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Rommel, sur les cartes de la Russie qu’il affiche au siège de son quartier général – ou dans le véhicule blindé qui en tient lieu –, trace, dans les premiers jours d’octobre 1941, plusieurs grosses flèches noires toutes dirigées vers Moscou.


L’une vient du sud, doit atteindre – occuper – les villes d’Orel et de Toula.

L’autre partant de Smolensk, passe par Yelnia, Viazma, et se situe au centre.

La dernière depuis le nord se dirige vers Volokolamsk, à quelques dizaines de kilomètres de la capitale soviétique.

Et Hitler veut que la ville soit prise avant l’hiver, avant Noël.

« Encerclez-les, écrasez-les, anéantissez-les », dit rageusement le Führer, le visage contracté, les poings serrés et brandis.


Les camarades de Rommel, les généraux Guderian, von Reichenau, ont lancé leurs divisions de Panzers, dès le 2 octobre. Orel est tombée, et Otto Dietrich, l’attaché de presse de la Chancellerie du Reich, a déclaré devant les correspondants des journaux étrangers en poste à Berlin :

« Sur le plan militaire, la Russie a cessé d’exister. Les Anglais n’ont plus qu’à enterrer leur rêve d’une guerre sur deux fronts. »


La guerre contre la Russie est particulière.


Dès le 10 octobre, le Feldmarschall von Reichenau a écrit et fait diffuser dans sa VIe armée des directives concernant le « comportement des troupes dans les territoires de l’Est ».

« Le soldat dans les territoires de l’Est n’est pas seulement un combattant conformément aux règles de l’art de la guerre, mais aussi le porteur d’une idéologie nationale et le vengeur des bestialités qui ont été infligées aux Allemands et aux nations racialement apparentées.

« C’est pourquoi le soldat doit avoir une totale compréhension de la nécessité d’une revanche juste mais sévère contre la sous-humanité juive. L’armée doit également viser l’annihilation des révoltes ouvrières qui, ainsi que l’expérience le prouve, ont toujours été causées par les Juifs.

« Le fait de nourrir les autochtones ou les prisonniers de guerre qui ne travaillent pas pour les forces armées en utilisant les cuisines de l’armée est un acte humanitaire erroné tout autant que l’est le fait de leur donner du pain ou des cigarettes… »



La tâche historique de l’armée est de « libérer le peuple allemand une bonne fois pour toutes du danger judéo-asiatique ».


Les soldats soviétiques qui ont été faits prisonniers crèveront de faim, leurs officiers et tous ceux qui sont soupçonnés d’être des commissaires politiques seront abattus. Et les Juifs abattus puisque, selon Reichenau, instigateurs de toutes les révoltes.

C’était ainsi depuis l’entrée des troupes allemandes en Russie, il y a trois mois, mais désormais et parce que les Russes résistent, contre-attaquent, laisser mourir ou tuer – et les « civils » sont traités avec la même cruauté – devient systématique.

Le Feldmarschall von Reichenau a incité ses hommes à exterminer les judéo-bolcheviques qui sont aussi des judéo-asiatiques. Il est un fidèle exécutant des directives de Hitler.


Et puis les conditions de vie sont telles que le soldat en perd toute humanité.

Guderian note la première chute de neige dans la nuit du 6 octobre après un coup de gel à l’heure précise où s’amorçait la marche sur Moscou.

Mais le 7, c’est le dégel.

L’écrivain Vassili Grossman, correspondant de guerre à L’Étoile rouge, se félicite de cette saison de la boue (raspoutitsa).

« Une pareille gadoue, personne n’en a vu, c’est sûr, la pluie, la neige, une soupe liquide, un marécage sans fond, une pâte noire touillée par des milliers et des milliers de bottes, de roues, de chenilles. Et tous sont contents : les Allemands s’enlisent dans notre infernal automne. »


Mais il suffit de quelques jours pour que la boue cède la place à la glace, et l’automne à un hiver précoce et aussi féroce que l’était la chaleur dont Rommel répétait qu’elle était « effroyable ». Ces mots reviennent sous la plume de Guderian.


