5.

Le choix de la collaboration fait par le gouvernement de Vichy, de Gaulle, à Londres, en ce début d’année 1941, le dénonce.

Il flétrit « les intrigues et les querelles d’esclaves des collaborateurs de l’ennemi ».

« La France, martèle-t-il, tient toutes ces vénéneuses tromperies pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des champignons poussés sur la pourriture du désastre. »


Il exalte les combats des Forces françaises libres de Leclerc et de Larminat, qui attaquent en Éthiopie, au Fezzan, au Tchad, en Érythrée, en Cyrénaïque.

Elles remportent des succès. Elles entrent aux côtés des Anglais dans Tobrouk. Elles sont à Mourzouk, à Kassala.

Elles bousculent les Italiens, capturent hommes et matériels.


La colonne de Leclerc s’empare de l’oasis de Koufra le 1er mars 1941. C’est le relais capital des communications aériennes italiennes entre la Tripolitaine et l’Abyssinie.

Les Italiens étaient pourtant plus nombreux, surarmés, mais ils ont été démoralisés par le survol et les attaques des avions de la France Libre, pilotés par des hommes intrépides tels Romain Gary, Pierre de Saint-Péreuse.


Le 2 mars, dans l’oasis conquise, au lever des couleurs, Leclerc harangue ses hommes :

« Koufra, c’est capital pour le Tchad, mais pour la France c’est très peu. Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotteront à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg. »

Le 6 mars 1941, de Gaulle nomme Leclerc Compagnon de la Libération :

« Les cœurs de tous les Français sont avec vous, et avec vos troupes. Colonel Leclerc, je vous félicite en leur nom du magnifique succès de Koufra. Vous venez de prouver à l’ennemi qu’il n’en a pas fini avec l’armée française. Les glorieuses troupes du Tchad et leur chef sont sur la route de la Victoire. Je vous embrasse. »


La victoire de Keren, en Érythrée, suit celle de Koufra. Les Français Libres sont à Keren sous commandement britannique, mais ils ont joué un rôle décisif.

« J’ai vu le terrain de combat de Keren, dit de Gaulle – qui effectue en mars un long périple en Afrique équatoriale, au Tchad, en Érythrée, à Khartoum –, un terrain épouvantable. Jamais dans leur histoire les Français n’ont combattu avec plus d’élan. »

Il interpelle un ancien député socialiste qu’il a nommé gouverneur du Tchad :

« Vous avez des Anglais ici ? demande-t-il.

— Oui, mon général.

— Combien ?

— Dix-sept.

— C’est trop. »

Il observe Lapie qui paraît étonné.

« J’arrive, dit de Gaulle, décidé à ne ménager rien, d’une part pour étendre l’action, d’autre part pour sauvegarder ce qui peut l’être de la situation de la France. »


De Gaulle admire la ténacité et le patriotisme anglais, il n’oublie pas que sans eux Hitler aurait remporté la partie.

Mais il sait aussi qu’ils pensent d’abord à l’Angleterre et à son Empire, et cela signifie qu’ils lorgnent sur les possessions françaises et qu’ils mènent leur politique au gré de leurs intérêts.

Au mois de janvier, ils ont, à Londres, emprisonné l’amiral Muselier, le chef des Forces navales de la France Libre, accusé d’avoir communiqué des documents secrets à Vichy.

Il suffit de quelques jours pour qu’on découvre que les documents ont été fabriqués par des agents anglais.

Dans quel but ?

Les Anglais prétendent qu’il s’agit d’une vengeance personnelle. De Gaulle est sceptique. Londres veut peut-être affaiblir la France Libre, se ménager la possibilité de traiter avec Pétain.

Le Canada n’a-t-il pas un représentant diplomatique à Vichy et les États-Unis, un ambassadeur ? Cet amiral Leahy, qui entretient les meilleures relations avec le Maréchal, lequel dit attacher le plus grand prix à l’amitié américaine.

Leahy a rencontré plusieurs fois le nouveau vice-président du Conseil, l’amiral Darlan.

De Gaulle se défie de la succession de Laval et de Flandin.

« Je ne serais pas surpris que les Allemands voient dans cet homme la meilleure solution pour leurs propres intérêts car Darlan, qui porte l’uniforme, paraît le plus propre à camoufler sous l’équivoque, l’infamie et la collaboration. »


Les Anglais pourtant continuent de ménager les troupes de Vichy en Syrie et au Liban.

Ils se refusent à faire le blocus de ces pays du Levant, où pourtant le général Dentz, un fidèle de Pétain, accueille une mission militaire allemande.

Ils ne font rien non plus pour étouffer la base de Djibouti, aux mains des vichystes.

Que veulent-ils ? Sans doute, à l’occasion de la guerre, remplacer les Français au Levant et sur la mer Rouge !


Il faut faire face, combattre aux côtés des Anglais, être présent sur tous les champs de bataille, mais veiller à les empêcher de s’approprier ce qui appartient à la France.

La tâche est lourde.

« Il faut toujours porter sur son dos la montagne. »


Et croire à la victoire. Et serrer les poings et les dents quand on apprend que d’Estienne d’Orves, Français libre, débarqué depuis seulement un mois, a été arrêté par les Allemands, trahi par son radio.

Se souvenir que d’Estienne d’Orves avait déjà transmis une multitude de renseignements sur les positions des batteries côtières, sur les sous-marins allemands se trouvant à l’arsenal de Lorient, sur les chalutiers armés de Saint-Nazaire, et la base sous-marine en construction dans ce port.

D’Estienne d’Orves, un héros, avec lequel les Allemands se montreront impitoyables.

Un officier, un chrétien fervent qui avait voulu servir sur le sol national en dépit des réticences de De Gaulle, qui craignait qu’il ne fût rapidement identifié, arrêté, exécuté.

On assure qu’il a été transféré à Berlin, puis incarcéré dans la prison du Cherche-Midi à Paris dans l’attente de son jugement.


En ce même début d’année 1941, le plus ancien des réseaux de résistance, celui du musée de l’Homme, est démantelé par la Gestapo.

Que de sacrifices ! Que de patriotes acceptant de mettre leur vie en péril pour le service de la France !

Comment ne pas condamner ces hommes de Vichy ? Ils ont « saisi le pouvoir par un pronunciamiento de panique, ils ont détruit du jour au lendemain les institutions du pays, supprimé toute représentation du peuple, interdit à l’opinion de s’exprimer, ces hommes qui ont accepté non seulement la servitude mais la collaboration avec l’ennemi.

« Ils pactisent avec cette régression barbare qu’est le nazisme, alors qu’il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde ! ».


La situation en ce début d’année 1941, en dépit des victoires remportées contre les troupes italiennes, en Afrique, est périlleuse.

Les troupes allemandes se concentrent à la frontière de la Roumanie, de la Hongrie, de la Yougoslavie, de la Grèce. Et surtout les premières unités allemandes commandées par le général Erwin Rommel ont débarqué à Tripoli, et ont lancé déjà des pointes offensives contre les Anglais de Wavell qui reculent.

Churchill a préféré envoyer des divisions anglaises en Grèce, dépouillant Wavell, l’empêchant d’exploiter et de consolider ses victoires en Cyrénaïque.

Rommel, à la tête de l’Afrikakorps, est bien capable de renverser la situation à son profit, et de menacer Le Caire et le canal de Suez, l’artère vitale de l’Empire britannique.

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