter bondit sur la table et se précipita à l’extérieur. Oubliant toutes les règles de sécurité, il appela Stefan de toutes ses forces. Il s’enfonça dans la forêt et hurla encore son prénom. Il courait en tous sens, essoufflé, affolé, de plus en plus convaincu que Stefan n’était plus dans les parages.
Il finit par revenir à la cachette. Il trouva Valeria assise sur le lit, bouleversée, tenant le carnet ouvert devant elle.
— Qu’y a-t-il ?
Elle lui tendit les notes sans rien dire, le regard embué de larmes. Sur les dernières pages, Stefan avait écrit :
Chers vous deux,
Jenson ne nous lâchera jamais. Je sais que tant qu’il lui restera un souffle de vie, il s’acharnera sur nous, jusqu’à ce que nous aussi, comme ceux qui ont écrit ces pages avant moi, décidions de quitter son monde. Alors, j’ai pris une décision, sans vous parce que je sais que vous m’en auriez empêché. Je sais qu’elle est bonne, c’est le seul moyen que l’histoire ne se répète pas dans vingt ans. Je suis allé chercher la mallette. Ne vous inquiétez pas, elle est désormais ailleurs, cachée en sécurité. Elle peut attendre des siècles que le hasard ou l’Esprit la remette enfin à ceux qui pourront en faire œuvre utile. Vous ne devez pas savoir où elle est, j’emporte ce secret avec moi. Ainsi vous n’êtes plus responsables de rien, vous voilà libérés de ce fardeau. Maintenant, je vais retourner déposer ce carnet près de vous, puis j’irai faire ce que je dois : tuer Jenson. Je n’y survivrai pas. Tout va finir là où tout a commencé. Je n’ai pas peur. Je sais ce que je fais et je vous promets que je ne faiblirai pas.
Le soleil ne va pas tarder à se lever. Il fait un peu frais. Ce matin, je sais que ce monde est le nôtre. Si nos vies le fuient parfois, c’est pour mieux revenir, pour se préparer, jamais pour en finir. En partageant vos jours, j’ai appris bien des choses, mais une seule m’importe, la seule qui vaille la peine : je tiens à vous plus qu’à moi-même.
Exister seul n’aurait aucun sens. Avec vous j’ai envie, j’espère, avec vous je suis. Quel que soit le jeu que l’on nous fasse jouer, mon seul but sera de vous retrouver, de vous garder. Nous allons nous revoir. En attendant, nous devrons encore combattre, éloignés mais ensemble. Ne vous perdez pas. Une vie ne vaut rien sans celles qui la retiennent.
Je crois que vous vous aimez. Je suis certain que je vous aime. Un jour peut-être, un enfant viendra vous voir. Il aura mes yeux, il connaîtra notre secret. Écoutez-le, ce sera peut-être un ange au bout de son exil. Il vous cherche déjà. Que les âmes vous gardent. Soyez heureux.
À vous deux,