« Le 12 octobre, la neige tombe toujours, les immensités blanches sont balayées par les blizzards sibériens. Le thermomètre descend en quelques jours à moins 25 degrés. »

Les soldats sont pétrifiés par le froid. Guderian réclame en vain des bottes épaisses, des gants, des chaussettes de laine.

« Mes hommes ont atteint la limite de leurs forces », clame-t-il.


Et cependant, les troupes allemandes avancent.

Après Orel, elles attaquent Toula. Moscou semble à portée d’un dernier effort. Mais, signale Guderian à l’état-major :

« La glace nous crée des difficultés énormes car les crampons à glace et les cales des chenilles ne sont pas encore arrivés. Les chars ne démarrent qu’à condition d’allumer un feu sous le moteur. Le carburant gèle et l’huile se fige… Les mitrailleuses et les viseurs deviennent inutilisables. Autre chose très grave, notre canon antichar 37 mm s’avère inefficace contre le char lourd T34 de l’armée Rouge.

« Et chaque régiment de la CXIIe division d’infanterie a déjà perdu une moyenne de cinq cents hommes atteints de graves gelures des membres. »


Pourtant l’élan allemand n’est pas brisé : les villes sur la route de Moscou tombent les unes après les autres, des dizaines de milliers (650 000 ?) de soldats soviétiques sont faits prisonniers.

Staline, devenu commissaire à la Défense et commandant en chef, ne semble pas prendre la mesure du désastre qui s’annonce.

Le 5 octobre, il refuse d’accorder du crédit au rapport d’une patrouille aérienne qui a repéré une colonne de Panzers longue d’une vingtaine de kilomètres et qui n’est qu’à une centaine de kilomètres de Moscou. Beria veut même faire arrêter l’officier qui a rédigé le rapport sous l’accusation de propagande défaitiste !

Le 6 octobre, les blindés allemands sont à 75 kilomètres de Moscou, menaçant la chaussée de Volokolamsk.

Les Russes résistent avec acharnement. Le général Joukov est, le 10 octobre, nommé commandant en chef de l’ensemble du front. C’est le signe qu’enfin les Russes ont compris que Hitler a lancé une offensive dont le but est de s’emparer de Moscou.


Mais le porte-parole du gouvernement, Lozovski, lorsqu’il réunit les journalistes étrangers pour faire le point de la situation, continue de travestir la réalité.

Tendu, agressif, sarcastique, il nie la chute de Kiev, se moque lorsqu’on lui rapporte que les Allemands annoncent avoir fait des centaines de milliers de prisonniers, ou bien qu’Orel est tombé, que Moscou à en croire les discours de Hitler sera pris avant l’hiver.

« Plus les Allemands poussent vers l’est, plus ils s’approchent de la tombe de l’Allemagne nazie, dit Lozovski. Le discours de Hitler signifie seulement que le Führer est gagné par le désespoir. Il sait qu’il ne gagnera pas la guerre, mais il lui faut contenter plus ou moins les Allemands pour cet hiver, et il doit donc remporter quelques succès majeurs qui sembleraient indiquer qu’une certaine phase de la guerre est terminée. » Hitler, selon le porte-parole soviétique, ne peut accepter et même concevoir l’accord anglo-américano-soviétique.

Puis Lozovski ajoute – et les journalistes échangent des regards stupéfaits comme si Lozovski voulait les préparer à la chute de Moscou :

« De toute façon, la prise de telle ou telle ville n’affecterait en rien l’issue finale de la guerre. »

Prenant sans doute conscience de cet aveu, Lozovski conclut sourdement :

« Si les Allemands veulent absolument avoir quelques centaines de milliers de morts de plus, leur vœu sera comblé. »

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